Skip to main content

CELIBAT-DEVIANCES-HOMOSEXUALITE

Le célibat est-il la source de déviances?

Il est impossible de passer sous silence les affaires de pédophilie qui ont impliqué des prêtres. Depuis une douzaine d’années, les procès d’ecclésiastiques pervers se sont succédés, pour le grand bonheur des médias avides de sensationnel. Il s’agit sans conteste de la crise de confiance la plus grave que l’Église ait traversée ces dernières années et la figure du prêtre s’en est trouvée durablement humiliée.

La crise pédophile a surtout révélé que la loi du silence et l’impunité étaient trop souvent la règle dans l’Église catholique, dont les cercles ressemblent parfois à une mafia. Ici, c’est moins le célibat qui est en cause que le fonctionnement collectif, en vase clos, d’hommes devenus incapables de regarder en face leurs problèmes.

Le célibat en question

On a ainsi incriminé une certaine mentalité qui pousse le clergé — qui se voit toujours plus mis à l’écart à cause d’un célibat de moins en moins compris dans une société hypersexualisée — à se réfugier dans une bulle, où il cultive ses propres règles : une mentalité de non-transparence, à l’abri du regard des profanes. Cette mentalité aggrave les phénomènes de déni du réel et de tendance à l’omerta.

Au sujet du lien entre pédophilie et célibat, le lien n’a jamais été scientifiquement établi entre la continence et cette perversion sexuelle, qui concerne, statistiquement, davantage les hommes mariés. En revanche, il n’est pas à exclure que le célibat ait pu attirer des personnalités d’une grande immaturité affective et sexuelle, voire d’une nature perverse ou clivée.

L’Église a le devoir de débusquer ce type de personnalités et de faire en sorte qu’elles n’entrent pas dans la prêtrise. On constate qu’elle n’y parvient pas toujours, en dépit d’une vigilance accrue dans le discernement exercé au sein des séminaires. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela : le manque de courage à regarder en face la sexualité, la complaisance ou l’aveuglement de ceux qui décident de l’ordination. De surcroît, le propre de la perversité est de savoir se travestir en respectabilité. Des tendances latentes, non repérables avec la meilleure volonté possible, peuvent aussi se développer après l’ordination. Si le pape François a décrété la « tolérance zéro » face aux crimes de pédophilie, le « risque zéro» est une utopie quand un évêque ordonne un prêtre. L’immaturité sexuelle et affective, souvent évoquée, est difficile à qualifier, et tous les « immatures sexuels» ne deviennent pas pédophiles.

Certains prêtres présentent d’évidents blocages affectifs et le célibat peut être un lieu qui, dans un premier temps, renforce la possibilité de se protéger de ses émotions profondes, de se rendre intouchable. Mais on doit aussi reconnaître que maintes personnes mariées sont aussi perturbées sur le plan affectif et émotionnel.
Bilan provisoire: Le célibat sacerdotal peut être le refuge pour des hommes d’une maturité insuffisante. Mais il n’est certainement pas la « cause» originelle de la pédophilie ou d’autres symptômes de mal-être personnel. Au pire sera-t-il choisi comme stratégie d’évitement ou de masque par certains. Mais cela ne permet pas d’affirmer qu’il est, pour tous les prêtres, un risque pour l’équilibre personnel.

Le célibat est-il un refuge pour les homosexuels?

En novembre 2005, l’Église édicte des normes pour éviter l’ordination d’hommes « qui présentent des tendances homosexuelles profondément enracinées ». Ceci revient à reconnaître que de nombreux prêtres sont effectivement dans ce cas, certains « pratiquant » leur sexualité, d’autres se tenant à une stricte continence. Le même texte évoque aussi une « culture gay» chez certains prêtres. C’est la première fois que le sommet de la hiérarchie de l’Église reconnaît ce problème.

Le Vatican instaure alors une vigilance accrue à l’encontre des homosexuels enracinés et militants, tout en ménageant une zone de flou pour les candidats ayant des tendances homosexuelles non structurelles : «Au cas où il s’agirait de tendances homosexuelles qui seraient seulement l’expression d’un problème transitoire, comme, par exemple, celui d’une adolescence pas encore achevée, elles doivent de toute façon être clairement dépassées au moins trois ans avant l’ordination diaconale. »

L’instruction place chacun devant ses responsabilités :

Si un candidat pratique l’homosexualité ou présente des tendances homosexuelles profondément enracinées, son directeur spirituel, comme d’ailleurs son confesseur, ont le devoir de le dissuader, en conscience, d’avancer vers l’ordination […1. Il serait gravement malhonnête qu’un candidat cache son homosexualité pour accéder, malgré tout, à l’ordination. Un comportement à ce point inauthentique ne correspond pas à l’esprit de vérité, de loyauté et de disponibilité qui doit caractériser la personnalité de celui qui estime être appelé à servir le Christ et son Église dans le ministère sacerdotal.

Le célibat en question

Difficile sans doute de faire la part entre des tendances transitoires et des tendances enracinées… La question rejoint une autre affaire, celle de la guérison ou de la réorganisation des pulsions dans le cadre d’une maturation personnelle ou d’une thérapie, débat sur lequel les experts sont loin d’être d’accord.

Dans son livre Le nouveau visage des prêtres’, le prêtre américain Donald Cozzens consacre un long développement sur le nombre croissant de prêtres et de séminaristes concernés par l’homosexualité. «Il est vraisemblable que la prêtrise du xxie siècle sera perçue comme une profession majoritairement homosexuelle. » Il rappelle que le cardinal préfet de la Congrégation pour le clergé, Mgr Oddi, avait évoqué le problème dès 1985. Le sociologue James Wolf estime, lui, que la moitié du clergé américain est gay (48 % des prêtres, 55 % des séminaristes), avec un pourcentage plus élevé pour les prêtres de moins de 40 ans. Le père Cozzens va jusqu’à livrer une confidence qui lui a été faite : «J’ai entendu un prêtre, membre d’un ordre religieux ayant une longue expérience dans la formation et la direction, déclarer publiquement [.. .] que 80 % des membres de son ordre, sur l’ensemble de la côte Est des États-Unis, étaient homosexuels. » Il souligne que dans certains lieux, la «sous-culture» gay est si prégnante que les séminaristes hétérosexuels se sentent mal et finissent par partir : ces sous-groupes gays créent des tensions qui mettent en péril l’unité et l’intégrité de la communauté.

Dans le contexte français, les choses sont sans doute moins marquées, mais il est indéniable que l’homosexualité est présente chez les clercs, parfois latente, souvent déclarée. Il n’est pas si rare qu’un prêtre quitte le ministère ou qu’un séminariste quitte le séminaire pour cette raison.

Le célibat représente-t-il un alibi dans ce contexte ? Il est probable que, jusqu’à la période, très récente, de la banalisation sociétale de l’homosexualité, des hommes ayant un fort attrait pour la spiritualité et ne pouvant se marier aient choisi la prêtrise pour « sublimer » leurs pulsions. Donald Cozzens explique que la découverte, par un jeune homme, de son homosexualité, peut s’éprouver comme un désir mêlé de terreur : «Ce désir mêlé de terreur donne à un jeune catholique homosexuel de puissantes motivations pour envisager sérieusement une vie de prêtre ou de religieux.» On peut aussi épiloguer sur le rôle que jouerait la sacralisé, notamment liturgique, dans l’attrait pour le sacerdoce, ou dans l’évitement de cette vérité intime (on se projette dans un monde sacré pour fuir ses démons ou expier ses péchés). 

L’historien John Boswell, de l’Université de Yale, explique que la vie consacrée, depuis le Haut Moyen Âge, a été un refuge pour des hommes et des femmes soucieux d’échapper aux « rôles stéréotypés attribués à leur sexe par la société», jusqu’à l’existence de «couples » gays dans les couvents. La thèse est à prendre avec beaucoup de prudence si l’on sait que Boswell est un militant de la cause homosexuelle et que ses travaux ne font guère l’unanimité.

Il n’en demeure pas moins qu’un jeune séminariste concerné par l’homosexualité choisit, avec le célibat, un style de vie qui peut lui permettre de vivre son état sans avoir à l’assumer officiellement, c’est-à-dire sans avoir à expliquer à ses proches pourquoi il ne fait pas alliance avec une femme.

En pratique, l’Église exige de son ministre le célibat, la chasteté et la continence. Objectivement, donc, la tendance sexuelle du prêtre engagé au célibat ne devrait pas entrer en ligne de compte.

Mais un certain nombre d’observateurs insistent sur le fait qu’un prêtre ne peut pas être homosexuel dans la mesure où, étant le représentant sur terre du Christ Époux de l’Église, il doit être, de façon potentielle un époux humain et avoir renoncé au mariage et à la génération d’enfants, renoncement symbolique qui n’existe pas pour le prêtre homosexuel.

Un homme ayant des tendances homosexuelles « mentirait » en devenant prêtre. D’autres affirment que l’homosexualité, causée par une forte immaturité psycho-sexuelle, pousse, davantage que l’hétérosexualité, à rechercher la gratification narcissique, ce qui amoindrit la capacité de don du prêtre. Cette dernière opinion est loin de faire l’unanimité. Elle ne prend pas en compte le fait que, par le passé, des prêtres marqués par l’homosexualité ont pu trouver dans le sacerdoce leur épanouissement, voire devenir des saints, après avoir «sublimé» leurs pulsions. S’ils sont difficilement identifiables, ils ont dû exister’.

Cette ligne « dure » de l’Église s’explique aussi par une autre réalité. Les investigations du Vatican sur les déviations sexuelles des clercs ont montré que la plupart des actes répertoriés comme pédophiles étaient des abus perpétrés sur des adolescents post-pubères, ouvrant la catégorie d’« éphébophilie », qui se rapproche de la problématique homosexuelle.Ceci entraîne une plus grande défiance face à l’homosexualité, même si les problématiques psychiques sont totalement différentes’.

Bilan provisoire: le célibat sacerdotal peut constituer un alibi pour des catholiques qui auraient des tendances homosexuelles. Mais la formation au séminaire doit être un temps de discernement sur les véritables motivations du futur prêtre. Si le prêtre ayant des tendances homosexuelles est chaste et totalement donné à sa charge et au Christ, le célibat n’est pas une « planque », mais un lieu d’accueil de la grâce dans l’humilité.

Extrait tiré de l’oeuvre de feu Jean MERCIER intitulée “Célibat des prêtres – la discipline de l’Eglise doit-elle changer ?” DDB-Desclée de Brouwer – Paris 2014

dmc