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Je n’ai pas de convictions

«Et voici un autre mystère: ce que je dis ici n’exprime pas mes convictions. Le mystère se résume à ceci: je n’ai pas de convictions. Je n’ai que des réactions plus ou moins prévisibles à tout ce à quoi je dois faire face: des stéréotypes comportementaux. Les convictions sont le propre de l’homme occidental, non de l’homme soviétique. Au lieu de convictions, ce dernier a des stéréotypes comportementaux qui n’impliquent aucune conviction et qui sont donc compatibles avec toutes. Nombre de malentendus dans la manière dont les Occidentaux jugent le comportement des Soviétiques découlent d’un mélange de convictions et de stéréotypes comportementaux dénués de convictions.

Si quelqu’un d’autre affirmait ce que j’affirme, j’entrerais en polémique avec lui. Si vous voulez connaître la vérité, commencez par vous mettre vous-même en question. Je ne dis pas ceci par conviction, uniquement pour le trait d’esprit, parce que je n’aspire pas non plus à la vérité. L’existence de convictions chez l’homme est un signe de sous-développement intellectuel. Elles ne font que compenser son incapacité à comprendre rapidement et exactement tel ou tel phénomène dans sa réalité concrète. Ce sont des injonctions a priori pour agir dans des situations concrètes sans en comprendre le caractère concret.

L’homme à convictions est rigide, dogmatique, assommant et, comme il se doit, stupide. Le plus souvent, d’ailleurs, les convictions n’ont aucune influence sur la conduite des gens. Elles ne font qu’enjoliver la vanité, justifier les consciences troubles et masquer la sottise.»

ALEXANDRE ZINOVIEV

Homo Sovieticus, L’Age d’Homme, 1982, ANTIPRESSE DU 17 FéVRIER 2019 – DRONE 058