GENESTIER LE PREMIER PATRIARCHE
Les pentes de l’Alolaka avaient, dans les premiers mois de 1900, été le théâtre d’une bataille mémorable entre des Thibétains venus de la province voisine du Tsarong et les indigènes Loutze. Le «Bouddha vivant» (trulku) de la lamaserie de Tchamoutong pour se faire pardonner ses bonnes relations avec les premiers missionnaires des MEP qui avaient installés un poste à Bonga mais qui, depuis, en avaient été chassés, s’était engagé à ne plus jamais permettre le retour des prêtres dans la vallée de la Salouen. Mais le Père Genestier s’y était réinstallé le 29 juin 1899, à la demande des Loutzes eux-mêmes qui voyaient en lui en moyen de se protéger des Thibétains, qui mettaient régulièrement la région en coupe réglée.
En réponse, une bande de Tsaronnais en armes conduits par un lama lui aussi armé, avait pénétré dans la vallée de la Salouen en janvier 1900, menaçant d’envahir celle du Doyong puis de chasser le Père Genestier du poste de Bahang.
Loin de convoiter la palme du martyre, le Père Genestier, en dépit de sa petite taille, était plutôt du genre des moines-guerriers d’autrefois. Armé d’une redoutable Winchester à répétition de calibre 30, modèle1895, il avait pris la tête d’une troupe d’une centaine de Loutzes, eux-mêmes armés de leurs traditionnelles arbalètes à flèches empoisonnées, et avait organisé la défense sur la piste du col de l’Alolaka.
Le 29 janvier 1900, les Thibétains s’étaient présentés devant le barrage de troncs et de flèches empoisonnées fichées en terre que le Père avait fait édifier.
− Que voulez-vous?, avait demandé le Père Genestier au lama qui commandait la bande, interloqué par une telle résistance.
− Nous rendre à Bahang, avait répondu le lama.
− Pas question, à moins que vous ne déposiez vos armes et que vous vous présentiez en amis. Vous serez alors les bienvenus et nous boirons ensemble, avait rétorqué le Père Genestier du haut de son mètre soixante.
Entendant cela, le lama avait alors levé son arme. Le Père Genestier avait été plus rapide, lui logeant une balle entre les deux yeux. Les Tsaronais s’étaient alors enfuis en désordre, piétinant les champs de pointes empoisonnées fichées en bordure de la piste par les Lissous, contre lesquelles les semelles de feutre de leurs bottes n’offraient aucune protection. La bataille dura deux heures, durant lesquelles le Père Genestier et ses ouailles poursuivirent les Thibétains jusqu’à la Salouen.
Là, les Tsaronais affolés franchirent le fleuve pour atteindre Pondang, sur sa rive droite, sous les coups de Winchester du Père Genestier. L’un de leurs radeaux, confectionné à la hâte, se désagrégea dans la panique. Si quelques Thibétains parvinrent à rejoindre la rive droite du fleuve, accrochés à des morceaux de bois, une douzaine d’entre eux périrent noyés.
Finalement, le Père Genestier et sa troupe de Loutzes, cernèrent les survivants, qui s’étaient réfugiés dans la lamaserie de Chamoutoung, et les contraignirent à demander grâce, après un siège de quinze jours. En bon chrétien, le Père Genestier eut un geste magnanime, peu courant dans ces régions.
Moyennant leur promesse de ne plus jamais revenir inquiéter ses ouailles, il autorisa les survivants Tsaronais à rentrer dans leurs frontières du Thibet autonome. Les Thibétains impressionnés par la redoutable capacité de défense du petit homme, autant que par sa clémence, allaient tenir parole.
Après la bataille, le Père Genestier s’était rendu à Yunnan-fou (Kunming).
Pour le remercier d’avoir repoussé les Thibétains dans leurs frontières, le vice-roi du Yunnan avait décerné au Père Genestier le globule de Mandarin de Troisième Degré et lui avait restitué la propriété de Kionatong, poste jadis confisquée par la lamaserie de Chamoutoung.
Rentré dans la vallée de la Salouen avec le délégué chinois chargé de régler les questions pendantes, le Père avait été accueilli en libérateur. Plus de trente ans s’étaient écoulés depuis ce jour mémorable de 1900 et jusqu’ici plus aucun Tsaronais n’avait depuis osé pénétré dans le fief du « Patriarche du Loutzekiang », autrement que pacifiquement.
Extrait tiré de la « CROIX TIBETAINE » « Des chiens d’aveugles au Saint-Bernard en Chine. De la Mission du Tibet aux services secrets américains » »Chroniques de Robert Chappelet – Grand aventurier gentilhomme du XXe siècle ». Récit historique illustré. Oeuvre brillante écrite par le journaliste-historien Jean-Louis Conne – Bex – Suisse.
NOTA BENE : Si vous ne deviez lire qu’un seul ouvrage sur la mission dite du Thibet, vous ne devez pas omettre aussi la lecture de « TRENTE ANS AUX PORTES DU THIBET INTERDIT – 1908-1938 » par Francis Goré (MEP) – Hongkong 1939 réédité aux éditions KIME – Paris – 2001
dmc en la fête de Sainte Marthe