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XI. Marche vers l’ouest, vers la Birmanie

Journal d’un catholique thibétain

Andréa attrape alors les fièvres récurrentes. A Tchrana nous ne trouvons pas de médicaments et nous ne voulons pas nous y attarder trop longtemps, car nous savons que, d’un moment à l’autre, les troupes communistes vont attaquer cette région. Nous prenons en charge Andréa et partons lentement vers l’ouest.

L’épaisse couche de neige nous empêchent d’aller plus en avant

Le troisième jour, lorsque nous atteignons le haut des montagnes himalayennes, des bourrasques et l’épaisse couche de neige nous empêchent d’aller plus en avant. Nous redescendons jusqu’à la forêt et y passons la nuit. Le lendemain Andréa reste au campement. Les cinq autres, après avoir chargé les mulets, nous gravissons à nouveau la montagne.

Lorsque la couche de neige devient trop épaisse, nous déchargeons les mulets et demandons à Léon de les redescendre. Dide, Annessy, Joseph et moi-même chargeons les bagages sur nos épaules, franchissons les montagnes enneigées et les déposons sur l’autre versant, là où il y a moins de neige. Ensuite nous revenons sur nos pas et tâchons de bien damer la neige afin de faciliter le passage avec les mulets, le lendemain.

Ils ne peuvent plus ouvrir les yeux

Durant la traversée, j’ai porté l’unique paire de lunettes que nous possédions. Le soir, au campement, assis auprès du feu, la fumée pénètre dans nos yeux. Les trois, – Joseph, Anessy et Dide -, ont de plus en plus mal aux yeux. Subitement, les larmes se mettent à couler. Ils ne peuvent plus ouvrir les yeux. Ils ne voient plus rien et ressemblent à des aveugles.

Le lendemain matin, les trois sont comme des aveugles, incapables de différencier le jour de la nuit. Impossible donc de franchir la montagne avec les mulets, comme prévu. Il faut attendre qu’ils recouvrent la vue. Comme nos bagages et nos provisions sont sur l’autre versant, je demande à Léon et à Andréa de franchir les premiers la montagne, de descendre au village de Djugong (1.) et d’y louer des mulets afin d’y apporter nos bagages et nos provisions. Plusieurs jours après leur départ, de grand matin, nous profitons d’un temps clair 7 pour franchir la montagne avec nos mulets et nous rendre à Djugong.    

Nous demeurons deux jours dans ce village. Afin d’alléger les charges de nos mulets, nous engageons un porteur. Le troisième jour, nous levons le camp. Nous marchons durant quatre jours. En cours de route nous rencontrons beaucoup de difficultés à cause de la neige et des bagages qui alourdissent nos pas. Après avoir franchi trois montagnes, nous arrivons enfin à Djintai.

Les combattants du joyau

Dans ce village réside un lama. Auparavant il vivait à Djugong, mais, par crainte des «combattants du joyau» (2.), il est venu habité en cet endroit reculé. A notre arrivée, il nous regarde avec inquiétude et nous demande: «Pour quelle raison êtes-vous venus jusqu’ici? D’où venez-vous? Où allez-vous?» Sans détour et avec franchise, nous lui répondons: «Les directives politiques des communistes sont mauvaises. Ils combattent toutes les religions. Il n’y a plus aucune liberté. Nous ne pouvons plus vivre dans notre pays et nous avons décidé de nous enfuir en Birmanie.» L’air un peu plus rassuré, il nous dit: «Les chinois ne peuvent plus aller en Birmanie et les birmans ne peuvent plus venir en Chine. Si quelqu’un outrepasse cette interdiction, il est capturé et renvoyé dans son pays. Ces paroles me causèrent beaucoup d’inquiétude (3.).

Croix laissée sur le chemin du Choula (lieu du martyre du chanoine Maurice Tornay)

  1. Par temps nuageux, la neige ne durcit pas assez durant la nuit. Djugong est une agglomération tibétaine située sur le Tulong, la rivière de l’Irrawaddy qui pénètre le plus avant dans le Tibet.
  2. En tibétain, «Dien-song»: «Dien» signifie: «la valeur qui ne se voit pas, la valeur suprême, Dieu, le joyau religieux ou culturel…»; «Song» signifie: «protéger, veiller sur». «Diensong» signifie: «celui qui veille à conserver les plus grandes valeurs, les combattants du joyaux…» C’est le nom qui était donné aux révoltés tibétains. Ce lama les craint, soit parce que lui-même est de tendance procommuniste, soit parce que, dans le passé, il a eu maille à partir avec eux. Certaines bandes de révoltés étaient des fuyards qui se conduisaient souvent comme des pillards et n’étaient guère appréciés par la population.
  3. Le lama dit-il la vérité? Si ses paroles sont vraies, comment faire pour fuir en Birmanie?
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