Skip to main content

“NOUVELLES” DU SIKKIM

Il n’est plus nécessaire de présenter aux lecteurs de l’« Annuaire » la terre de mission où travaillent depuis plus de deux ans les Chanoines de l’Abbaye de St-Maurice, le Sikkim. Situé au sud du Thibet et au nord des plaines du Bengale, coincé à l’est et à l’ouest entre le Bhoutan et la chaîne des monts Singelila, ce pays n’est pas de grande étendue, mais d’une importance capitale du point de vue de la pénétration des idées chrétiennes dans le mystérieux et fanatique Thibet.

Deux fois de suite nous avons renseigné les amis des missions sur les particularités géographiques de ce territoire. Nous n’y reviendrons pas. Nous avons également signalé en détails la grande part que prirent les Pères des Missions Etrangères de Paris à la première évangélisation de ce pays. Ils continuent aujourd’hui à exercer leur apostolat dans cette portion de l’Inde sous la direction d’un préfet apostolique, Mgr Douenel.

Les Chanoines de St-Maurice sont venus les seconder dans leur ministère et ils ont l’intention, chaque année, autant que faire se pourra, de délé¬guer au Sikkim l’un ou l’autre des membres de l’Abbaye afin de rendre cette mission florissante et féconde en fruits de salut.

Depuis l’année dernière, un fait capital s’est produit dans l’existence de nos premiers missionnaires. Alors qu’ils desservaient primitivement la seule station de Pédong, ils furent envoyés, en octobre 1936, à M a r i a b a s t i, où ils assument, depuis lors, les charges du ministère apostolique. Les nouvelles qui nous parviennent, tant de Pédong que de Mariabasti, sont excellentes.

Nous nous proposons d’en donner la substance à nos amis suisses qui veulent bien s’intéresser au sort de nos confrères.
Le 11 octobre, les Chrétiens de Pédong ayant appris le départ prochain de deux Chanoines auxquels ils s’étaient attachés se réunirent après les offices domini LUX. pour souhaiter à leurs bienfaiteurs d’une année un heureux séjour dans le nouveau poste qu’ils allaient occuper. Ils les remercièrent de leur bonté, et M. le Chanoine Martin Rey, prenant la parole en népalien, exprima sa reconnaissance à l’égard de chrétiens si aimables et si fidèles.

MM. Schyrr et Rey partis, il restait à Pédong MM. les chanoines Gianora et Fox. Ceux-ci se partagèrent la besogne ministérielle : orphelinat, collège, école des filles, 4 écoles de village, visite des fidèles, plantation de quinine dont l’étendue est de 10 milles et qui nécessite 1000 coolies comme employés. Comme bien l’on pense, l’apostolat auprès des indigènes n’est pas des plus faciles.

Si les chrétiens actuels sont tels depuis deux générations, il s’en faut qu’ils soient d’une fermeté à toute épreuve. L’un des plus détestables vices qu’ils partagent avec les païens du voisinage, c’est l’ivrognerie. On sait les désordres que de pareils abus engendrent. Quant aux conversions elles ne semblent pas être nombreuses. Et lorsqu’il s’en présente, il faut être d’une grande circonspection avant de passer aux actes définitifs, car l’intérêt pousse souvent les païens à se rapprocher des prêtres dont ils espèrent, par la suite, retirer surtout des secours en argent. Un exemple illustrera cette affirmation.

Un chanoine visitait un jour les malades du petit hôpital construit par le gouvernement anglais dans un village du Sikkim. Il remarqua un pauvre homme qui souffrait d’une maladie intestinale. Son cas devint grave. C’est alors qu’un autre malade, chrétien celui-là, dit au prêtre qui lui rendait visite, que son compagnon païen songeait à embrasser le christianisme. Il l’avait même instruit quelque peu des principales vérités de la religion.

Le missionnaire se mit en devoir de parachever l’ceuvre com-mencée et, comme le médecin estimait que le patient allait mourir, celui-ci fut baptisé aussitôt. A peine avait-il reçu le sacrement de la régénération qu’il ouvrit les yeux et dit à son bienfaiteur : « Est-ce que j’ai vraiment reçu le pardon de mes péchés ? » « Oui », lui répondit le prêtre en répétant intérieurement la parole de Jésus en croix : « Hodie eris in paradiso. » Le malade ne mourut pas.

Chaque jour le missionnaire venait le voir, sans cependant pouvoir lui causer beaucoup, car il paraissait si faible. Une semaine après il eut envie de parler. Le Père écouta : «Mon Père, donnez-moi des sous », dit-il. « Ça y est, pensa le bon chanoine, toujours ce même motif pour devenir chrétien ; pour avoir de l’argent, toujours de l’argent. » C’était si vrai que deux semaines plus tard le malade de naguère retournait à l’hindouisme, portant les signes distinctifs des adeptes de sa secte, barbe et tête rasées, avec le petite fontange au sommet de la tête. Dix fois plus hindou qu’auparavant, Comment, dès lors, ne pas se souvenir des Galiléens du temps de Notre-Seigneur : « Ouaerunt nos quia manducant ex panibus et saturati surit.»

Grâce à Dieu tous ne sont pas animés des mêmes sentiments, témoin cette brave fille du maire de M a r i a b a s t i , bon chrétien et père de treize enfants, qui, souffrant de pneumonie, réclama aussitôt le prêtre. Le P. Rey lui administra le sacrement d’Extrême-Onction. Pendant trois jours elle fut plongée dans un délire complet. Tout à coup elle reconnut le missionnaire qui était venu à son chevet et dit d’une voix faible : « Mon Père, donnez-moi, s. v. p., la sainte communion. »

Le P. Fox ayant immédiatement accédé à son désir, la malade en fut grandement consolée et réconfortée et murmurait avec ferveur les réponses aux Ave Maria du chapelet qu’on récitait près de sa couche.

Venons en maintenant à quelques détails sur le nouveau poste occupé par les chanoines, Mariabasti. Un abîme de vallées le sépare de Pédong. De ce dernier lieu il faut plonger à pic jusqu’au lit d’une grosse rivière puis remonter à même altitude. Le P. Schyrr a inventé une T. S. F. de circonstance pour demander à ses confrères de Pédong, une fois par mois, le cheval qui lui .permettra de se rendre chez eux.

Le nom de la station est souriant comme celui du visage de la Vierge à qui le P. Hervagault avait consacré sa paroisse : Notre-Dame des Victoires. C’est grâce à la protection de cette bonne Mère des cieux que le premier missionnaire de cette localité fit de nombreuses conversions de népa-liens et de lepchas. Ceux-ci forment encore aujourd’hui le noyau catholique de Mariabasti: 250 âmes, qui proviennent de souche chré-tienne depuis deux générations. Ce sont de braves montagnards, plus travailleurs que les Indiens de la plaine, mais buveurs. Les castes ont nui considérablement à la formation humaine de ces hommes. La ser-vitude aux traditions les maintient dans un état inférieur et paralyse tout enthousiasme.

L’église et le presbytère de Mariabasti dominent deux versants de vallée. Ils ont été établis sur une crête pour ‘mettre le missionnaire à plus proche portée de ses ouailles éparpillées sur l’un et l’autre versant. De là on voit, dans le lointain, une rangée de montagnes ‘grandioses, blanches comme les Alpes suisses, bien plus hautes cependant et perdant de leur élévation à cause de la distance.

Le Kinchinjunga est le chef de lignée, sorte de Weisshorn majuscule. Tableau magnifique. II l’est moins si, détour¬nant le regard, on arrête les yeux sur les édifices de la mission : une église qui va s’effondrer au prochain ébranlement, un modeste presbytère, l’école, la demeure du maître, celle des domestiques, l’étable. Si la cure est habitable, l’église ne présente plus des garanties suffisantes de solidité. Ecoutez le P. Rey : «… les fenêtres font plus que laisser passer la lumière. Les murs tendent l’un vers l’autre avec une inclinaison trop dangereuse. Pensez si nous permettions plus longtemps un pareil mal.

L’autre jour le P. Schyrr et moi faisions méditation à l’église : voici que soudain les bois du toit craquent, les tôles résonnent … » Cette fois, ça y est le P. Schyrr, êtes-vous prêt? — A quoi? — A mourir …ou à refaire cette église? « Ce matin-là, on eut la clef ‘de ce verset des psaumes : Confirma ,hoc, Deus… Oui, affermissez les bases de ce temple qui est à Mariabasti, jusqu’à ce que nous ayons de l’argent pour en construire un plus solide . . . »

Si nous voulons, avant de terminer cet article, ajouter quelques renseignements encore, voici comment fut créé, il y a plus de cinquante ans, le poste de Mariabasti. Un Père des Missions Etrangères de Paris avait servi comme aumônier dans les garnisons anglaises qui protégeaient la frontière nord-est de l’Inde — entre le Sikkim, le Bhoutan et l’Inde du nord. Le gouvernement britannique, pour compenser un tel service, avait offert au Père en question, le R. P. Desgodins, quelques acres de terrain dans la jungle.

Tout de suite ce grand missionnaire, dans l’intention de fonder son poste, choisit, sur la montagne située en face de Pédong, récemment établi, quelque 100 acres qu’il distribuerait ensuite à ses catéchumènes. Il y construisit, au centre, l’église et le presbytère actuels. Le R. P. Hervagault fut chargé d’évangéliser ces montagnards. En peu de temps il eut autour de lui près de 400 chrétiens, dont beau-coup émigrèrent un peu partout. La moitié se mit à défricher cette jungle que les missionnaires avaient obtenue pour eux. C’est l’origine de la station de Mariabasti.

M. le chanoine Rey, de qui nous tenons ces indications par une lettre adressée à Mgr Bossens, ajoute : « Nous en sommes les seconds occupants. Pour l’avenir de ce département nous n’avons que des voeux à formuler : que nous soyons aussi bons apôtres que notre prédécesseur, que nous soyons aussi heureux à trou-ver chez les païens un brin de cette correspondance qu’il a dû y trouver.»

Prions Dieu et sa sainte Mère qu’Ils daignent féconder le labeur apostolique de nos missionnaires. Que parmi la jeunesse nombreuses soient les vocations qui répondront à l’appel du Seigneur et consacreront leur vie à la grande cause du rayonnement de l’Evangile dans le monde. Ces hérauts de la bonne Parole iront rejoindre, au Sikkim, leurs aînés dont le nombre s’accroît d’année en année puisque, le 12 février dernier, deux autres chanoines de St-Maurice sont allés rejoindre les Pères Gianora, Fox, Schyrr et Rey, MM. les chanoines Paul Thürler, d’Estavayer¬le-Lac, et Gustave Rouiller, de Troistorrents.


F.-M. Bussard,  chanoine de Saint-Maurice