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LAURENTI SIAO (ancien) PRETRE

En novembre 1996, j’ai fait un petit voyage en Chine continentale. J’ai visité Pékin et la capitale provinciale du Shensi où, le 17 novembre, j’ai assisté à l’ordination sacerdotale de Laurenti Siao, le deuxième prêtre d’origine et de culture tibétaine. Le long travail d’évangélisation des Tibétains de l’Est entrepris par les Pères des Missions étrangères de Paris — MEP — secondés ensuite par les chanoines du Saint-Bernard, mûrit lentement.

Grâce à l’audace et au courage des Pères MEP, à partir de 1860, les premières communautés catholiques purent germer dans les Marches tibétaines, zone tampon entre la Chine et le Tibet dépendant directement de Lhassa où la religion chrétienne était toujours strictement interdite. Quelques fidèles tibétains, une dizaine de prêtres MEP et finalement le chanoine Maurice Tornay versèrent leur sang, victimes de la haine suscitée par les lamas. En 1905, Yerkalo reçut son baptême de feu: onze fidèles et le Père Bourdonnec sont massacrés.

En 1932, par suite d’un accord frontalier, la zone des Salines —Tsakalo — passe sous la juridiction de Lhas¬ sa; cependant les Chinois et les catholiques peuvent conserver leurs propriétés. Ainsi Yerkalo devient la première et l’unique paroisse dépendant temporellement du Gouvenement de Lhassa.

C’est à Yerkalo également qu’éclot la vocation du premier prêtre tibétain. Voici le début du rapport nécrologique que le Père F. Goré publia dans le Bulletin MEP de 1948: «Le Père Télesphore Hiong naquit en 1860 au Dégué où ses parents étaient d’assez riches pasteurs. Un jour des brigands survinrent, tuèrent le père, enlevèrent le troupeau; la mère resta seule avec six enfants. Les malheureux devinrent mendiants et s’en allèrent en pèlerinage au Khawakarbo. En passant à Yerkalo, un chien mordit grièvement l’un des enfants qui fut conduit chez le missionnaire pour y être soigné. Pendant cette halte forcée, les pèlerins eurent naturellement connaissance du catholicisme. Ils l’étudièrent et l’embrassèrent. Au baptême, un des fils fut nommé Télesphore. Remarqué par son intelligence et sa piété, il fut envoyé à Tatsienlu (Kangding en chinois), centre épiscopal des Marches tibétaines et de là au séminaire… Télesphore devint, en 1891, le premier et, jusqu’à ce jour, le seul prêtre tibétain… Il mourut le 6 février 1945 à Kangding.

Descendant d’un frère du Père Hiong, les grands-parents paternels de Laurenti vivaient à Siao-Weisi où les desservants de la mission, les cha-noines Paul Coquoz et François Four¬nier, les connaissaient bien: madame secondait les Pères pour la formation des jeunes. Après l’arrivée des communistes le père de Laurenti monte
travailler dans les environs de Yerkalo. Il épousa une chrétienne de l’endroit et s’y établit. Laurenti, le cadet de la famille, y est né en 1969.

Enfant, Laurenti perdit son père. La plupart du temps, il allait faire paître les troupeaux familiaux en montagne avec son frère aîné. A douze ans, il commença des cours primaires de rat¬trapage.

Lors des persécutions, les fidèles les plus fervents avaient emporté en cachette dans leur famille des objets sacerdotaux et les conservaient pré-cieusement. A quatorze ans, en fouillant dans sa maison, Laurenti découvre une étole. Intrigué, il questionne sa mère:

L . A quoi sert cette écharpe ?
M. — Ce n’est pas une écharpe, c’est un vêtement employé par les prêtres.

L. — Qu’est-ce qu’un prêtre? Que fait-il?
M. — C’est quelqu’un qui nous parle de Dieu, qui nous aide à prier…

L . — Eh bien, moi je veux être prêtre; que faut-il faire?
M. — C’est très diffcile, jamais tu n’y arriveras!

L. — Maman, ça ne fait rien, je veux essayer; que dois-je faire?
M. — Je ne sais pas très bien. La der¬nière fois que j’ai vu un prêtre, je n’avais que 14 ou 15 ans. Il était chassé de Yerkalo par les lamas (il s’agit du chanoine Maurice Tornay). Nous pleurions tous. Essaie d’aller interroger Agni.

Agni est une Soeur tibétaine. Contrainte de retourner dans sa famille, elle a toujours fait son possible pour soutenir et former les catholiques de Yerkalo. Elle a actuellement plus de 80 ans.

Agni encouragea Laurenti, l’aida à approfondir sa foi et sa vocation sacerdotale. Assez doué, Laurenti réussit facilement les examens et put aller poursuivre ses études secon¬daires. à Markam. Il apprit également que dans ses ascendants paternels, il y avait déjà eu un prêtre. Or d’après les traditions tibétaines locales, les nou¬velles générations doivent poursuivre l’oeuvre commencée par les anciens. Ainsi, le fait de se sentir appelé à relever le flambeau porté par le Père Télesphore Hiong le soutenait dans son cheminement spirituel.

Durant ses études, à plusieurs reprises, il présenta au Bureau des affaires religieuses de Qamdo (centre administatif du Tibet de l’Est) sa demande d’être admis à un séminaire, mais il ne recevait toujours pas de réponse. Encouragé par Agni, en 1992, il fit une dernière demande se disant que s’il ne recevait toujours pas de réponse, il allait préparer les examens d’entrée à l’université. Un mois plus tard, il reçut une lettre officielle stipulant que «vu qu’il avait presque terminé le collège et qu’il était origi¬naire du Tibet, il était admis sans exa¬men préalable au Séminaire national de Pékin à l’ouverture des cours en septembre 1992».

La première année de séminaire fut pénible, car il n’avait pas suivi les cours spéciaux de doctrine chrétienne, donnés dans les petits séminaires. De plus, au Tibet il avait bien reçu une formation bilingue, mais il s’expri¬mait plus aisément en tibétain qu’en chinois.

Il fut diplômé en juin 1996. Après deux mois de stage pastoral dans la province du Shandong, il reçut l’autorisation de se faire ordonner prêtre. Il aurait aimé que cette cérémonie se passe à Yerkalo, mais vu les difficultés du voyage, cela s’avérait impossible. Finalement on lui permit de se faire ordonner prêtre à Xi’an par Mgr Li Du-An, en même temps que neuf séminaristes diplômés du Grand Séminaire de Xi’an, cette ville étant presque à mi-chemin entre Yerkalo et Pékin. De plus, me dit-il, Mgr Li Du- An est plus ouvert: il essaie de com¬bler le fossé séparant «Eglise patrio¬tique» et «Eglise souterraine». Plus d’une fois, il s’est rendu au poste de police pour cautionner de son autorité officielle des prêtres de l’Eglise souterraine qui avaient été arrêtés et les faire libérer.

Vendredi 15 novembre, je rends visite à Mgr Li Du-An. Situé au fond d’une ruelle boueuse que la municipalité est en train d’élargir, l’évêché est vétuste mais propre: aucun luxe et un confort relatif. Monseigneur me parle un peu de son diocèse, du séminaire, des nombreuses églises réparées ou reconstruites par les fidèles eux- mêmes. Il m’invite à concélébrer à la messe d’ordination de dimanche. «Ici à Xi’an, me dit-il, nous sommes habi¬tués à célébrer avec des prêtres étrangers de passage.»

La cérémonie d’ordination débutant à midi, avant la messe, à l’évêché, je fais connaissance avec les quelques personnes venues spécialement pour partager la joie de Laurenti.

Possédant une camionnette, le frère aîné de Laurenti prit à bord sa maman et le chef de la communauté catho¬lique de Yerkalo. Après deux jours et demi de route, ils arrivent à Kangding et vont rendre visite à Li Lun. D’ascendance sino-tibétaine, Li Lun a étudié au Grand Séminaire de Chengdu. Ordonné prêtre il y a trois ans, il est pour l’instant l’unique prêtre de la partie est de l’ancien diocèse de Kangding. Après un jour de repos, les quatre se mettent en route. Le lendemain, ils arrivent à Chengdu. Encore 17 heures de train et ils seront à Xi’an.

Le troisième frère aîné de Laurenti fait carrière dans l’administation. Temporairement il suit des cours de perfectionnement à Lhassa. En deux heures d’avion, il est venu de Lhassa à Xi’an.

Des provinces voisines sont venus quelques prêtres, condisciples de Lau¬renti au séminaire de Pékin. Ils parlent avec spontanéité et enthousiasme de leur vie commune au séminaire et de leur joie de nouveaux prêtres. Sont présents également deux jeunes laïcs originaires du Shandong où Laurenti a fait son stage pastoral; ils ont voyagé en train un jour et une nuit.

Vers midi, nous nous frayons diffi¬cilement un chemin vers l’autel de la cathédrale de Xi’an pleine à craquer mais cependant trop petite pour contenir les deux mille personnes qui s’y étaient rassemblées. Les trompettes résonnaient comme aux grands jours de fête. Une quinzaine de prêtres concélébrants, dont trois étrangers, précédaient les dix diacres suivis de Mgr Li Du-An.

La messe d’ordination dura deux heures. La chorale exécuta de beaux chants polyphoniques en chinois, d’après des mélodies latines. Monseigneur fit une homélie un peu moralisante. En tout point conforme au nouveau rituel catholique, simple et recueillie, la cérémonie était émouvante: on sentait respirer le peuple de Dieu rassemblé autour des prêtres et de l’évêque pour chanter la louange de Jésus-Christ qui vient à nous par l’Eucharistie.

Le soir Laurenti me confia: «On m’a bien proposé de poursuivre les études et même d’aller étudier à l’étranger, mais mon coeur est déjà à Yerkalo où les chrétiens attendent depuis si longtemps qu’un prêtre réside à nouveau au milieu d’eux. J’emporte dans mes bagages une jolie crèche de Noël que j’ai achetée à Pékin. Cette année, pour la première fois depuis bien longtemps, ce sera vraiment Noël à Yerkalo.»

Chanoine Daniel Salzgeber