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Yerkalo: expulsion du Père Tornay

Dès le mois de septembre (1945) le bruit court que le missionnaire ne pourra se maintenir longtemps à Yerkalo ; les anciens propriétaires des terrains vendus à la Mission s’agitent, se liguent, réclament à cor et à eri, gratuitement, les biens que leurs pères ont vendus très cher. Le Père Tornay résiste au chantage, non pas tant pour préserver de maigres revenus que pour ne pas exposer les chrétiens à devoir abandonner des terrains que leur travail a mis en valeur. Dans les premiers jours d’octobre, la lamaserie de Karmda commence l’offensive ; l’économie du jeune Gakhia somme le missionnaire de quitter les lieux et de lui remettre la propriété de la Mission que le Gt de Lhasa lui a octroyée, moyennant finances, Le Père Tornay lui répond qu’il est à Yerkalo par ordre de ses supérieurs et qu’il ne quittera la place que sur leur ordre. Le missionnaire n’avait pas attendu ces alertes pour mettre Mgr Valentin au courant de ce qui se tramait et ce dernier avait intéressé à l’affaire les autorités chinoises, thibétaines et étrangères. C’est sur leur concours et aussi sur la justice de sa cause que le Père Tornay comptait pour résoudre la crise, car seul, que pouvait-il contre une meute déchaînée? Il a dans ses lettres et ses rapports exposé la situation, raconté ses angoisses, ses espoirs. La lutte était par trop inégale et, après quatre mois de luttes, le 25 janvier 1946, le Père Tornay, la mort dans l’âne dut abandonner son troupeau. En quittant ce poste, le seul poste missionnaire en territoire soumis au Gt thibétain, il ne sera pas sans intérêt de résumer l’histoire de sa fondation et de son développement.

En 1854, le Père Renou, avait fixé sa tente dans le vallon de Bonga au Tsarong thibétain. Avec le concours de quelques néophytes et orphelins, il se livra à l’agriculture et construisit sa résidence. D’autres missionnaires vinrent rejoindre le solitaire de Bonga, s’établirent à Kionatong, à Kiangkha, tentèrent même de s’avancer sur Lhasa. L’ancien propriétaire du vallon contestant au missionnaire le droit de propriété, il fallut recourir aux tribunaux chinois et thibétains qui reconnurent son bon droit. Toutefois les ennemis de la Mission qui avaient poussé le propriétaire dans le procès ne désarmaient pas. En 1864-1865, la persécution éclate, les établissements de Bonga et de Kionatong sont incendiés, les missionnaires et leurs chrétiens obligés à repasser la frontière de Chine. Le fondateur de la Mission du Thibet mort en 1863 au village de Kiangkha, à l’âge de 51 ans, continue d’affirmer, jusqu’au-delà de la mort, les droits du Thibet à l’évangélisation.

C’est avec les chrétiens de Bonga que les Pères Desgodins et Félix Biet jetèrent les fondements de la chrétienté de Yerkalo. D’abord hébergés au hameau de Gunra, au pied du plateau de Yerkalo, ils purent louer une maison plus vaste dans ce village, en 1867. Comme ce pied-à-terre était trop étroit pour la communauté chrétienne, la population locale, au su des chefs indigènes, loua aux missionnaires quelques lopins de terre. Plus tard, avec la permission expresse des “débas” ou préfets indigènes de Batang dont relevait le district, la Mission acheta quelques terrains, entre autres l’emplacement de la résidence. Tous paiens et chrétiens, petits chefs locaux et menu peuple, contribuèrent à la construction de la chapelle et de la résidence, travail qui du reste était généreusement rétribué. La Mission catholique de Yerkalo était dès lors fondée et légalement fondée.

Elle fut pillée une première fois, en 1873, par ordre des lamaseries de Batang, incendiée et rasée, en 1887, à l’époque où l’Angleterre prenait pied au Sikkim ; en 1905, au cours d’une révolte dont Batang fut le centre elle fut pillée et brûlée, une fois encore. Après chaque révolution ou persécution, le Gouvernement chinois voulut bien prendre en considération les plaintes que le Vicaire Apostolique lui transmettait, par l’entremise de la Légation de France à Péking. Il réinstalla le missionnaire aussi souvent qu’il fut chassé et obligea les coupables à réparer leurs torts.

Après la révolte de 1905, les chefs indigènes furent remplacés par des sous-préfets chinois, tant à Yentsing (nouveau non de la sous préfecture) qu’à Pagan (non officiel de Batang). La Mission catholique connut de la sorte une ère de paix jusqu’en l’année 1932, si on fait abstraction des troubles anti-dynastiques de 1912-1913.

En 1932, un lama du nom de Kongkar, bouddha-vivant de la lamaserie Sogun (à quelque 40 kilométres au N-E de Yentsing) désarma les troupes chinoises, chassa le sous préfet et prit en main l’administration. Menacé dans son fief par un compétiteur, Kézong Tséring, le lama aux abois l’offrit inconsidérément au Thibet voisin qui l’accepta. La même année, sur le Haut Yangtse, Chinois et Thibétains prenaient le Fleuve pour limite entre les deux états, Yentsing restait acquis au Thibet. Lhasa laissait le généreux lama à la tête du district. C’est de la sorte qu’un lama se trouva nanti de tous les pouvoirs : des pouvoirs religieux par vocation, des pouvoirs civils et militaires par voie de conquête. C’était grave, car le désir de nuire à la religion chrétienne est pour ainsi dire inné chez tout lama. Ce désir vit d’une part de l’insatiabilité qui lui rend le respect des biens d’autrui impossible à observer, et d’autre part d’une ambition déçue de constater que le peuple peut s’adresser à d’autres directeurs spirituels. Kongkar mourut pourtant sans avoir causé de gros dommages à la Mission Catholique en mars 1934.

Un cousin du défunt, le lama AKHIO, lui succéda mais eut quelque peine à s’imposer. La paix dont jouissait la mission en fut prolongée d’autant. Dans les derniers mois de 1937, le lama administrateur leva le masque. Il gagna à sa cause un colonel thibétain, Sandjrougt Podjrong qui confisqua la propriété de la Mission. Après plus d’un an de pourparlers et de démarches, le Gouvernement de Lhasa reconnut à la Mission le droit de propriété et lui remit les terrains qu’avait confisqués le colonel trop zélé Les lamas se vengèrent de cet échec en chassant de Péksing, où il s’était fixé depuis deux ans, M. Bare, pasteur protestant américain, et en pillant sa caravane dès qu’elle eut franchi les limites du district, comme ils avaient pillé, en 1927, deux autres missionnaires américains. En septembre 1940, le missionnaire de Yerkalo, le Père Victor Nussbaum était tué près du village de Pamé, à une cinquantaine de kilométres au Sud de Yerkalo, en territoire yunnanais. Il semble bien que le lama administrateur ait eu vent du complot et il crut de bonne politique d’armer les chrétiens pour venger la victime. La défaite momentanée de la France, les menées communistes et, plus tard, l’autonomie laissée au Thibet par la Chine étaient vivement commentées à l’ombre des monastères lamaiques. Le Père Burdin qui remplaçait le Père Nussbaum au poste de Yerkalo, put s’y maintenir, malgré les rumeurs et les menaces. A sa mort, les lamas songèrent que l’heure était venue d’exécuter leurs desseins. Puisque personne ne s’était soucié d’un meurtre, personne ne se soucierait d’une expulsion, raisonnaient-ils, non sans logique. Restait à trouver une occasion ou un prétexte pour expulser le missionnaire. La mort du Père Burdin en février 1945, et la prise de possession du poste de Yerkalo par un religieux de nationalité suisse leur fournirent le prétexte cherché. De Lhasa où il se trouvait depuis près de deux ans le lama Akhio conservait des relations avec les lamaseries de So (Gun) et de Karnda. En juillet il leur donnait ordre par télégramme d’éloigner le nouveau venu. On sait que le télégramme fut communiqué à Mgr Valentin qui alerta l’ambassade de France et le gouvernement provincial du Sikang. Les démarches répétées des ambassades de France et de Grande Bretagne, les interventions de l’internonciature, les dépêches du Maréchal Lieo ouen houi ou du Bureau des Affaires Mongoles-thibétaines, le désaveu, extérieur du moins du Gouverneur de Chamdo n’arrêtèrent point les lamas dans leur sinistre projet. Le 25 janvier, ils envahissaient la mission de Yerkalo et en chassaient manu militari le Père Tornay… Un silence mortel écrase Yerkalo comme sous un suaire d’angoisse et de désespérance. Ces événements inspirent aux missionnaires des Marches thibétaines de sérieuses inquiétudes : “Qui peut assurer, écrit l’un d’eux, que la persécution ne déferlera pas sur nos postes du Yunnan, comme en 1905? Il n’est pas permis d’ignorer que les indigènes, de Batang à Atentze, rêvent de s’affranchir de la tutelle chinoise. Les lamas de Yentsing et à leur tête l’administrateur Gun Akhio voudraient former un fief ecclésiastique sur la portion du territoire de Batang, détachée de la Chine en 1932 et sur la corne N-W du district de Tékhing (Atentze) qui fournissent un bon nombre de lamas aux lamaseries de Karmda et de Lagong. Il est probable que les indigènes vont suivre les événements de Yerkalo avec attention et agir en conséquence. Pour eux toute agression qui n’est pas réprimée autorise tous les désordres.”

Cf : Bulletin Société des Missions Etrangères ; Grand St Bernard-Thibet. Martyr au Thibet

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1946
Le Père Tornay se retira à Pamé, dans une famille chrétienne qui mit à sa disposition la chambre même où, six ans plus tôt le Père Nussbaum avait été capturé. Il se tenait en contact avec les chrétiens qu’il venait de quitter et songeait à gagner Batang et éventuellement Chamdo par une voie détournée. La visite qu’il reçut d’un officier thibétain, sur les entrefaites, lui fit abandonner ce projet et le décida à continuer sa route sur Tsechung et Weisi. A son passage à Tsechung, il émit l’avis que la question de son retour à Yerkalo ne pouvait être tranchée qu’à Lhasa. Ne pouvant s’y rendre en personne il se proposait d’y envoyer les deux chrétiens qu’il amenait avec lui. Sur la remarque que ces deux jeunes gens n’avaient aucune chance d’être admis près des autorités thibétaines, il les envoya à Kangting pour expliquer de vive voix à Mgr Valentin ce qui s’était passé. L’évêque mieux informé pourrait agir en connaissance de cause près des autorités compétentes. En attendant le retour de ses émissaires, le Père Tornay passa quelques mois en compagnie de ses confrères et au début de mai reprit le chemin de Pamé. Au lieu de s’arrêter dans ce village où il avait son pied-à-terre, le missionnaire, fort de l’autorisation du Gouverneur de Chamdo, voulut tenter un retour “éclair” à Yerkalo. Il arriva à Pétrines, centre administratif du district où Gun Akhio l’arrêta et l’obligea à se replier sur Pamé, sans même l’autoriser à se reposer une nuit d’une course rapide de deux cents kilomètres. Il demeurera dans ce village jusqu’au printemps de l’année suivante.

En juillet 1946, nous arrivait en droite ligne de Hanoi, le Père Christian Simonnet. Bloqué dans Hanoi depuis plus d’un an et n’ayant pas l’espoir de rallier son poste sous peu, notre confrère avait eu l’heureuse idée d’utiliser au mieux ses loisirs forcés et de randonner aux abords du Thibet, le pays de ses rêves. Après bien des démarches, le voyageur avait gagné Kunming en avion et recommandé à un chauffeur de camion, comme on recommande un colis fragile, il avait atteint Tali. Mgr Magenties lui procura un cheval et confia cheval et cavalier à un marchand chinois qui rentrait à Weisi. C’est de la sorte que sans savoir le chinois et sans interprète, le Père Simonnnet parcourut les 800 kilomètres qui séparent Kunming et se présenta à la mission de Weisi, à la mi-juillet. On a beau avoir entendu l’Appel du Silence et s’y être habitué durant un mois, à moins d’être muet, ce qui n’est pas le cas, on est heureux de trouver sur sa route à qui causer. Chaperonné par le frère Duc, le voyageur fut accueilli à Siao Weisi comme un frère un Saint Augustin, par suite d’une erreur sur la personne, jusqu’au moment du pressé de questions trop précises, l’hôte dut découvrir son identité. Le 24 juillet, le frère Duc arrivait en trombe à Tsechung et annonçait que son compagnon était en panne à la tête du pont, sur la rive opposée du fleuve. Il ne fallut pas moins que l’arrivée du Vietnamien, calme et souriant pour vaincre notre incrédulité. Grâce aux conversations si vivantes de notre visiteur, nous faisons un vaste tour d’horizon, passant du Vietnam à la France et à la Chine. Dès le lundi 29, le Père Simonnet s’enfonçait dans le vallon du Sila, en route sur Bahang, toujours en compagnie du frère Duc. Douze jours plus tard, les voyageurs rentraient à Tsechung par la passe du Jedzongla, rapportant de leur randonnée un excellent souvenir, malgré les pluies, la boue des pistes et la vermine des gîtes d’étape. De ce trop rapide voyage, l’écrivain et l’artiste emportait avec notre reconnaissance émue les éléments d’un livre à succès, intitulé : Thibet. Voyage au bout de la chrétienté.

De son côté, le Rév. Père Pasteur publiait ses impressions sur les Missions de Chine qu’il venait de parcourir.

Mgr Valentin qui avait assisté au sacre de Monseigneur Boisquérin & Ipin avait poussé une pointe sur Chungkhing et Chentou pour intéresser les autorités chinoises et étrangères à l’affaire de Yerkalo. Il demandait au Père Tornay d’attendre à Pamé la visite d’un délégué chinois qui ne se présenta point…

A Kangting, les premiers missionnaires de la relève, les Pères Valour, après sept ans d’absence, et Richard, jeune missionnaire, étaient heureusement arrivés à destination. Le Père Valour prenait en charge la paroisse de Tanpa et le Père Richard étudiait le chinois. Le Père Dozence, aumônier divisionnaire en Indochine n’attendait que la démobilisation pour rejoindre la mission de Kangting à laquelle il était destiné depuis 1942, Un grave accident obligeait le Père Descourviéres, désigné pour la Mission du Thibet, à accepter son transfert sur la Mission de Pondichéry, aux Indes.

En 1946, S. S. Pie XII avait établi la hiérarchie en Chine et créé archevêchés et évêchés résidentiels. De ce fait Mgr Valentin, vicaire apostolique de Tatsienlou devenait évêque de Kangting (episcopus diocesis Camtimensis. Monseigneur de Kangting nommait le Père Charrier, provicaire et Père Goré, vicaire délégué, Vicaires Généraux.

Les quatre religieux du Grand Saint Bernard destinés à la Mission des Marches Thibétaines arrivaient à Weisi, le 20 février. Partis de Suisse en octobre de l’année précédente, ils avaient été retenus près de eux mois à Londres avant de trouver place à bord de l’avion qui les déposa à Calcutta, après quatre jours de vol, le 26 décembre. Un dernier coup d’ailes (2000 km) les amena à Kunming, le 31. Mgr Derouineau de Kunming les retint à l’archevêché pour leur permettre de rencontrer ses missionnaires réunis pour les exercices de la retraite. Le frère Duc qui les reçut à Taly les introduisait dans “la terre promise” quatre mois après leur départ de Suisse.

Ce sont MM les Chanoines Jules Detry, Alphonse Savioz, Louis Emery et François Fournier. Pendant que les trois derniers abordaient l’étude du chinois, M. Detry s’initiait à la géographie et préparait ses voyages.

De son exil, le Père Tornay suivait les événements de Yerkalo : profanation de la chapelle, confiscation de la propriété, obligation pour les chrétiens d’apostasier et de destiner quinze de leurs enfants à l’ordre lamaïque. Les chrétiens ayant reçu l’ordre de cesser toute relation avec leur pasteur, le Père Tornay se décida à se replier sur Atentze où il pourrait, loin des regards de ses ennemis, conserver le contact avec ses ouailles qui fréquentent ce marché pour les besoins de leur commerce.

Loutsekiang est le nom chinois du fleuve Salouen et plus spécialement de l’enclave qu’occupe la tribu NOU ou LOUTSE, à la frontière sino-thibéto-birmane. Située entre 2730 et 2815 de latitude Nord, cette enclave ne compte guère plus de 2000 familles qui vivent presque exclusivement des produits de leurs champs de montagne. Il n’y a en bordure du fleuve que de rares et étroites terrasses transformées en rizières. Cette région au Sud du « Hump » reçoit les pluies de la mousson, trop abondantes souvent, qui nuisent à la récolte, si bien que l’indigène vit une partie de l’année des racines plus ou moins comestibles qu’il trouve sur ses montagnes. L’été de 1947 a été particulièrement pluvieux ; on a signalé de nombreux glissements de terrains, des crues extraordinaires qui causèrent bien des dégâts. Des rochers arrachés des pentes voisines formèrent même durant quelques jours un barrage dans la Salouen, en aval de Pongdang. Le hameau de Guiza et les champs qui l’entourent furent ensevelis sous la boue.

En cette même année 1947, le R. P. Aizier. S. J. vint à Kangting et à Mosymien prêcher des retraites au clergé, aux religieuses et aux lépreux « Ces chers lépreux, écrivait le prédicateur, observent les décrets de Pie X sur la communion fréquente et, chaque matin, presque tous communient. Le prêtre qui leur présente l’hostie doit parfois surmonter de bien vives répugnances. Après la messe, les lépreux font le chemin de Croix qu’ils terminent par la récitation, les bras en croix, de six Pater et de six Ave : spectacle impressionnant que de voir se dresser vers le ciel ces quatre cents bras qui n’offrent plus, souvent, que des moignons… ; mais tous clament, à pleine voix, l’Adveniat Regnum Tuum pour le Thibet et la Chine. Les jeunes lépreuses, parmi elles une ravissante petite thibétaine exécutent à la perfection les chants liturgiques sous la direction d’une religieuse franciscaine. »

La première sortie des jeunes religieux du Grand Saint Bernard fut comme il convenait, réservée à l’hospice de Latsa en construction. Ils avaient décidé de lui consacrer une semaine. Trouvant les murs de l’hospice ensevelis sous une épaisse couche de neige, les voyageurs cherchèrent un abri pour la nuit sous un rocher qui remplit bien mal son rôle, la pluie les chassa dès l’aube et les ramena à leur point de départ. Durant l’été et l’automne, le chanoine Detry arpenta les vallées du Mékong, de la Salouen, du Troun ou Tarong, (vallée orientale de l’Iraouaddy) et enfin du fleuve bleu. Il fit la visite des postes missionnaires, traversa tous les cols de la région, passé même la Salouen à la nage, partir à la découverte d’un avion américain signalé sur la montagne qui sépare le bassin de la Salouen de celui de l’Iraouaddy. A son retour à Weisi, en novembre, le voyageur n’était plus que l’ombre du chanoine et son menton s’ornait d’une barbe en broussaille. Une semaine plus tard, toujours à pied le Père Detry se lançait de nouveau sur la piste, en direction de Likiang. La neige la ramena à Tsechung pour ses quartiers d’hiver : il avait au cours de ses pérégrinations couvert plus de deux mille kilomètres, filmé ou photographié tout ce qui lui avait paru intéressant.

Prévenu de l’arrivée prochaine de Monseigneur l’Internonce à Kunming, le Père Tornay prit la route de la capitale provinciale pour plaider la cause de sa mission de Yerkalo. De passage à Tsechung, le 3 décembre, il arriva à Kunming, la veille de Noël, pour y apprendre que le voyage de S. Ex Mgr Ribéri était différé. Durant son séjour à l’archevêché, il remit un « memorandum » au cousul général de France pour lui résumer l’affaire de Yerkalo et au Délégué chinois des Affaires Etrangères une Note exposant les ennuis causés à la mission catholique à Lomélo et à Pamé qui relèvent de la province du Yunnan.

Monseigneur Ribéri ne pouvant venir à Kunming, le Père Tornay se décida à le rejoindre à Shanghai par avion. Dès le lendemain de son arrivée, il était admis en audience par l’internonce qui écouta avec intérêt le récit de la persécution de Yerkalo et engagea le missionnaire à se rendre à Nanking. Dans la capitale, le Père Tornay frappa aux portes des Légations de Suisse et de France, rencontra les raprésentants thibétains près de Tsiang Kai-che. Tout se borna à des démonstrations de sympathie. A son départ de Shanghai, Mgr Ribéri remit au Père Tornay la somme de 200 S U.S. “pour ces frais de voyage à Lhasa” Ce geste généreux était pour le missionnaire plus qu’une autorisation de tenter le voyage à Lhassa, une véritable mission.

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Au début de 1948, le chroniqueur de la Mission fait le point. A la cathédrale de Kangting (708 chrétiens, y compris ceux qu’administre le Père Mauger à l’annexe Ste Thérése de Semakhiao), le Père Yang est satisfait son district se développe et reste fidèle à la réception fréquente des sacrements. A l’Est, le Yutong, détaché de Chapa, (167 chrétiens) est confié aux soins du Père Joseph LY. Au Sud, le Père Hen régit Chapa et Chawan (427 Chrétiens) et le Père Graton, Lentzi ( 168 chrétiens) ils sont sans cesse harcelés par d’anciens propriétaires de mauvaise foi qui veulent, à coups de procès, extorquer des terrains dûment vendus à la Mission.

La région de Mosymien (533 chrétiens) est assignée aux Pères franciscains O.F.M. ; ils assurent le service de la paroisse (Père Foghin) et l’aumônerie (200 malades dont 150 baptisés).

Au Nord West, le Père Charrier à Mowkung (250 chrétiens) voient avec peine s’étendre partout la culture de l’opium et le commerce de la drogue causer l’insécurité des routes et engraver l’évangélisation.

Le probatorium-petit séminaire rouvrira ses portes en avril, sous la direction du Père Richard, au village de Sinhingtchang, prés de Mosymien.

La jeune Société des Oblates Franciscaines de Marie se développe normalement, elle compte six novices et huit professes dont une est infirmière à l’hospital et six sont institutrices dans les postes de Kangting et de Mosymien. Sous peu Chapa et Lengtsi recevront les Oblates pour la direction des écoles de filles et des dispensaires. A l’hopital de Kangting, les succès de la religieuse, doctoresse de la Faculté de Paris, ne se comptent plus et son service de radiographie est le seul de la province. A la léproserie de Mosymien, les Religieuses se dévouent, corps et âme et le frère Joseph, ouvrier de la première heure y use une santé bien délabrée. Un groupe de Vierges Institutrices instruisent dans leurs écoles de doctrine, fillettes et catéchumènes.

En résumé, dans les 12 districts de la région de Kangting, il y a un total de 2’880 chrétiens baptisés, chinois pour la plupart.

A la frontière sino-thibétaine, les postes missionnaires sont échelonnés du Nord au Sud, de Batang (Pagan) à Weisi, dans les vallées du Fleuve Bleu, du Mékong et de la Salouen, sur une longueur de 500 kilomètres environ. Ce sont Pagan et Yerkalo, au Nord, avec 340 chrétiens que l’expulsion du Père Tornay laisse sans pasteur. Atentze et Tsechung, au Centre comptent 730 baptisés, sous la houlette des Pères Goré et Lovey. Depuis son retour de Shanghai, le Père Tornay s’est établi à Atentze pour rester en contact avec ses ouailles de Yerkalo. Dans le Salouen, nous trouvons le Père André à Bahang ou Péhanlo à la tête de 650 chrétiens, thibétains, loutse et lissou et le Père Vincent Ly, à Kionatong-Tchrongteu (300 chrétiens) ; au Sud, dans le bassin du Mékong, le Père Coquoz dirige la chrétienté de Siao Weisi et s’occupe plus spécialement d’une petite communauté lissou des environs. Il est assisté du Père Fournier qui réside à Kitchra. En ville de Weisi, le Père Lattion administre les deux stations de Weisi et de Houalopa et jette les fondements d’une petite chrétienté lissou au village de Tapa. Deux jeunes missionnaires s’exercent au ministère près des chinois en attendant d’aborder l’étude du thébétain. Siao Weisi : 300 chrétiens, Weisi : 80 chrétiens. Le total des chrétiens baptisés pour nos six districts de la frontière est de 2’400, dont 2’000 environ de langue thibétaine. Il n’y a d’autre œuvre que la petite société des Vierges institutrices de Tsechung qui sont chargées d’instruire les personnes de leur sexe et le probatorium, de Houalopa qui a fermé ses portes en 1945. Mr le Chanoine Melly cherche en Suisse ou ailleurs des religieuses qui déchargeraient les missionnaires du soin des malades et pourrait créer d’autres œuvres de bienfaisance, ouvroirs, écoles, formation de nos Vierges institutrices, hopital et léproserie. Le travail ne manquerait pas.

Dès son retour à Atentze, le Père Tornay a entrepris de remettre en état la résidence qui penchait dangereusement et s’est installé chez le voisin en attendant la fin des travaux. Il apprend que le vieux catéchiste de Yerkalo continue ses fonctions : il baptise les enfants nouveau-nés, assiste les malades, instruit une catéchumène, sans se soucier des menaces et des amendes que les lamas lui infligent. Ces nouvelles sont pour l’exilé un puissant réconfort.

Le jour de Pâques, en la chapelle de Weisi, un groupe d’une vingtaine de chefs de familles lissou sont admis au catéchuménat et le Père Lattion construit dans leur village une chapelle-école pour faciliter leur instruction religieuse. A Siao Wesi, le Père Coquoz a préparé un premier groupe de lissous et leur administre le sacrement de baptême dans leur langue.

Après avoir parcouru toute la région, pendant près d’un an, le chanoine Detry nous quitte, emportant photos, films et notes qui lui seront d’un grand secours pour les conférences qu’il se propose de donner à son retour en Europe. Le frère Duc qui ne peut trouver un remède à ses maux dans notre région, l’accompagne, en nous laissant l’espoir d’un prompt retour parmi nous.

Dans notre secteur du Mékong, le fleuve est plutôt une barrière qu’une voie de communication. Il n’y a ni barques ni radeaux et ses deux rives ne sont reliées que par les fameux ponts de corde, câbles de bambou tressé, sur lesquels glissent gens et bêtes. En cet été de 1948, quelques riches marchands remplacent le pont de corde de Lieou tong kiang, à une trentaine de kilomètres N-O de Tékhing, par un pont de câbles d’acier. Ce passage très fréquenté par les caravanes à destination de Lhasa et par les pèlerins de la sainte montagne du Khawakarbo, en devient plus facile et moins dangereux. En cet endroit, le Mékong coule entre deux falaises de rochers à pic. Le nouveau pont n’a que 55 mètres de long sur 3 de large. Le tablier repose sur dix câbles d’acier reliés entre eux et est stabilisé par quatre puissants câbles de suspension. Pour ce travail, les chefs de l’entreprise ont fait appel au Père André qui n’a pas hésité à quitter momentanément son poste de Bahang et à passer plusieurs semaines sur le chantier.

Profitant des vacances d’été, les Pères Savioz et Fournier arpentent les rives de la Salouen et du Mékong pour mieux connaître le pays qu’ils sont appelés à évangéliser. Leur confrère le P. Emery remet à l’automne sa visite date à laquelle il commencera l’étude du thibétain à Tsechung.

Mr Lieou kiaku, qui fit naguère partie de la suite du Panchan lama, vient de publier en chinois un résumé de l’histoire du Thibet, en un fascicule de 24 pages. Dans le dernier chapitre, nous lisons que le jeune Panchan, né en 1938 dans le district de Shunhwa, au Tsinghai, a été installé à la lamaserie de T’a-eul-sse (Kounboum) par ordre du Gt chinois. Le même auteur nous apprend aussi que les représentants du Dalai et du Panchan lama près le Gt de Nanking sont admis au Parlement pour s’initier à la démocratie. Sur ces entrefaites la presse chinois nous dit que la question des treize anciennes sous-préfectures chinoises, situées à l’Ouest du Yangtse (fleuve bleu) et remises au Thibet autonome par le traité de Kangtho, en 1932, a été récemment l’objet d’une discussion à l’Assemblée Nationale. Les représentants du Thibet n’ont pas manqué de faire remarquer que des treize sous préfectures en question, quelques unes n’ont jamais eu de titulaire et que les autres n’ont été sous contrôle chinois, contrôle plus nominal que réel, que durant quelques années, entre 1910 et 1918. Le promoteur eut été mieux inspiré, semble-t-il, de s’en tenir au projet du Maréchal Lieou ouen-houi ; gouverneur du Sikang, qui ne réclame pour province que le territoire situé en deçà de l’ancienne frontière de 1727, ç’est-à-dire le Dégué Occidental et l’ancien territoire de Batang.

Dans la région de Kangting, l’arrivée des Pères Roncari O.F.M. Dozance et Pecoraro M.E.P. coïncide avec le départ des Pères Polo O.F.M. et Pezous M.E.P. qui vont demander au pays natal la santé. Par suite du départ du Père Pezous, la station de Lamasse est rattachée à Tanpa et le Père Sen est envoyé Tsonghoua. Il n’y a plus que trois missionnaires de la région du Silou où la lutte des clans reprend de plus belle.

Au cours du printemps, la léproserie a vécu des jours pénibles : les vivres manquaient et il était difficile de se ravitailler sur place. Le vice-gouverneur de la province vint au secours et donna des ordres aux autorités locales d’assurer la soudure ; quelques officiels et marchands firent spontanément une collecte qui fut modeste, il est vrai, mais le geste était délicat. Un des personnages de Mosymien mena compagne contre la léproserie qui, par sa présence, constituait, d’après lui, un danger de contamination et réclamait que l’établissement fut transféré dans un ravin au pied des neiges éternelles. Il ne trouva pas d’écho dans le public et, pour préserver la face, voulut prouver que la léproserie était un bagne. Un médecin fut chargé d’une enquête qui tourna à la confusion du susdit personnage et revint édifié de ce qu’il avait vu et entendu. Il fit mieux encore ; il obtint du Gouvernement provincial un secours financier de 50’000 dollars chinois.

En la fête du Patronage de St Joseph, le petit séminaire de Sinhingtchang, ouvrait ses portes avec une douzaine d’enfants. Le Père Richard qui avait été naguère directeur de groupes de jeunesse se retrouvait dans son élément. Au Séminaire de Kunming, Mr Wang yeou-tsuen achevait ses études sous la direction des Prêtres de Saint Sulpice et l’un de ses condisciples, Mr Che kouang-yong, rentré à Weisi, tout en assurant une classe de chinois à la Mission, poursuivait ses études théologiques sous la direction de son curé, le Père Lattion.

Les bruits qui leur viennent de Chine font craindre aux chefs indigènes que leurs privilèges ancestraux ne soient sous peu menacés. Comme leurs voisins de l’ancien district chinois de Yentsing, ne seront-ils pas tentés de rechercher la protection du Thibet ? En attendant, ils se disputent entre eux et n’hésitent pas à se débarrasser de tous ceux qui les gênent.

Insérer : Mission économique thibétaine en Amérique et en Europe
Cf : Notes et B.S.M.E N°10
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Dans le livre qu’il a dédié aux aspirants missionnaires au retour de sa “Visite aux Evêques et aux Prêtres de la Société des Missions Etrangères, Monseigneur de Guébriant écrit : “La petite ville de Tsingkhi où nous avons passé la nuit est située au pied du Grand Siangling; Le passage en est toujours pénible et constitue l’une des plus fatigantes étapes du voyage. Des portefaix, en files interminables, le traversent, peinant sous des fardeaux écrasants, sur la route enneigée. Métier terrible, vraiment, car après leurs épuisantes journées, ils n’ont pour leur repos de la nuit que des gîtes croulants, ouverts à la bise glaciale. C’est à eux que je pensais lorsque je fis ma première démarche auprès de Monseigneur le Prévôt du Grand St Bernard pour obtenir, en faveur des pauvres caravanes du Far-West chinois, les bienfaits des touchantes charités de ses religieux.”

Mgr Bourgeois et ses chanoines réguliers entendirent cet émouvant appel, et le Vicaire Apostolique de Tatsienlou, Mgr Giraudeau, assigna à ses nouveaux collaborateurs, pour champ de leur apostolat, les Marches thibétaines du Yunnan où des montagnes sont plus hautes et les cols plus longtemps enneigés Onze d’entre eux (9 prêtres et 2 frères) ont déjà réalisé le “Semper Excelsius” de leur Père Saint Bernard de Menthon et sont venus apporter leur concours aux derniers prêtres du diocèse de Kangting. Ils ne sont plus que sept : l’un, tout jeune, s’est noyé accidentellement dans le Mékong, trois autres, malades, sont rentrés en Suisse.

Cette petite mission des Marches Yunnano-thibétaines s’étend sur les bas du fleuve bleu, du Mékong et de la Salouen, là où ces trois fleuves, qui descendent des hauts plateaux thibétains, entrent en Chine. La situation des missionnaires de cette région est quelque peu paradoxale. Au religieux ils relèvent du diocèse de Kangting, mais administrativement la contrée dépend de la province du Yunnan. C’est d’ailleurs par le Yunnan que les recrues missionnaires entrent dans leur mission. De Tali, point terminus de la route automobile (424 km), il faut dix jours pour Weisi (300 km) et ses autres jours pour Tsechung (150 km), le centre de la Mission. Tsechung est à plus d’un mois de Kangting, siège de l’évêché.

Mgr Adam, prévôt de la Congrégation et son conseil comprirent que la division s’imposait. A la date du 29 mars 1949, Mgr Adam écrivait au Père Pasteur : “J’ai l’honneur de vous dire que nous avons décidé de consentir à l’érection d’une Mission autonome, pour autant que les événements de Chine viendront pas y mettre obstacle. A cet effet nous désirons obtenir la création d’une Abbaye Nullius, afin de mieux sauvegarder la vie religieuse propre aux Chanoines. La S. C. de la Propagande a déclaré officieusement qu’elle serait favorable à un projet de ce genre.” A ce document, le Père Pasteur joignait une carte qui fixait les limites approximatives de la mission nouvelle : dans le Yunnan, sous préfectures de Weisi, Tékhing, Kongshan et Chungtien. Dans le Thibet indépendant, Yentsing ; dans le Sikhang : les sous préfectures de Pagan, Téyuing, Tingshiang, Kongkar et Gniten.

Aux portes du Thibet interdit, les religieux mèneront de front le ministère apostolique et le service hospitalier. Il est question de reprendre les travaux de l’hospice abandonnés depuis quelques années. Le Père Coquoz va examiner sur place ce qu’il convient de faire pour préserver les travaux déjà exécutés et préparer le local destiné au personnel de l’hospice. Il avait même invité une équipe de bûcherons pour abattre le bois de construction, quand une abondante chute de neige obligea le constructeur à renvoie ses ouvriers. Durant son séjour aux abords du col de Latsa, le Père Coquoz rencontra de nombreux groupes de voyageurs, qui passaient du Mékong dans la Salouen, malgré la saison avancée. Pour se procurer les outils nécessaires à la construction, il se rend à Kunming au début du printemps et rentre dans les Marches, en mai, à l’époque où les communisants préparaient les voies aux troupes de Tchouté.

En novembre précédent, le délégué spécial du Gt Cental (tchouan yuo) et les garnisons échelonnées sur les rives du Mékong avaient été rappelés sur un autre front. Depuis lors, dans le camp thibétain, les frères ennemis étaient de nouveau en lutte, ils rançonnaient les villages et sous le prétexte de réparer les injustices ils parcouraient les rives du Mékong pour se procurer du butin et spécialement des armes à feu. Obligés d’abandonner leurs village, ils prenaient le maquis, emmenant femmes et enfants, décidés à vendre chèrement leur vie. Durant la première quinzaine du nouvel an lunaire, une trêve tacite avait permis de festoyer en paix. A la mi-février, la lutte reprenait de plus belle. Le mandarin chinois de Tékhing fait appel à la milice indigène du Chungtien : cinquante cavaliers répondent à l’appel et la population locale est mise à contribution pour nourrir ses défenseurs qui ne paraissent pas disposé à se couvrir de gloire et moins encore à mourir pour une cause qui leur est étrangère. Durant ces troubles circulent des propos sinistres, certains auraient formé le projet d’occuper la Mission de Tsechung comme quartier général, d’autre d’éloigner les missionnaires. Mais que ne dit-on pas? Les missionnaires continuent l’exercice de leur ministère et soignent les blessés des deux camps.

Dans la région de Kangting, malgré l’incertitude du lendemain, le travail missionnaire continue. De nouvelles recrues, les Pères Auffret Roland, Rachelli et Baur poursuivent l’étude du chinois, tandis que leurs aînés, les Pères Dozance, Roncari et Pecoraro s’initient au ministère, à la léproserie, à Semakhiao et à Singhingtehang. A Mosymien, les Pères Franciscains construisent leur couvent, à Semakhiao, le Père Pecoraro qui, comme tout Italien, à la maladie de la pierre, agrandit la chapelle Sainte Thérèse et jette, à Kangting les fondations d’un nouvel hôpital. Quatre frères maristes, chassés de la Chine du Nord par les Communistes viennent, à la demande de Mgr Valentin, prendre la direction de l’école de Khanghoua. Malheureusement la révolution qui gronde à nos portes, obligera leurs supérieurs à les rappeler, avant même qu’ils puissent ouvrir les cours.

En ville de Kangting, c’est le marasme : on évalue à plus de trois mille le nombre des départs, c’est environ le quart de la population de la ville dont les rues sont de plus en plus désertes. Cet exode massif est motivé par les difficultés du ravitaillement, la précarité des traitements la présence de bandes armées qui gênent les communications et menacent même les villages des rives du Tatouho, notamment dans la région de Lentzy. De nombreux fonctionnaires, des bureaux entiers et la majeure partie du personnel enseignant des écoles gouvernementales ont évacué la ville pour se reconstituer à Yagan, à Hanyuen ou pour rejoindre leur famille.

Les Thibétains suivent attentivement les événements et le Gouvernement de Lhasa donne ordre de renvoyer chez eux les Chinois qui ne sont pas agréés. Les pasteurs protestants qui s’étaient aventurés jusqu’à Kantze et le Dégué et ceux qui se préparaient à les suivre, sont rappelés par les autorités consulaires et quittent la région. Un gros marchand thibétain regagne son fief de Ponong, au S-E de Pagan où plus de cent colons à ses gages sont à disposition. Avec ses “nombreux” clients, armés par ses soins, il pourra, le cas échéant, donner du fil à retordre à ceux qui voudraient le déposséder. Cet exode, est-il besoin de le dire, donne lieu à divers commentaire.

Après entente entre les Ordinaires, la Mission de Sichang a cédé à celle de Kangting les districts du Hanyuenshien, Fuling et Houangmoutchang, soir un total de 2’000 chrétiens. Le Père Dozance qui s’était fait estimer à Sinhingtchang par son zèle et sa charité envers les malades se rend à Fouling. Le Père Auffret est destiné à la chrétienté de Houangmoutchang mais ne peut s’y rendre. Depuis le 12 décembre, la capitale du Sikang est passée sans heurt sous le nouveau régime de la “démocratie populaire”, comme l’annonçait à ses administrés le gouverneur provincial Lieou ouen-houi. Des affiches apposées en ville proclament la liberté de religion et le respect de la propriété privée. En même temps, les sous préfectures voisines de Louting et de Tanpa sont libérées et d’autres demandaient à l’être. C’est l’accalmie avant l’orage. Toutefois les portes de Chine sont désormais fermées. Le frère Duc qui rentrait en mission avec deux jeunes religieux du Grand St Bernard, M Mrs Droz et Petoud se trouvaient retenus à Saigon et, en désespoir de cause, ne pouvant obtenir leur “visa” pour la Chine, rentraient en Suisse.

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Malgré le changement de régime, les restrictions et les taxes qu’il impose, les missionnaires peuvent vaquer à leur ministère. A l’aube de l’Année Sainte, Mgr Valentin met le diocèse de Kangting sous la protection du Cœur Immaculé de Marie. En septembre il érige canoniquement le diocèse et, quelques semaines plus tard, confère le sacordoce à Mr Wang yeou-ts’u rentré l’année précédente du Séminaire de Kunming. Les processions du St Sacrement, le pèlerinage à Ste Thérèse peuvent se dérouler, comme d’ordinaire. Les Pères Auffret et Roland poursuivent l’étude du chinois et se forment au ministère à la cathédrale. A Taofu, le Père Jules Leroux inaugure une nouvelle méthode d’apostolat. Certains soirs il réunit ses élèves et ses chrétiens dans une famille désignée d’avance et tous ensemble récitent la priére du soir. Le curé de Taofu célèbre les bienfaits du nouveau régime : Il profite de l’électricité que les communistes ont installé chez lui et se loue de la correction de ses hôtes, il peut même voyager gratuitement entre Taofu et Chiaratong (50 km) sur les camions militaires.

A la léproserie, les Pères franciscains occupent leur nouveau couvent et les autorités civiles confient aux religieuses tous les lépreux et lépreuse qui leur sont signalés, mais ne prennent aucune mesure pour leur entretien. A Fouling, le Père Dozance fait face à la situation avec son dispensaire et son large sourire. Se rendant compte que sa connaissance du chinois n’est pas encore suffisante pour garder les relations que son prédécesseur, le Père Victor Leroux avait nouées avec le milieu cultivé de la ville, il obtient de l’évêché que le Père Yang lui soit adjoint.

A l’automne les nuages s’amoncellent ; il n’est plus permis aux étrangers de voyager sans laisser-passer ni faire du ministère en dehors de l’église. Bientôt la suspicion et la délation règnent, les missionnaires sont gardés à vue dans leurs résidences qui, comme à Lentzy sont transformées en caserne, ou visitées de fond en comble, comme à Chapa. On s’efforce de détacher les chrétiens de leurs pasteurs et les prêtres indigènes de leurs confrères européens. Le masque est levé, la persécution commence.

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Genève, août 1953

Francis Goré

DMC

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