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LES CHANOINES DU GSB AU YUNNAN (3)

 La mission face au régime communiste

Les forces de l’Armée Populaire de Libération n’occupèrent la pointe nord-ouest du Yunnan qu’au cours du printemps 1950. Elles ne rencontrèrent qu’une résistance plutôt faible et furent accueillies très favorablement par une population durement éprouvée durant des mois par les violences et les pillages effectués par les milices tibétaines et celles des chefs locaux:

“Au début de 1950, la “libération” par les milices régulières rouges fut accueillie avec soulagement par la population de Weisi et par les diverses peuplades de cette région frontière. Les Tibétains, par leurs pillages et leurs excès avaient travaillé en faveur des communistes”.

Dispersés dans cinq stations, six chanoines du Grand Saint-Bernard étaient à cette époque actifs au Yunnan: cinq dans la vallée du Mékong et un dans la vallée du Nu .liang. A ceux-ci s’ajoutait le volontaire laïc Robert Chappelet qui, après avoir travaillé à son compte et servi dans l’armée américaine,’ si avait repris fonction au sein de la mission et se trouvait avec Louis Emery dans la vallée du Nu Jiang.

Les premiers mois qui suivirent l’arrivée des forces communistes furent caractérisés par un calme relatif. Grâce au rétablissement de l’ordre, les missionnaires espéraient pouvoir relancer leur activité’ après les pillages qui avaient affaibli la mission au cours de 1949:

“Nos “libérateurs” ne mettaient pas d’obstacle à nos activités religieuses, et les missionnaires de la Salouen [Nu Jiang] et du Mékong, Suisses et Français, avaient repris avec enthousiasme leur travail apostolique.”

Malgré de petits problèmes quotidiens, cette situation, plutôt privilégiée par rapport au reste de la Chine, se prolongea durant des mois. “Nous jouissons encore de la liberté la plus complète, et les permis de circuler nous sont octroyés sans difficultés”Im écrivait le père Lovey encore en novembre 1950, sans pourtant cacher l’incertitude régnant sur le futur.

Il est vraisemblable que les difficultés des communistes à contrôler les régions reculées de la province contribuèrent à cette situation. En effet, de vastes régions du Yunnan continuaient à échapper à un contrôle effectif des forces gouvernementales. Le régime nécessita donc de quelques mois pour se consolider dans une zone importante en vue de la “libération” du Tibet qui se préparait.

Dès l’automne 1950, des restrictions émises par les nouvelles autorités chinoises furent progressivement imposées à la suite d’une campagne contre les “superstitions”. Cette campagne toucha la mission, même si l’enjeu principal au niveau local concernait probablement l’affaiblissement des lamaseries, sans pourtant les briser car cela aurait provoqué une réaction populaire hostile. Les contraintes, surtout logistiques, suite aux opérations militaires liées à l’invasion du Tibet qui débuta le 7 octobre, imposèrent plusieurs restrictions comme l’occupation des bâtiments de la mission.

Les premiers Bernardins touchés furent les trois missionnaires résidant dans la sous- préfecture de Weixi. A la fin novembre, les autorités ordonnèrent leur regroupement dans le chef-lieu dès le ler décembre pour, officiellement, mieux en assurer la sécurité. Vers la fin de l’année, le processus de regroupement des missionnaires s’étendit à la sous-préfecture de De Qin. Le père Savioz fut sommé fin décembre de se joindre aux deux autres missionnaires du district, soit au chanoine Lovey et au père français Goré. Fin février, ces trois furent emmenés à Weixi. Dès lors, dès le ler mars 1951, tous les missionnaires du haut Mékong, 5 Suisses et un Français, étaient réunis dans cette ville. L’apostolat de maintien des années quarante se transforma en apostolat de présence. Ce regroupement, provisoire selon les promesses chinoises, se révéla en réalité permanent bien que le ministre de Suisse à Beijing fût saisi du cas. Alarmée déjà lors du premier regroupement, la Légation de Suisse était intervenue sans pourtant obtenir gain de cause. A Beijing, le Ministère des affaires étrangères se retrancha derrière la nécessité d’assurer la sécurité personnelle des missionnaires “contre les attaques possibles de la part de bandits”I85, après avoir tout d’abord prétendu que le rassemblement des religieux relevait de leur propre initiative.

Les chanoines furent bientôt confrontés à d’autres problèmes: un blocus de la correspondance qu’ils envoyèrent à la Légation durant les premiers mois de 1951, le montant des impôts exigés alors que la mission n’avait plus de revenus, l’occupation des bâtiments de la mission et le renouvellement des permis de séjour. La Légation intervint en soutenant les chanoines. Une solution put être trouvée quant aux impôts menaçant d’étrangler financièrement la mission qui n’était plus en mesure de recueillir ses revenus fonciers et il n’y eut apparemment plus d’interruption des liaisons postales.

Au-delà de ces problèmes concrets et même si les promesses concernant leur retour aux stations restaient sans suite, les missionnaires ne subirent pas d’autres contraintes à l’exception de leur liberté de mouvement qui était limitée à la ville:

“Nous vivons tranquillement à la Mission, vaquons à nos occupations, circulons au marché et même en dehors si nous le désirons; les chrétiens et les malades fréquentent la Mission comme à l’ordinaire, seuls les gens timorés se tiennent à l’écart de peur, sans doute, d’attraper la gale ou la peste avec les réactionnaires que nous sommes!”

Les déplacements en dehors étaient en revanche – comme un peu partout en Chine à cette époque – soumis à une autorisation. La mission put donc continuer son activité à Weixi. Les religieux hésitaient toutefois à rendre visite aux fidèles de peur de les compromettre aux yeux des autorités.

Les missionnaires montraient beaucoup d’élan et peut-être pas assez de flexibilité envers le nouveau régime. Le ministre de Suisse en Chine, Clemente Rezzonico décela de l’impatience chez les chanoines, alors qu’il considérait que la prudence devait plutôt s’imposer en pareilles circonstances. A ce propos, il intervint auprès de la maison mère en Suisse en rappelant que la présence des missionnaires en Chine était en soi déjà utile.  En fait, le réalisme des diplomates s’opposait au désir des missionnaires et de la hiérarchie catholique de rester sur place le plus longtemps possible.

Au cours de l’été 1951, la réforme agraire provoqua une dégradation de la position des chanoines. Le regroupement des missionnaires à Weixi avait éliminé un obstacle potentiel à la réforme agraire dans les zones rurales que les pères avaient dû abandonner. D’autre part, elle avait aussi mis les missionnaires à l’abri des “débordements”. La réforme agraire avait effectivement conduit en mai et en juin à des procès populaires contre les anciennes élites et contre les paysans riches. Plusieurs anciens notables et chefs de villages furent exécutés. Ces exécutions visaient à donner l’exemple, mais ne se déroulèrent pas systématiquement comme dans d’autres régions de Chine. La mission resta à l’écart du processus. En tant que propriétaire foncier, elle aussi était dans l’impossibilité de recueillir les revenus des fermages, mais elle ne subit ni procès ni violence contre ses membres.

Une autre campagne se superposa rapidement à la réforme agraire: celle qui ravageait le reste de la Chine depuis des mois contre l’Eglise catholique et plus particulièrement contre les missionnaires. Progressant du nord vers le sud et de l’est vers l’ouest, elle atteignit le Yunnan en août et en septembre. Elle s’estompa toutefois et ne toucha – en comparaison avec le reste de la Chine – que faiblement les régions reculées où se trouvaient les chanoines. Ceux-ci ne subirent ni violences ni procès. Certains déplacements furent autorisés, les services religieux continuèrent aussi pendant la réforme agraire, alors qu’ils étaient interdits un peu partout ailleurs. La pression des autorités s’exerçait sur les fidèles pour qu’ils adhèrent au mouvement des trois autonomies, plutôt que sur les missionnaires déjà isolés et surveillés. L’absence d’un clergé local rendait toutefois ce processus difficile, car aucune alternative autre que l’absence de vie religieuse ou une vie religieuse réduite à une pratique intérieure ne se présentait aux chrétiens.

Dans la vallée du haut Nu Jiang en revanche, les missionnaires ne subirent que des entraves mineures jusqu’en septembre 1951 quand la propagande antiaméricaine se tourna contre eux. D’un coup, ils devinrent des proscrits. La campagne contre l’Eglise catholique et ses missions avait donc frappé plus violemment que dans le haut Mékong. Ce débordement fut toutefois vite corrigé et un sursis fut obtenu suite à un entretien des missionnaires avec le chef communiste local, mais le répit ne fut que temporaire.

D’une part, l’exode des religieux de Chine continuait et les nouvelles du démantèlement progressif de l’Eglise catholique missionnaire arrivaient aussi dans ces régions reculées grâce à la propagande du régime. Conscients du cours des événements, les chanoines devaient savoir que la perspective de l’expulsion se profilait de plus en plus. Dans ce climat d’incertitude et de quasi-paralysie de l’activité pastorale, le père Coquoz décida de rentrer en Suisse: il partit le 26 octobre 1951. D’autre part, les encouragements ainsi que les interventions du ministre Rezzonico leur donnaient de l’espoir et entretinrent l’illusion d’un futur possible. L’existence de relations diplomatiques était perçue comme une garantie. De plus, chaque tourmente avait été suivie par une accalmie.

Cette fois, le calme fut de courte durée. Au début de 1952, les chanoines reçurent à leur grande surprise l’ordre de quitter la sous-préfecture. L’intervention de Rezzonico à Beijing n’empêcha pas l’expulsion. En fait, l’ordre semble s’être inscrit dans un mouvement d’expulsion touchant d’autres missionnaires français de la province. Voilà probablement la mise en oeuvre d’un plan pour renvoyer progressivement les missionnaires qui se trouvaient encore dans le sud-ouest.

Les chanoines du haut Mékong furent envoyés à Kunming où ils se retrouvèrent dans des conditions proches de l’internement. Cette situation les obligea à demander des permis de sortie. Leur expulsion, soi-disant un départ volontaire, conduisit ces chanoines à Hong Kong où ils arrivèrent le 12 mars 1952. Comme ce fut déjà le cas auparavant, les chanoines du haut Nu Jiang furent confrontés aux mêmes problèmes mais plus tard. Cela s’explique par l’impraticabilité des cols durant l’hiver. Les deux missionnaires suisses et leur collègue français furent expulsés de la vallée du haut Nu Jiang au mois de mai (officiellement, ils étaient invités à une conférence à Kunming) et ils arrivèrent à Hong Kong le 31 juillet.

Expulsés de Chine, les chanoines comme les autres missionnaires catholiques et protestantes, se mirent à la recherche d’un nouveau terrain d’apostolat. Ils le trouvèrent à Taïwan où ils se rendirent dès la fin d’août 1952.

Les conditions de vie des missionnaires du Grand Saint-Bernard sous le régime communiste furent généralement meilleures que celles de la plupart des missionnaires en Chine. Même en les comparant à d’autres missionnaires actifs dans le sud-ouest du pays, où la propagande semble avoir été moins virulente et la réforme agraire moins agressive et violente qu’ailleurs, ce statut de “privilégiés” demeure. Les chanoines pensaient que leurs conditions de vie plus au moins satisfaisantes résultaient des efforts de la diplomatie helvétique.

Un bilan de la mission sur l’ensemble de la période montre que le succès ne fut pas à la hauteur des efforts déployés. A plusieurs reprises, dans la correspondance des pères, on retrouve le constat amer de l’échec, des résultats maigres qui semblent être une constante des vingt ans de mission. Le nombre des fidèles, avec toutes les limites que ces statistiques comportent, l’indique bien. Il faut reconnaître cependant que la tâche était énorme alors que les moyens restaient fort limités196 et la structure bicéphale (Chapitre du Grand Saint-Bernard d’un côté et évêché de Kang Ding de l’autre) inadaptée.

Contrairement aux missionnaires de la SMB, les chanoines ne bénéficiaient d’aucune préparation spécifique pour l’activité missionnaire ni de l’assistance des religieuses. De plus, la congrégation n’avait aucune expérience dans le domaine missionnaire. Elle ne disposait pas non plus des ressources financières nécessaires. Le nouvel élan de l’après-guerre ne put donc être soutenu financièrement comme on le souhaitait au sein de la mission, car la guerre avait affaibli aussi la maison mère au Valais.

PS : Ces extraits ci-dessus sont tirés de la thèse (Université de Saint-Gall) intitulée « LA SUISSE FACE A LA CHINE – UNE CONTINUITE IMPOSSIBLE ? 1946-1955 » par Michel CODURI (Iseo –Tessin – CH) sous la direction des profeseurs Aloïs Riklin et Antoine Fleury – 2004

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