De 1722 à 1745, les Capucins italiens, dont le Père DELLA PENNA, s’établirent à Lhassa. Une cloche de leur chapelle fut longtemps conservée au cœur de Lhassa, dans le sanctuaire du Jokhang.
Restent à dépouiller les sept volumes de IL NUOVO RAMUSIO II – I missionari italiani nel Tibet e nel Nepal – LUCIANO PETECH sous la direction scientifique de GIUSEPPE TUCCI
Le Thibet ne fut connu en Europe qu’au XIIIe siècle, par les récits des célèbres missionnaires Plan de Carpin et Rubruck et de l’illustre voyageur vénitien Marco Polo, qui rencontrèrent vraisemblablement, à la cour mongole, les lamas thibétains dont les empereurs aimaient à s ‘entourer.
Plus tard, vers 1330, Odoric de Pordenone, rentrant de Khanbalik (Pékin) en Europe, “ne traversa pas, comme on l’a cru, le Thibet, mais il en entendit assez parler pour noter le caractère théocratique du pays” (René Grousset).
René Grousset (1885-1952), historien français, spécialiste de l’Asie, et membre de l’Académie française. En savoir plus: wikipedia.org
Trois siècles devaient s’écouler encore avant qu’un Européen pénétrât au Thibet. Au XVIIe siècle, les missionnaires portugais qui évangélisaient les Indes avaient appris de voyageurs, trompés sans doute par certaines analogies entre les cérémonies catholiques et lamaïques, que des communautés chrétiennes étaient établies au delà de l’Himalaya. Pour s’en assurer et au besoin leur porter secours, le supérieur de la Mission Mogor dirigea le Père Antonio de Andrade et le Frère Marquès sur le Thibet, en 1624.
Dans son livre, Early Jesuit travellers in Central Asia, le Père Wessels S. J. suit pas à pas les traces des voyageurs, discute longuement leurs données géographiques qu’il compare aux travaux plus récents.
Cornelius Wessels (1880-1964), prêtre jésuite néerlandais et historien des missions catholiques en Asie. Son livre Early Jesuit travellers in Central Asia (1603-1721) lui donne une renommée internationale. En savoir plus: wikipedia.org
On avait jadis commis bien des erreurs à ce sujet, dont la moindre n’était pas de diriger les missionnaires par le Cachemir. Ils entrèrent au Thibet, non par Srinagar du Cachemir, mais par la ville du même nom située dans le Garhwal, remontèrent l’Alaknanda, affluent du Gange, jusqu’à sa source, traversèrent l’Himalaya par le col Mana et atteignirent Tsangparang, résidence du Gouverneur thibétain du Gougué sur le Haut Sutledj.
Ce village était alors relativement prospère. Les missionnaires furent bien accueillis par le Gouverneur qui ne les autorisa à rentrer aux Indes qu’à la condition qu’ils reviendraient sous peu.
Tsaparang devint la capitale du royaume de Gougué (ou Guge) au XVe siècle. La ville était assez grande, elle comptait plusieurs milliers d’habitants et de nombreux commerçants s’y arrêtaient sur la route entre le Tibet central et l’Inde. En savoir plus: wondersoftibet.com
Dès l’année suivante, de Andrade, fidèle à sa promesse, reprenait le chemin du Thibet avec deux compagnons.
Encouragés par ce succès, deux autres Jésuites portugais, les Pères Cacella et Cabral, portent leurs pas vers le Thibet central ou U-tsang. Par le Cooch Bihar ils entrent au Bouthan et séjournent quelque temps à Paro, le centre principal du Bouthan occidental.
Molestés par la population locale, ils, ont recours au lama-roi qui les reçoit avec égards et les retient près de lui. Ce lama-roi ou Dharma rajah était le successeur immédiat de celui qui avait réuni la contrée sous son sceptre.
Nos voyageurs, n’oubliant pas le but de leur mission, se mettent à l’étude du thibétain et un beau jour, Cacella fausse compagnie à son hôte. Par Phari et Gyangtsé, il gagne Chigatsé où son confrère le rejoint, en janvier 1628.
Cabral part bientôt à la recherche d’une voie plus courte et plus sûre pour relier Chigatsé aux Indes, passe à Kutti ou Niélam, traverse le Népal. A son retour à Chigatsé, deux ans plus tard, son compagnon étant mort, il se décide à quitter le Thibet, à cause des difficultés et des risques du voyage et du succès trop aléatoire de sa mission.
A Tsangparang, la révolution qui, en 1630, avait renversé le Gouverneur du Gougué, obligea aussi les missionnaires étrangers à se replier sur les Indes. L’un deux, le Père de Azevedo, nous a laissé un récit détaillé d’un voyage qu’il fit de Tsangparang au Ladak où il était allé plaider la cause de sa Mission près du vainqueur.
Lhé, la capitale du Ladak, est à 360 kilomètres de Tsangparang, et le missionnaire mit vingt et un jours pour couvrir cette distance, à travers le Ladak-range. Malgré les bonnes dispositions du roi, Azevedo crut prudent de ne pas rentrer au Thibet et, en plein hiver, regagna la vallée du Gange par le massif montagneux du Lahoul et le Khulu. En 1635 et 1640, de nouvelles tentatives d’évangélisation restèrent sans succès et la mission de Tsangparang fut définitivement abandonnée.
En 1661, deux missionnaires jésuites de l’observatoire de Pékin, les Pères Grueber et d’Orville, rentrant en Europe, traversaient la Chine et le Thibet, pour éviter de tomber aux mains des Hollandais qui pirataient dans les mers de Chine.
Grueber, peu communicatif, n’a laissé qu’une relation abrégée de son voyage et de Siling à Lhasa. Il est difficile de suivre ses traces. Tout porte à croire que les missionnaires, munis de passeports impériaux, suivirent la route des ambassades.
Le voyage de la frontière du Kansiou à Lhasa dura trois mois, et les voyageurs ne restèrent qu’une quarantaine de jours dans la capitale thibétaine où ils purent à loisir admirer les récents travaux du Potala.
Ensemble historique du Palais du Potala, Lhasa. Source: Unesco
De Lhasa ils passèrent aux Indes par le Népal et d’Orville mourait à Agra, peu de temps après son arrivée (avril 1662).
Malgré les échecs des Jésuites portugais à Tsangparang et à Chigatsé, la Congrégation de la Propagande, dès la fin du XVIIe siècle, confiait l’évangélisation du Thibet aux Capucins italiens et, peu de temps après, autorisait les Jésuites à reprendre les travaux de leurs confrères dans le Haut Sutledj.
En 1707, un premier groupe de Capucins entrait au Thibet par la vallée de Kirong, la meilleure voie d’accès, et gagnait Lhasa, via Tingri, Saskya et Chigatsé.
De 1707 à 1712, les missionnaires vécurent à Lhasa qu’ils quittèrent à cette dernière date pour aller chercher en Italie des secours en personnel et en argent.
Cependant les PP. Freyre et Desideri, jésuites, avaient pris le chemin de leur mission. Le merveilleux observateur qu’était Desideri décrit minutieusement sa route de Lhé à Lhasa, d’abord dans la vallée de l’Indus, puis sur les rives du Brahmapoutre. Il donne d’intéressants détails sur les monts Kailas, les lacs Manasarowar et la ligne de partage des eaux du bassin du Brahmapoutre.
Après dix mois de voyage, les deux Pères entraient dans Lhasa et Desideri se faisait admettre à la lamaserie de Séra, pendant que Freyre retournait aux Indes (1716).
Quelques mois plus tard, en octobre de la même année, les Capucins arrivaient à leur tour. Les événements qui se déroulèrent l’année suivante: l’invasion des troupes mongoles et le meurtre du régent thibétain éloignèrent de Lhasa Jésuites et Capucins qui se retirèrent sur la rive droite du Brahmapoutre, dans le district de Tagspo.
Quand la paix fut revenue, les Capucins, sous la conduite d’Oratio della Penna, rentrèrent à Lhasa, où malgré la présence des troupes chinoises, ils purent se livrer aux travaux de leur ministère.
Cependant le Père Desideri avait quitté le pays après cinq années bien remplies, emportant de nombreux manuscrits qui n’ont été publiés que récemment (Ndlr: en 1939). En 1725, une crue de la rivière de Lhasa, que les indigènes ne manquèrent pas d’attribuer à la présence des étrangers, faillit déchaîner sur eux une tempête que le régent réussit à écarter.
Durant les années suivantes, la mort fit de nombreuses victimes dans les rangs des missionnaires et les ressources venant à manquer, il fut question d’abandonner la place. Les autorités indigènes offrirent à leurs hôtes un secours financier pour l’entretien de leurs œuvres de bienfaisance, secours que della Penna refusa, pour garder sa liberté d’action.
En 1732, ce dernier, gravement malade, se décida à rentrer en Europe et fut chargé de remettre au Pape les lettres élogieuses que le Dalaï lama et le régent thibétain lui adressaient à cette occasion. Certains critiques tâtillons ont conclu de ce que ces lettres font allusion au fleuve du Gange qu’elles étaient apocryphes. Si ces mêmes critiques avaient été quelque peu familiers avec le style épistolaire thibétain, ils auraient vu au contraire dans cette allusion une preuve de plus de l’authenticité de ces lettres.
A Rome, della Penna expose les besoins de sa mission, obtient le concours de quelques missionnaires et fait graver des caractères thibétains pour l’imprimerie qu’il se propose d’installer à Lhasa. Partie d’Europe en 1738, la troupe apostolique composée de huit membres n’arrivait à Lhasa qu’en janvier 1741, par la voie du Népal, comme d’ordinaire.
L’un des voyageurs, le Père Beligatti, a écrit une relation du voyage que publia en 1902 la Geographica italiana.
Dès leur retour à Lhasa les missionnaires constatèrent que les dispositions des autorités étaient changées et quelques-uns d’entre eux reprirent le chemin du retour. En 1745, della Penna avec ses derniers compagnons quittait définitivement la capitale lamaïque et mourait à Patan, au Népal, avant-poste de la Mission Thibétaine.
Durant leur séjour à Lhasa, les Capucins avaient reçu la visite d’un voyageur hollandais, Van de Putte, qui venant du Ladak, se dirigea ensuite sur Pékin, en compagnie d’une ambassade. Quelques années plus tard, ce voyageur regagnait les Indes par la même voie et allait mourir à Batavia.
Avant de quitter les premiers pionniers de l’exploration au pays des Neiges, rendons leur témoignage que, “bornes milliaires’ sur les routes du Thibet, ils ont eu la gloire d’indiquer les principales voies d’accès aux explorateurs de l’avenir. On leur a ·reproché des imprécisions, voire-même des erreurs géographiques; mais n’oublions pas, avant de porter un jugement trop sévère, que le but des missionnaires n’est pas l’exploration scientifique pour laquelle ils ne sont pas du reste préparés et qu’en bon nombre de cas ils n’ont fait qu’accepter certaines erreurs communément admises à leur époque.
De ces erreurs, quelques-unes même ne doivent pas leur être attribuées, elles sont le fait de quelques auteurs qui, sollicitant les textes; en ont donné une interprétation fantaisiste. Ainsi pour ne citer qu’un exemple: le Père de Andrade avait écrit que l’affluent du Gange qu’il remonta pour entrer au Thibet prenait sa source dans un marais; on transforma le marais en lac et on spécifia que le lac en question n’était autre que le Manasarowar!
Justice a été enfin rendue à ces pionniers par la plume de Sven Hedin qui proclame Desideri, “l’un des plus brillants voyageurs européens”, par Holdich qui ne craint pas de comparer della Penna à Livingstone et plus récemment par l’auteur de Early Jesuit travellers in Central Asia qui a eu la bonne fortune de retrouver les manuscrits des Jésuites qui vécurent au Thibet, il y a trois siècles.
On s’est souvent demandé aussi pourquoi les Thibétains qui autorisaient jadis les Européens à pénétrer au Thibet et même les prédicateurs d’une religion étrangère à séjourner au centre du lamaïsme, ont ensuite si obstinément fermé leurs portes aux explorateurs. La raison en est que le Thibet n’était pas unifié, que les chefs indigènes qui se partageaient le pouvoir, libres d’agir à leur guise, recevaient volontiers les voyageurs sans distinction de nationalité ou de religion, pourvu, comme l’insinue Cabral qui vécut à Chigatsé, que ces derniers leur fissent de temps à autre des cadeaux.
Mais viendra le jour où la Chine, qui chez elle fermait ses portes aux étrangers, fera accepter sa politique d’isolement à ses vassaux thibétains, et cela d’autant plus facilement que les entreprises britaniques ne tarderont pas à les mettre en méfiance.