De 1722 à 1745, les Capucins italiens
Quand la paix fut revenue, les Capucins, sous la conduite d’Oratio della Penna, rentrèrent à Lhasa, où malgré la présence des troupes chinoises, ils purent se livrer aux travaux de leur ministère.
Cependant le Père Desideri avait quitté le pays après cinq années bien remplies, emportant de nombreux manuscrits qui n’ont été publiés que récemment (Ndlr: en 1939). En 1725, une crue de la rivière de Lhasa, que les indigènes ne manquèrent pas d’attribuer à la présence des étrangers, faillit déchaîner sur eux une tempête que le régent réussit à écarter.
Durant les années suivantes, la mort fit de nombreuses victimes dans les rangs des missionnaires et les ressources venant à manquer, il fut question d’abandonner la place. Les autorités indigènes
offrirent à leurs hôtes un secours financier pour l’entretien de leurs œuvres de bienfaisance, secours que della Penna refusa, pour garder sa liberté d’action.
En 1732, ce dernier, gravement malade, se décida à rentrer en Europe et fut chargé de remettre au Pape les lettres élogieuses que le Dalaï lama et le régent thibétain lui adressaient à cette occasion. Certains critiques tâtillons ont conclu de ce que ces lettres font allusion au fleuve du Gange qu’elles étaient apocryphes. Si ces mêmes critiques avaient été quelque peu familiers avec le style épistolaire thibétain, ils auraient vu au contraire dans cette allusion une preuve de plus de l’authenticité de ces lettres.
A Rome, della Penna expose les besoins de sa mission, obtient le concours de quelques missionnaires et fait graver des caractères thibétains pour l’imprimerie qu’il se propose d’installer à Lhasa. Partie d’Europe
en 1738, la troupe apostolique composée de huit membres n’arrivait à Lhasa qu’en janvier 1741, par la voie du Népal, comme d’ordinaire.
L’un des voyageurs, le Père Beligatti, a écrit une relation du voyage que publia en 1902 la Geographica italiana.
Dès leur retour à Lhasa les missionnaires constatèrent que les dispositions des autorités étaient changées et quelques-uns d’entre eux reprirent le chemin du retour. En 1745, della Penna avec ses derniers compagnons quittait définitivement la capitale lamaïque et mourait à Patan, au Népal, avant-poste de la Mission Thibétaine.
Durant leur séjour à Lhasa, les Capucins avaient reçu la visite d’un voyageur hollandais, Van de Putte, qui venant du Ladak, se dirigea ensuite sur Pékin, en compagnie d’une ambassade. Quelques années plus tard, ce voyageur regagnait les Indes par la même voie et allait mourir à Batavia.
Avant de quitter les premiers pionniers de l’exploration au pays des Neiges, rendons leur témoignage que, “bornes milliaires’ sur les routes du Thibet, ils ont eu la gloire d’indiquer les principales voies d’accès aux explorateurs de l’avenir. On leur a ·reproché des imprécisions, voire-même des erreurs géographiques; mais n’oublions pas, avant de porter un jugement trop sévère, que le but des missionnaires n’est pas l’exploration scientifique pour laquelle ils ne sont pas du reste préparés et qu’en bon nombre de cas ils n’ont fait qu’accepter certaines erreurs communément admises à leur époque.
De ces erreurs, quelques-unes même ne doivent pas leur être attribuées, elles sont le fait de quelques auteurs qui, sollicitant les textes; en ont donné une interprétation fantaisiste. Ainsi pour ne citer qu’un exemple: le Père de Andrade avait écrit que l’affluent du Gange qu’il remonta pour entrer au Thibet prenait sa source dans un marais; on transforma le marais en lac et on spécifia que le lac en question n’était autre que le Manasarowar!
Justice a été enfin rendue à ces pionniers par la plume de Sven Hedin qui proclame Desideri, “l’un des plus brillants voyageurs européens”, par Holdich qui ne craint pas de comparer della Penna à Livingstone et plus récemment par l’auteur de Early Jesuit travellers in Central Asia qui a eu la bonne fortune de retrouver les manuscrits des Jésuites qui vécurent au Thibet, il y a trois siècles.
On s’est souvent demandé aussi pourquoi les Thibétains qui autorisaient jadis les Européens à pénétrer au Thibet et même les prédicateurs d’une religion étrangère à séjourner au centre du lamaïsme,
ont ensuite si obstinément fermé leurs portes aux explorateurs. La raison en est que le Thibet n’était pas unifié, que les chefs indigènes qui se partageaient le pouvoir, libres d’agir à leur guise, recevaient volontiers les voyageurs sans distinction de nationalité ou de religion, pourvu, comme l’insinue Cabral qui vécut à Chigatsé, que ces derniers leur fissent de temps à autre des cadeaux.
Mais viendra le jour où la Chine, qui chez elle fermait ses portes aux étrangers, fera accepter sa politique d’isolement à ses vassaux thibétains, et cela d’autant plus facilement que les entreprises britaniques ne
tarderont pas à les mettre en méfiance.
Source: Trente ans aux portes du Thibet interdit (1939), Francis Goré