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VIE DU SERVITEUR DE DIEU TORNAY MAURICE (VII) (art. 27 à 40)

VII. LA PERSECUTION DES LAMAS

Art. 27

Cette persécution prend sa raison profonde dans la haine de la vérité. Elle est dirigée par les lamas fanatiques, chez qui le désir de nuire à la religion chrétienne est pour ainsi dire connaturel. Ce désir naît

de leur insatiabilité du bien d’autrui et aussi d’une ambition déçue de constater que le peuple a la possibilité de recourir à d’autres chefs spirituels. Pour sauver la face, ils font aux missionnaires un accueil courtois jusqu’à la flagornerie, en même temps qu’ils patronnent les tracasseries financières et organisent les pillages contre la Mission.

Art. 28

Les lamas détiennent toute la puissance religieuse et civile. Sans doute il existe un gouvernement politique avec ses préfets dans les provinces, son armée et ses lois, mais cette autorité est inspirée, guidée et dominée par les lamas. Très fréquemment les lamas détiennent à côté de leurs fonctions religieuses, des droits politiques et judiciaires : ce sont de vrais dictateurs et pratiquement les seuls maîtres d’une contrée. :cette puissance religieuse doublée d’une puissance politique souvent incontestée, s’appuie par surcroît sur un système foncier qui fait des lamas les plus gros propriétaires de la région.

Art. 29

Au Thibet la propriété foncière appartient exclusivement aux lamaseries, aux chefs indigènes, à des bourgeois qui ont reçu leurs terres de l’Etat à condition de payer les impôts et la corvée et de ne pas les vendre. Le reste du peuple est composé de fermiers qui partagent la récolte avec les propriétaires, dont ils dépendent totalement : les fermiers doivent penser et agir comme les maîtres du terrain et par conséquent adopter leur religion. D’où l’impossibilité pour le fermier d’une lamaserie ou d’un chef païen de se convertir au christianisme et, plus encore, d’y persévérer.

Art. 30

En principe il n’est pas permis de vendre la terre et les contrats qui sont en vigueur n’autorisent que la vente temporaire (pour 20 à 25 ans).
Il  y avait cependant différentes manières de contourner la loi et les indligènes, les lamaseries surtout, en usèrent largement. Le peuple profita le la présence des officiels chinois, surtout entre 1905 et 1932, pour se débarrasser des charges et coutumes vexatoires imposées par les chefs thibétains religieux et civils.

Art. 31

La haine contre la religion étrangère qui pousse les lamas de Karmdla et de Sogun à persécuter les chrétiens de Yerkalo a toujours été déguisée sous le prétexte de revendiquer certains droits sur la propriété foncière de la Mission.

Art. 32

La Mission de Yerkalo possédait légalement ses terres par droit d’achat dès 1887, quand le district était sous contrôle chinois. Quand Yerkalo fut incorporé au Thibet (après 1932) le gouvernement de Lhassa reconnut le droit de propriété de la Mission catholique et lui rendit les terres que le lama-chef de Sogun, Gun-Akhio, avait confisquées par le truchement d’un officier thibétain de passage (1938-39).

Art. 33

A la mort du P. Burdin, le lama-chef Gun-Akhio, qui était aussi gouverneur civil de la région de Yerkalo, revient à la charge pour revendiquer son prétendu droit de propriété. Il renouvelle ses vexations afin de fatiguer et de décourager les chrétiens et dans l’espoir de faire partir le chanoine Lovey, titulaire par intérim de la Mission.

1. Le gouvernement de Lhassa demande des prières publiques pour détourner du pays les fléaux de la guerre. C’est pourquoi en mai 1945, le lama-chef ordonne de recenser tout ce qui vit et respire et de taxer tous les biens, car les lamas vont prier et, quand ils prient, ils ont le droit de se faire payer au prorata des fortunes de chacun. Les chrétiens protestent en faisant valoir qu’ils ont aussi leurs prières et qu’ils n’ont pas à payer les invocations des lamas. Gun-Akhio se fâche et les accuse de rébellion, voire même du crime de lèse-majesté. Un cadeau substantiel le ramène à de meilleurs sentiments. Il se contente d’exiger des chrétiens la réparation des routes et des ponts, « sans quoi, s’écrie-t-il, vous n’avez qu’à vider les lieux avec votre étranger » I

2. En été 1945, Gun-Akhio menaçant, prétend obliger la Mission à restituer des champs à un certain Ajiong (évidemment poussé par lui), qui les réclame comme une part de ses anciennes possessions, alors qu’en réalité ils n’ont jamais fait partie de son patrimoine.

3. Plus tard, il inflige une forte amende aux chrétiens de Yerkalo parce qu’ils n’avaient pas porté leur grain à la meule de la lamaserie (comme ils étaient obligés en vertu d’une convention tombée en désuétude sous l’administration chinoise) mais à la meule de la Mission. Il exhibe une ordonnance selon laquelle ceux qui porteraient leur grain chez le Père seraient chassés du pays et leurs maisons rasées jusqu’à la dernière pierre ; il leur fait jurer ensuite qu’ils ne l’accuseront point d’injustice.

Art. 34

Les missionnaires ont bien compris que l’existence même de la Mlission est mise en jeu à chaque instant par ces chefs locaux menteurs et cupides. Sous l’apparence inoffensive d’un procès au sujet de deux petits champs, c’est au patrimoine global de la Mission qu’on en veut et par conséquent à son existence. Aussi ont-ils décidé de plaider leur cause devant le gouverneur de Chamdo.

Art. 35

La lutte impitoyable contre le missionnaire s’aggrave à l’arrivée du chanoine Tornay, successeur du P. Burdin. Les lamas, avec leur iypocrisie habituelle, portent au nouveau curé de Yerkalo les souhaits de bienvenue, tandis qu’effectivement les lamaseries du district se nettent d’accord pour chasser l’intrus.

Le lama-chef Gun-Akhio intrigue à Lhassa ; de la capitale il dirige  l’action de ses collègues de Karmda et Sogun, auxquels il envoie le télégramme suivant : « A la lamaserie de Karmda. — J’ai appris que le Père de Yerkalo est mort. Je ferai des démarches auprès du gouvernement pour qu’il prie les autorités françaises et anglaises de rappeler leurs sujets au Thibet. Car si un autre Père venait, on serait sans noyens contre lui. Signé : lamas de Karmda en résidence à Lhassa ». Les missionnaires peuvent intercepter ce télégramme et le lire ; ils en idressent une copie à Mgr Valentin, Vicaire apostolique de Kangting en le priant de faire les démarches nécessaires auprès des autorités.

Art. 36

C’est toujours Gun-Akhio, le dictateur incontesté de la région, qui diirige le jeu du lamaïsme avec une duplicité répugnante. Tandis qu’il proteste de ses bons sentiments et qu’il s’efforce de passer pour un homme droit en assurant le missionnaire de sa protection, il s’excuse de ne pouvoir tenir ses promesses, attise les haines en sourdine et laisse les [amas se déchaîner à leur gré. Gun-Akhio est le persécuteur du chanoine Tornay qui tourmente sa victime avec ruse et ténacité.

Art. 37

Le Serviteur de Dieu connaît parfaitement la situation de sa paroisse. Il sait fort bien que, selon l’expression du P. Goré, être curé de Yerkalo signifie être livré aux bêtes ». Le Vicaire apostolique, Mgr Valentin, lui commande de tenir à tout prix et de ne céder qu’à la violence. Le chanoine Tornay entre entièrement dans les vues de son supérieur hiérarchique puisqu’en arrivant à Yerkalo, il déclare : « J’y suis et j’y reste. Je préfère laisser ma carcasse aux lamas, plutôt que d’abandonner les brebis que le Bon Pasteur me confie ». Et il redouble de zèle pour préparer son troupeau à toute éventualité.

Art. 38

Les lamas tentent toutes sortes de manoeuvres pour décider le missionnaire à partir :

En septembre 1945 les anciens propriétaires des terrains lui réclament à cor et à cri, et gratuitement, les champs que leurs pères ont vendus très cher.

Le 2 octobre 1945, économe du lama Gakhia de Karmda, lui ordonne au nom de Gun-Akhio encore retenu à Lhassa, de quitter les lieux le plus tôt possible et de remettre les biens de la Mission à la lamaserie, car celle-ci les aurait achetés du gouvernement central 6000 dollars métal (= 700-800 fr. suisses).

Le 3 novembre de la même année, au cours des danses rituelles, les lamas de Karmda proclament devant ciel et terre que le missionnaire devra partir sous peine de subir les pires châtiments, que les chrétiens devront apostasier, « car il ne doit y avoir qu’une seule religion au pays des mille dieux ».

Art. 39

Le 16 novembre 1945, trois économes de la lamaserie de Karmda réitèrent au missionnaire l’ordre de partir. Le Serviteur de Dieu prévient Mgr Valentin de cette seconde menace. Le Vicaire Apostolique en parle au gouverneur chinois du Sikang qui envoie un télégramme au gouverneur thibétain de Chamdo, dans lequel il accuse les lamas d’attaquer la Mission. Le gouverneur thibétain assure son collègue chinois de son intervention pour mettre fin à ces désordres et, dans le même temps, rit au chanoine Tornay pour lui promettre son appui. Mais ces dé¬:hes auprès des autorités thibétaines sont neutralisées par Gun¬io qui intrigue toujours à Lhassa.

A la même époque les chefs et les notables du lamaïsme se réunissent pour déterminer les mesures à prendre afin de rendre ces démarches infructueuses et les ordres des autorités supérieures inefficaces.

Art. 40

Les menaces continuent :

Le 3 janvier 1946, deux économes de Karmda intiment au chanoine Tornay l’ordre de partir dans les sept jours, car des prescriptions inflexibles sont arrivées.

Le 6 janvier, le Tara Guéshi, personnage influent de la lamaserie de Karmda se présente à la Mission en exhibant une lettre qu’il prétend avoir reçue du gouverneur de Chamdo et que lui seul est capable de Iire!… Dans cette lettre (qui était un faux, comme il s’est avéré plus Iard) le gouverneur déclare que le missionnaire, ayant accusé les lamas d’avoir tué et volé, ne peut plus rester au Thibet. Il ajoute qu’il ne peut envoyer le délégué promis pour opérer l’enquête et que par conséquent, les lamas fassent pour le mieux… Le Serviteur de Dieu fait remarquer que cette déclaration est contraire au télégramme adressé par nême gouverneur de Chamdo au gouverneur du Sikang et que par conséquent elle ne peut être qu’une supercherie de lamas. Il avertit le Tara Guéshi qu’il portera l’affaire devant l’administrateur Gun-Akhio rentré tout récemment de Lhassa à Pétine.

EXTRAITS tirés d’une brochure intitulée « Articles sur la vie et la renommée du martyre du Serviteur de Dieu MAURICE TORNAY – Chanoine Régulier du Grand Saint-Bernard 1910-1949 » – parue en 1953 à l’Imprimerie St-Augustin – St Maurice (Suisse) – sous la responsabilité du Vice-Postulateur de la Cause – tout en précisant que le S. de D. est devenu Bienheureux par décret du Saint Pape Jean-Paul II quarante ans plus tard le 18 mai 1993.

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