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“Affaire” VIGNAL (1905-1906)

Aux Marches Thibétaines dépendant du Yunnan, les soldats chinois, aidés des milices locales ont réussi à fermer aux hordes lamaïques le défilé de Lota et de la sorte efficacement protégé la colonie chrétienne

que le chef indigène de Yetché avait accueilli sur son territoire. La nouvelle des victoires dans la région de Bathang, répandit la terreur dans les rangs des révoltés d’Atentsé. Ils s’enfuirent en grand nombre dans les vallées du Tsarong. Les troupes yunnanaises réoccupent sans coup férir Atentsé et les lamaseries voisines. Les chrétiens de Tsékou peuvent ainsi rentrer dans leur village et ramasser le peu qui restait de leurs récoltes. A Atentsé, le commandant Kiang découvre sous les décombres de la lamaserie les chefs précieux des martyrs (les têtes des PP. Dubernard et Bourdonnec) et s’empresse de les faire porter au Père Genestier qui cherchait avec l’intendant de circuit Ly, à remédier à l’extrême disette des chrétiens.

Comme la route d’Atentsé est libre, le Père Vignal qui avait rejoint le groupe des Chrétiens fugitifs dans la vallée du Mékong, se met en route avec eux. Le premier décembre, ils arrivent à Atentsé où l’autorité chinoise leur impose une escorte. Au village de Napou – (c’est là que sera assassiné en 1940 le Père Nusbaum, curé de Yerkalo) – on apprend que quelques persécuteurs rôdent dans le voisinage et on saisit l’un d’eux que le chef militaire de l’escorte décapite sans autre forme de procès.

Arrivé à Yerkalo ce capitaine s’aperçoit un peu tard qu’il a outrepassé ses droits et rejette la faute sur le missionnaire. Disons de suite pour en finir avec cette noire calomnie, que le Père Vignal, appelé à comparaître devant la cour mixte de Mongtse, fut acquitté par ses juges à l’unanimité et qu’il se retira à Hongkong, où il prête un concours apprécié.

A peine réinstallé officiellement dans la mission de Tsékou, le Père Genestier s’occupa du transfert des dépouilles mortelles des martyrs. Sur le parcours de Yetché à Tsékou un détachement de soldats leur rend les honneurs. Le cortège arrive au pont de corde de Tsékou le 15 février 1906; là tous les maires des villages le reçoivent à genoux en signe de réparation. Le Père Genestier célébra la Messe sous la plus grande tente devant une foule respectueuse et émue, puis, à l’issue de la cérémonie religieuse, les cercueils furent déposés dans les tombes creusées au dessous des ruines de la chapelle du Sacré Cceur.

Le Père Théodore Monbeig reste pendant ce temps à Tali et à Yunnanfu; en tant que délégué provincial ou Supérieur des missionnaires, il traite d’abord l’affaire
du Père Vignal et rencontre de nombreuses difficultés.

D’abord l’affaire Vignal est portée devant toute l’opinion publique chinoise. La diplomatie impériale s’en sert pour attaquer les missionnaires. Nous disposons du compte rendu que le Père Monbeig en fait au Supérieur Général des Missions Étrangères de Paris. Elle est très proche du récit que nous avons fait ci-dessus : Yunnansen, le 22 mars 1906 :

En décembre dernier (1905) nos Pères survivants revinrent dans leurs postes respectifs. Les mandarins chinois leur assuraient que les routes étaient sans danger Le Père Vignal revenait donc à Yerkalo. Malgré l’assurance des mandarins, il faillit être victime de deux guest-apens; son escorte de soldats le protégea suffisamment.

Arrivé dans un autre lieu, il se trouva au milieu de plusieurs lamas et thibétains qui, quatre mois avant, l’avaient poursuivi pour le tuer Le Père, échappé à tant
de péril, effrayé par cette rencontre, donna ordre à ses gens de prendre un de ces lamas. Les chrétiens dépassant les intentions du Père, se jettèrent sur lui et le tuèrent.

Le père Vignal écrivit au mandarin du lieu pour lui rendre compte du fait. Celui-ci crut trouver une arme contre nous, et accusa le Père au vice-roi du Yunnan d’avoir commis un acte illégal. L’affaire est portée à Pékin et de là  les journeaux chinois et autres en font l’objet de leur commentaires.

Il est probable que sous peu ce fait défiguré et considérablement augmenté, sera connu en France. Devant cette éventualité, et sur le conseil du Père Maire, j’ai cru devoir vous en avertir. Quoique le Père Vignal se soit trouvé dans un cas de légitime défense, ce fait est souverainement regrettable à tous les points de vue.

Je suis chargé de terminer son affaire ici. Il faudra également trater ce cas avec les chinois. Quoi que je rende compte à Mgr Giraudeau de mon mandat, je tiendrai à vous faire part de l’issue de cette affaire épineuse. . . 

En fin d’année 1906, le père Théodore Monbeig rejoint Tsékou. Les négociations sont terminées, l’affaire Vignal est à peu près réglée après  le jugement de Mongtsé qui innocente le missionnaire sauf du chef de complicité indirecte. Le Père Monbeig avait beaucoup parlé—de cette affaire avec l’explorateur-tibétologue Jacques Bacot lors de son premier voyage au Thibet 1905-1906: « Vous avez appris sans doute l’acquittement complet du père Vignal. Cela nous est ici une bien grande joie et je ne doute pas que vous la partagiez», lui écrit-il le 18 mars 1907.

dmc en la fête de Saint Etienne 2016