Skip to main content

LIBÉRER L’ÉCONOMIE DES IDÉOLOGIES

UNE INVITATION PRESSANTE DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’EGLISE…

À l’occasion de la 3e Journée nationale de la doctrine sociale de l’Église (Italie), Mgr Crepaldi, archevêque de Trieste, et président de l’Observatoire international Cardinal Van Thuân, spécialisé dans les questions liées à la doctrine sociale de l’Église, a rappelé que l’économie, telle qu’elle est pensée aujourd’hui, est impré­gnée d’idéologies multiples qui la déconnectent des réalités hu­maines. Étatisme, mondialisme, écologisme, égalitarisme etc., contribuent en outre à détourner cette économie de l’ “ordre fi­naliste de la société des hommes selon le plan de Dieu mis en oeuvre dans la Création et perfectionné dans la Rédemption.” Ce vers quoi tend justement la doctrine sociale de l’Eglise.

S.E. MGR GIAMPAOLO CREPALDI
Archevêque de Trieste

Le titre de mon discours fait le lien entre la doctrine sociale de l’Église et les idéologies dans le domaine éco­nomique. Je pense qu’il est utile de noter d’emblée que la doctrine sociale de l’Église s’oppose, par sa nature même, à l’idéologie parce qu’elle est réaliste alors que l’idéologie est toujours une dissimulation instrumentale de la réalité. Karl Marx l’a également définie ainsi, mais dans un système de pensée qui était à son tour idéolo­gique. Penser en fait – comme il l’a fait – que la vérité se fait par la praxis est une pure idéologie. Cette observation nous dit quelque chose d’important: il ne suffit pas de dénoncer et de critiquer les idéologies, il faut aussi le faire de manière non idéologique. Les idéologies s’accusent souvent les unes les autres d’être idéologiques, mais en restant toujours dans le jeu de l’idéologie. La doctrine sociale de l’Église, au contraire, le fait de l’extérieur, sans participer au jeu de l’idéologie. C’est ce que nous a dit Caritas in veritate de Benoît XVI, en nous rappelant que la vérité se donne elle­-même et n’est pas notre production.

L’idéologie est une production par laquelle nous voulons recouvrir la réalité et la vérité. La doctrine sociale de l’Église est au contraire réaliste. Elle pense que la vérité n’est pas idéo­logique, mais qu’elle nous libère des idéologies précisément parce qu’elle est reçue et non produite par nous. La vérité nous rend libres. L’idéologie est toujours un artifice, la doctrine sociale de l’Église ne l’est jamais. Au contraire, elle éduque l’intelligence et le cœur des gens à la réalité, au rai­sonnement juste, à une foi consciente et raisonnable, au développement véritable, à la confiance dans les ressources humaines et dans l’homme en tant que ressource. L’idéologie est pessimiste parce qu’elle ne voit la réalité que comme une falsification, alors que la doctrine sociale de l’Église est optimiste parce qu’elle refuse de masquer la réalité par une couverture favorable aux intérêts partisans. La doctrine sociale est «de l’Église» et l’Église est la fiancée du logos, de la sagesse et de la vérité. Les idéologies sont des masques, la doctrine sociale regarde le visage du Christ dans lequel le Père s’est révélé et qui révèle aussi le visage de l’homme.

UNE ÉCONOMIE BOULEVERSÉE

Je voudrais donner un exemple immédiat tiré de l’actualité pour nous aider à mieux comprendre ce contraste encre l’idéologie et la doctrine sociale de l’Église. Il ne fait aucun doute que l’actuelle pandémie Covid-19 a eu et aura des répercussions importantes sur l’économie. Je crois que, dans le tourbillon des informations qui nous parviennent à cet égard, deux éléments peuvent être considérés comme certains. Le premier est que l’impact sur l’économie réelle des entreprises et des ménages sera très lourd. À l’heure actuelle, les effets sont freinés par des mesures artificielles, mais cela ne peut pas durer longtemps. Le second est qu’il existe de nombreux centres de pouvoir politique et financier qui entendent utiliser la pandémie pour réorganiser l’économie mondiale d’une manière qui ne peut nous laisser en paix.

L’économie est donc actuellement en proie aux idéologies et la pandémie elle-même est gérée de manière idéo­logique. Nous nous rendons tous compte que les données ne nous par­viennent pas dans la bonne version, ou que la science et les scientifiques sont appréhendés selon des critères non scientifiques. Des intellectuels laïcs, comme Giorgio Agamben, par exemple, le soulignent. Une couverture idéologique a maintenant été mise sur la réalité de l’économie, également avec la collaboration des économistes. Le mot «économie» indique à la fois la réalité des relations économiques et la science économique. Il arrive que les économistes ne servent pas les besoins réels de l’économie, mais se soumettent à ses déviations idéolo­giques. Cela se produit lorsque «l’ensemble du système moral» de la société ne tient pas mais présente des fissures, voire de véritables effon­drements ou chutes. N’oublions pas que la science économique ne se caractérise pas par une rigueur absolue.

Bien sûr, il y a une rationalité éco­nomique, une économie par opposition à une «déséconomie», mais nous savons que les sciences humaines sont au plus bas niveau de l’échelle de la rigueur scientifique et que ce que Karl Popper a soutenu n’est pas vrai, à savoir que prévoir une éclipse de soleil revient à prévoir un krach boursier. L’économie dépend du système moral de référence. Jean­ Paul II nous a appris qu’un effondrement économique n’a jamais uniquement des causes économiques. Il y a un esprit d’entreprise humain qui précède l’esprit d’entreprise éco­nomique, comme nous le rappelle Caritas in veritate. L’économie dépend des idéologies quand elle l’oublie; la doctrine sociale de l’Église la sauve des idéologies qand elle le lui rappelle.

OÙ EST LA DOCTRINE SOCIALE DE L’ÉGLISE?

J’ai évoqué certains aspects de la situation actuelle car, en tant qu’évêque, je ne suis pas directement intéressé par la gouvernance de la pandémie, mais j’ai senti le devoir de faire une réflexion du point de vue de la doctrine sociale de l’Église. Je pense pouvoir dire qu’à ce stade, cela n’a pas été beaucoup utilisé et proposé. Le Salut a souvent été réduit à la santé et le bien commun a été fait pour coïncider avec l’application des restrictions ordonnées par le gouvernement. Ainsi, l’économie a été abandonnée aux idéologies. La doctrine sociale a des exigences qu’elle pose à l’économie, non pas pour la faire devenir une foi religieuse ou une éthique sociale, mais pour la rendre meilleure sur le plan économique lui-même, en ayant conscience qu’elle ne peut être séparée de l’éthique sociale et de la foi religieuse. La plus grande idéologie économique est que l’économie. est capable de se faire elle-même et que pour être une véritable économie, elle n’a besoin que d’elle-même. À partir de la correction de cette macro­idéologie, la doctrine sociale de l’Église intervient pour corriger une série d’idéologies économiques possibles. Je voudrais en citer quelques-unes à titre d’exemple, en essayant également de garder un œil sur l’actualité, notamment en Italie et en Europe.

LE DROIT À LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE

Parmi les principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église, il y a le droit naturel à la propriété privée, qui a toujours été présent dans le magistère social, de Léon XIII au pape François. Prévoyant sa déformation éventuelle, Léon XIII avait suggéré que les biens soient considérés comme propres en ce qui concerne la possession, mais comme communs en ce qui concerne leur utilisation. Cette distinction est d’ordre moral et est propre à la personne et à sa créativité. En outre, elle doit être réalisée dans le respect de l’ordre social, par exemple en passant d’abord par la famille et les organismes intermédiaires. En revanche, lorsque l’usage social de la propriété est imposé du haut d’un système politique centralisé, lorsqu’il est censé être mis en œuvre au moyen d’un système fiscal injuste – voire d’un système de vol -, lorsqu’une or­ganisation bureaucratique est mise en place pour ce faire et que son but est de le préserver et peut-être même de l’étendre, alors le principe du droit à la propriété privée est couvert par l’idéologie. C’est également le cas lorsqu’elle est opposée au principe de la destination universelle des marchandises, ou lorsqu’elle est comprise comme un ins­trument en relation avec celui­-ci, dépourvu de sa propre dignité, sinon comme un simple moyen d’atteindre la destination universelle. Les deux principes de la propriété privée et de la destination universelle des biens doivent être compris comme étant sur le même plan, j’ose dire comme les deux faces d’un même principe. Il est vrai que la, propriété privée est le principal moyen d’atteindre la destination universelle des biens, mais cela ne signifie pas qu’elle doit être comprise uniquement comme un instrument de dignité non pas originelle mais dérivée. En effet, elle est même présente dans le décalogue – c’est un élément de la loi naturelle et révélée.

LE CENTRALISME ÉTATIQUE

Je fais ces observations non pas pour célébrer l’exaspération individualiste de la propriété privée, mais parce que j’ai l’impression que la gestion idéologique actuelle de la pandémie vise à réduire ce principe par deux voies apparemment opposées mais désormais combinées. La première est la renaissance du centralisme étatique. La faiblesse de la population, l’alarme sociale, souvent induite, et l’isolement alimentent un besoin de protection qui donne à l’étatisme un espace inattendu. L’État central ne donne pas de grandes réponses aux problèmes sanitaires et sociaux qui découlent de l’épidémie, mais des cas comme celui de l’Italie, parmi beaucoup d’autres, témoignent de ces processus de recentralisation. L’autre voie, apparemment différente, est l’impulsion que la pandémie a donnée à la «société ouverte». Nous entendons par là une plus grande unification mondiale, la création de pouvoirs supranationaux forts, un métissage culturel post­religieux, une «obéissance» universelle dans nos mode de vie, l’acceptation d’une hiérarchie de valeurs produite artificiellement.

On dit que la pandémie nous oblige à travailler ensemble, qu’elle nous oblige à changer nos modes de vie, que nous devons éliminer les frontières. Il s’agit évidemment de pressions idéologiques qui s’appuient sur certains éléments de vérité et dé­forment ensuite le tableau d’ensem­ble. Par exemple, il est vrai que l’épidémie nous oblige à travailler ensemble, mais cela exige aussi que nous tracions des frontières et que nous ne négligions pas la contribution des acteurs de la société civile, tant au niveau local que national. Au mo­ment de l’urgence aiguë du printemps dernier, le volontariat non institutionna­lisé a apporté une contribution majeure. Il est vrai que nous devons changer les modes de vie en assumant non pas ceux imposés par un prétendu nouvel ordre mondial, mais ceux liés à la nature de l’homme, à la famille, à la vie. Comment se fait-il – on peut se le demander – que parmi les change­ments de vie proposés, il n’y ait jamais la redécouverte de la famille, du mariage, de la procréation à l’échelle humaine, de l’importance économique et écologique de la natalité?

L’écono­mie est ainsi colonisée d’une part, par un nouvel État, et d’autre part, par un nouveau monde, deux conflits idéologiques qui la transforment en une «déséconomie». Ils semblent distants les uns des autres mais convergent sur le critère du contrôle centralisateur que la doctrine sociale de l’Église a toujours rejeté.

UNITÉ DE LA RACE HUMAINE

J’ai abordé le thème du nouveau mondialisme. La doctrine sociale de l’Église a toujours enseigné le principe de l’unité de la race humaine. Une unité d’origine et de destin. Ce principe ne doit cependant pas être confondu avec les principales propositions mon­daines qui apparaissent aujourd’hui.

Nous ne devrions pas tolérer de malen­tendus sur cette question. Si nous poursuivons les idéologies qui prévalent aujourd’hui, nous finirons par contribuer à des solutions erronées et douloureuses. Nous ne pouvons pas non plus nous contenter d’une écoute nominaliste des propositions culturelles actuelles. Le mot “fraternité”, prend aujourd’hui
de nombreuses significations dont nous devons tenir compte dans toute leur diversité. Pour la doctrine sociale de l’Eglise, la fraternité ou la fraternité humaine se fonde sur deux niveaux. Le premier est d’ordre naturel: nous sommes frères parce que nous sommes tous des hommes, nous sommes égaux en dignité, nous foulons le même sol, nous vivons ensemble non pas pour des raisons de fait mais par vocation.

Ce niveau naturel nous donne également les règles de notre fraternité, c’est-à­-dire la loi naturelle et la loi morale naturelle, qui permettent à la fraternité ontologique de devenir également une fraternité morale.

Le décalogue est une loi de fraternité. En fait, elle est valable sous toutes les latitudes. L’autre plan est le plan surnaturel : nous sommes frères parce que nous sommes enfants de Dieu, enfants d’un seul Père. Le plan naturel est le plan d’une fraternité civique et éthique, le plan surnaturel est le plan d’une fraternité religieuse et salvatrice. Les deux plans sont en continuité l’un avec l’autre, car la nature se réfère au Créateur et le surnaturel au Sauveur, qui sont le même Dieu. Il ne me semble pas qu’il existe d’autres types de fraternités dignes de ce nom que ces deux-là. Je parle d’une fraternité fondatrice et originelle (cf. à cet égard l’encyclique Fratelli Tutti du pape François). Il peut y avoir des fraternités secondaires et dérivées, qui ne sont pas des fraternités au sens substantiel du terme, mais accidentelles ou métaphoriques.

Après cette in­troduction, nous arrivons au point qui nous intéresse. L’économie ne génère pas en soi la fraternité, mais elle peut l’aider si elle est guidée par une véritable fraternité dans les deux ordres mentionnés ci-dessus. Lorsque, d’autre part, le concept de fraternité est déformé pour des raisons imputables à l’économie, alors l’économie est également déformée.

Il me semble que c’est la situation dans l’Union européenne, où il y avait une certaine idée de la fraternité qui aurait dû animer l’économie, mais c’est finalement la nouvelle économie qui a demandé et obtenu un nouveau (faux) concept de fraternité. Du cadre culturel de l’Union européenne ont disparu à la fois le fondement naturel de la fraternité puisque les Cours européennes et le Parlement européen ne se réfèrent plus au droit naturel -, et le véritable fondement transcendant, qui ne peut être remplacé par une référence générique aux religions, quelles qu’elles soient.

UNE NOUVELLE RELIGION

Un fait que nous avons devant nous aujourd’hui semble réfuter cette dernière observation. En fait, une nouvelle religion semble être née en Europe et, par conséquent, il ne serait pas vrai que l’Union européenne ait abandonné la transcendance. Cette nouvelle religion est la religion écologique. Je sais que le douzième rapport de l’Observatoire du cardinal Van Thuân, qui sera bientôt publié, traitera précisément de ce problème: l’écologisme, ou le naturalisme ou l’environnementalisme.

Il faut reconnaî­tre que de nombreuses suggestions idéologiques qui concernent également l’économie proviennent de là aujour­d’hui. Elles nous disent que les sources d’énergie non renouvelables seraient là pour finir; mais en sommes-nous vraiment sûrs ? Ils nous disent que les émissions humaines, en particulier le dioxyde de carbone, sont la principale cause du réchauffement climatique. Mais en sommes-nous vraiment sûrs ? Ils nous disent que les centrales d’énergie renouvelable sont respectueuses de l’environnement. Mais sommes-­nous sûrs de cela? Ils nous disent que l’économie verte sera une économie légère, équitable et durable. Mais sommes-nous sûrs de cela?

Je n’entre pas dans le détail de ces arguments. Je suis un évêque et non un ingénieur en environnement. Mais même les évêques lisent et s’informent. J’ai donc appris que les pays européens ont une certaine quantité d’émissions autorisées. Un pays peut vendre des quotas de ses émissions à un autre pays. Cela a permis de construire une véritable bourse pour l’achat et la vente des droits d’émission, avec la création ici aussi de «produits dérivés» et l’acquisition d’énormes fortunes par la spéculation financière. Mais la nouvelle économie verte présente de nombreuses caractéristiques de l’ancienne économie financière. Je me souviens que dans les années du tournant du millénaire, on parlait beaucoup d’une e-économie, d’une économie électroni­que via le web, comme si c’était une libération.

AUCUN SALUT

Mais ensuite, j’ai lu quelques livres sur l’organisation du travail dans les centres de commerce électronique et je me suis rendu compte que les problèmes de l’économie étaient toujours là et qu’aucun véritable salut n’était arrivé.

Après tout, il est assez naïf de penser que derrière les propositions économiques, il n’y a pas d’intérêts cachés et que le très fort environnemenralisme actuel est libre et basé uniquement sur des idéaux.

L’écologisme actuel, s’il est appliqué selon des idéologies qui semblent le dominer, produit des injustices et affecte les pauvres. On dépense plus de ressources pour les chiens que pour les enfants, pour la recherche sur la salubrité de l’air que pour la défense de la vie, pour apprendre aux nouvelles généra­tions à respecter l’environnement plutôt que pour avoir des enfants. Dans Caritas in Veritate, Benoît XVI a mis en évidence avec beaucoup de clarté cette distorsion fondamentale de notre culture, qui désoriente l’économie de ses véritables objectifs. Des sommes énormes sont dépensées pour défendre la nature plus que pour défendre l’homme. L’idéologie d’une nature déshumanisée opère ici, mais à ce stade, ce n’est qu’un tas de pierres. Pensez, par exemple, aux prédictions récurrences sur l’épui­sement des ressources énergétiques. Elles négligent les ressources humaines, comme si tout était entre les mains de la matière et rien entre les mains de l’intelligence humaine.

LA NATALITÉ SACRIFIÉE

Le principal dommage économique produit par l’idéologie écologiste consiste à induire une réduction du taux de natalité. Si nous plaçons l’économie sur la consommation in­dividuelle et surcout superflue, une société sans enfants, sans famille, composée d’individus asexués ou polyvalents qui travaillent pour consommer et consomment pour travailler est certainement attractive pour des opérateurs économiques sans scrupule.

Mais si nous regardons l’économie réelle, nous voyons que s’il n’y a pas de famille et si les enfants ne naissent pas, le système dans son ensemble ne tient plus. L’idéologie antifamiliale et antinataliste est parmi les plus pernicieuses aujourd’hui.

Jean-Paul II avait bien souligné l’importance éco­nomique fondamentale de la famille qui est une école de travail, une raison d’épargner, un amortisseur social en cas de crise, un capital social, une éducation aux vertus civiques, une transmission des connaissances et des compétences entre les générations. Le manque de nouveau-nés entraîne un manque de vision de l’avenir de la part d’une société vieillissante, des coûts improductifs, une dépendance vis-à-vis des institutions politiques, une stagnation de la créativité au travail.

L’idéologie antifamiliale et antinataliste veut changer l’économie, mais le but est de faire d’une société antifamiliale et antinataliste une valeur commune. Son but est de priver les gens de leur famille et de leur vie. Et, attention, non seulement de nier la famille et la vie naturelle, mais de nier la Sainte Famille et la vie surnatu­relle.

S’il y a une diminution du nombre de magasins de vêtements pour bébés dans la société et une aug­mentation des centres de toilettage pour chiens, il est évident que derrière l’économie, il y a une idéologie qui subvertit les valeurs en jeu.

Mais gardons à l’esprit que la subversion des valeurs en jeu doit nécessairement aller jusqu’au fondement ultime des valeurs en question. Je pense sérieuse­ment que lorsque nous parlons d’économie ou d’écologie, nous n’avons pas toujours conscience de la valeur religieuse ou antireligieuse de toutes les idéologies qui s’y rattachent. Nous pensons que la question de Dieu n’a rien à voir avec elle alors qu’au contraire, elle est précisément la question centrale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la doctrine sociale de l’Église s’y intéresse. Si la question de Dieu était accessoire et mar­ginale et si les choses pouvaient bien se passer même sans Lui, la doctrine so­ciale de l’Église serait utile mais pas indispensable, comme nous le pensons.

Une vision idéologique de la vie, de la famille, de la nature, de l’économie n’est pas neutre par rapport aux conséquences religieuses. Je voudrais rappeler ici la quatrième thèse de Marx sur Feuerbach que j’ai lue dans la traduction italienne de Palmiro Togliatti: «une fois qu’on a découvert que la famille terrestre est le secret de La famille céleste, c’est la première désormais dont il faut faire la critique théorique et qu’il faut révolutionner dans la pratique.»

La famille naturelle est démolie, mais le but est de démolir la Sainte Famille. L’idéologie écologique est liée à l’idéologie antinataliste, car avoir plus d’un enfant est considéré comme une menace pour l’environnement au­jourd’hui. La politique de l’enfant unique est également présente dans nos sociétés occidentales.

LA DÉCROISSANCE ÉCONOMIQUE

Tout cela est à la base d’une autre idéologie qui est aujourd’hui très répandue, l’idéologie de la décroissance économique. Benoît XVI, dans Caritas in Veritate, liquide cette perspective en disant qu’elle manque de confiance en l’homme. Nous pouvons ici re­prendre ce qui a été dit précédemment: la nature ne doit jamais être considérée uniquement en elle-même, mais toujours en relation avec l’homme et son devoir de la dominer, de l’or­ganiser, de la faire produire pour l’hu­manité – selon la justice certes et non de manière imprudence -, mais aussi sans renoncer à sa position centrale: la nature est pour l’homme et non l’homme pour la nature.

Le concept de décroissance est désormais appesanti par une lourdeur idéologique très évidente. Elle ne signifie pas une simple prudence économique, mais indique un blocage du progrès et de la production de richesses, comme si le fait d’être tous les plus pauvres était en soi une garantie de justice et de paix. En ce sens, la décroissance a toutes les caractéristiques de l’utopie, ainsi que celles de l’idéologie.

Les différents millénarismes et paupérismes hérétiques que nous avons connus au cours de l’histoire ont exprimé le même concept. Mais l’Église les a toujours contestés et le travail acharné des moines a toujours pensé à humaniser la nature plutôt qu’à naturaliser l’homme. Pour ce faire, ils ont été poussés non seulement par l’amour de la nature, mais aussi par l’amour de l’homme, et surtout par l’amour de Dieu.

LA VALEUR DES DIFFÉRENCES

Les utopies ont toujours causé de grandes souffrances à l’humanité. L’utopie de la décroissance fait sienne l’utopie égalitaire, qui voit la dignité commune de l’humanité comme une identité existentielle.

Il est vrai que tous les hommes sont égaux en dignité essentielle. Toutefois, cela ne signifie pas qu’ils sont égaux en termes de dignité morale, ni qu’ils sont égaux en termes de conditions de vie. Lorsque les différences ne sont pas causées par l’injustice, elles représentent une valeur pour la société dans son ensem­ble, car tous les hommes n’ont pas les mêmes talents et ne sont pas tous capables du même engagement.

Lorsque le centralisme politique et économique prévaut, on risque de comprendre l’égalité comme un apla­tissement garanti par le système. Toutes les formes d’aide publique que nous avons connues au cours des dernières décennies ont plus ou moins commis cette erreur. L’idéologie égalitaire commet alors une autre erreur d’approche: elle pense que les inégalités sociales provoquent des inégalités morales, alors que c’est le contraire qui est vrai. Ce n’est pas la pauvreté qui produit l’immoralité, mais l’immoralité qui produit la pau­vreté.

J’en viens maintenant à la conclusion de cette intervention. En ce qui concerne les nouvelles idéologies éco­nomiques – celles que j’ai brièvement mentionnées et d’autres encore -, je crois que nous ne devons faire qu’une seule chose: garder à l’esprit tout le bagage de la doctrine sociale de l’Égli­se. Ses principes du bien commun, de la solidarité, de la subsidiarité, de la destination universelle des biens et du droit à la propriété privée, ainsi que ses références au droit naturel et au droit révélé, ses visions de la personne, de la famille, de la procréation, de l’autorité et de la liberté, de la fonction des sociétés naturelles et des corps intermédiaires, sa vision de l’unité du genre humain non pas comme une somme universaliste d’in­dividus mais articulée en peuples et en nations sont quelques éléments de ce bagage organique. Je ne pense pas qu’il suffise de corriger la vision idéologique unique, je pense plutôt que nous devons proposer à nouveau une image globale correcte. C’est le jour de la doctrine sociale de l’Église et notre engagement commun doit donc être envers elle, repris clans l’intégralité de sa tradition.

J’ai dit au début que la doctrine sociale de l’Église est réaliste puisqu’elle se réfère à un ordre finaliste de la société des hommes selon le plan de Dieu mis en œuvre dans la Création et perfectionné dans la Rédemption. Je pense donc que l’économie doit aussi être guidée par ce réalisme, en respectant l’ordre naturel et subsidiaire des compétences.

Aujourd’hui, la famille est privée de ses fonctions économiques physiologiques et est alourdie par des fonctions économiques artificielles. La vie est instrumentalisée et affectée par une économie qui lui est opposée. Le commerce effroyable de fœtus avortés ou le marché de la location de l’utérus le démontrent de façon dramatique. Le marché de la procréation artificielle ou le marché du suicide assisté dans les cliniques de la mort produisent de gros profits mais détruisent le sens de la vie.

L’éco­nomie de l’éducation et de la formation risque de ne pas éduquer plutôt que d’éduquer. Le commerce et la traite des êtres humains au sein des flux migratoires fortement dénoncés par le pape François, qui ne tiennent compte ni des personnes ni du droit à une patrie, déstabilisent les sociétés de départ et d’arrivée. Ensuite, l’économie doit repartir de ces petites/grandes choses: la vie, la famille, la responsabilité éducative, le peuple, la nation. Cc sont tous des éléments naturels, qui appartiennent à l’ordre finaliste de la société. Ils sont le moyen de libérer l’économie des idéologies qui la corrompent.

«Cours magistral» donné lors de la 3e Journée nationale de la doctrine sociale de l’Église, qui s’est tenue à Lonigo (Vicenza) au couvent franciscain de San Da­niele, le samedi 17 octobre 2020.

Ecologie, Economie, Famille

error: Ce contenu est protégé!!!