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ND DU SCEX (AGAUNE-SAINT-MAURICE)

Une liturgie:naïve et poignante anime cet itinéraire, liturgie que seules les âmes simples sont capables de célébrer.

Combien de degrés faut-il vaincre pour arriver à ce nid d’aigle dominant Saint-Maurice? Cinq cents, disent les guides. Un peu moins, selon les marcheurs méticuleux. « J’ai gravi ces 444 marches avec la satisfaction de ne pas en compter 666 », note le pèlerin littéraire Jean-Louis Kuffer. On le comprend.

Ce sentier gravé dans une roche lugubre vous fait monter les superstitions les plus archaïques, comme une vapeur glaciale, du fond du cervelet. Cette veilleuse, au bord du chemin, n’était-elle pas éteinte la seconde d’avant? Et là, n’est-ce pas une chouette qui vient de passer entre deux arbres morts? Pourquoi et par qui la sculpture du saint a-t-elle été décapitée? Et pourquoi l’a-t-on laissée ainsi?

LE NOBLE PERCHOIR

Non, la Chapelle n’est pas un lieu de plaisirs ! Du temps de nos études en l’auguste Abbaye, la menace d’une montée au pas de course suffisait à calmer plus d’un cancre, et pas seulement à cause de l’effort. Il y a quelque chose de terrifiant dans ce mirador divin. Lorsque saint Amé, au vue siècle, alla s’isoler sur cette corniche sculptée par des glaciers d’avant l’histoire et polie par les vents, son sacrifice — le saint me le pardonne — ne fut peut-être pas plus dur que celui du père Nicolas Buttet, le dernier des ermites. A l’époque, c’était encore un refuge. Au-dessus du fondateur, rien que le ciel pur et les milans noirs. Sous ses pieds, une communauté monacale perdue dans une vallée sauvage et un siècle chaotique et brutal.

Aujourd’hui? Une bourgade industrieuse, des maisons confortables, les trains qui vont et qui viennent, bref le scintillement et la rumeur continuels de la civi¬lisation. S’il lève la tête, l’anachorète ne peut ne pas voir les conduitesélectriques ni les sillons blancs de l’aviation civile. Que d’exercices spirituels doit s’imposer l’ermite d’aujourd’hui pour sarcler de son esprit les pollutions et les distractions du monde ! Et cette humiliation: songer qu’à des milliers de coudées au-dessus de son noble perchoir voguent, calés dans leurs fauteuils, des cadres à laptops et des universitaires collectionneurs de colloques, persuadés d’être les seigneurs de l’univers parce que la technique leur a permis de tutoyer le ciel. Moine du XXIe siècle, l’orgueil de l’exploit solitaire n’est plus à ta portée…

SOUVENIR D’UNE GUERRE INVISIBLE

La chapelle, néanmoins, est un site stratégique. Les fortifications l’entourent de toutes parts, jusque dans son dos où se ramifient les couloirs naturels de la Grotte-aux-Fées… et les galeries creusées de main d’homme au temps du Réduit. Comme en d’autres lieux du Valais, le promeneur attentif peut voir dans ces parages les branchies d’un véritable monde souterrain, conçu pour résister à des guerres d’apocalypse.

Mais la stratégie dont il est ici question n’a rien à faire des forts ni de l’artillerie. La guérite de saint Amé s’inscrit dans un réseau discret, initié au Sinaï et en Syrie, disséminé via l’Asie mineure et le mont Athos jusque dans les Alpes et l’Espagne. C’est le réseau des ermitages, étiré comme une cotte de mailles sur le corps de la chré¬tienté. C’est le bouclier formé par les plus valeureux des prieurs, des « lutteurs de Dieu » qui montent seuls se mesurer au Malin, tels des alpinistes solitaires s’attaquant à l’Himalaya. Cette lutte, malgré les apparences, n’a jamais cessé. L’expérience des ermites, traduite en des termes que nous pouvons comprendre, est un véritable corps à corps.

De tout temps, la piété populaire a su honorer ce combat d’avant-garde pour le salut de tous. Le chemin de croix menant à la Chapelle est orné de scènes pieuses instal¬lées dans des niches bien entretenues. Quel¬ques offrandes simples, déposées aux pieds des Vierges en plastique, évoquent le tréfonds de la religion univer¬selle. Une liturgie naïve et poignante anime cet itinéraire, liturgie que seules les âmes simples sont capa_ bles de célébrer. La même poésie, apprend-on, animait jadis la chapelle couverte d’ex-voto. Avant que l’esprit moderne évacue ces témoignages de piété vers les bas-côtés, en même temps qu’il transformait la religion occidentale en un mora¬lisme froid.

Logée dans une conque creusée dans la roche, la statue sans tête du fonda¬teur des lieux nous tend des bras atten¬dris de miséricorde. Autour d’elle, jetés pêle-mêle, les modestes ex-voto dont plus personne ne se soucie. La célébra¬tion émerveillée de la divine Présence est laissée aux concierges portugaises et aux astrophysiciens.


P-S. Depuis la parution de cet itinéraire dans le Nouvelliste du 3 mai 2008, la statue décapitée de St Amé a été retirée de sa niche et les ex-voto ont disparu.

DMC en la fête de Saint Nicolas de Flüe, notre saint Patron – 2017

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