Venant apporter une note de tristesse bien profonde, la nouvelle du décès du P. André me parvint à Rome, le jour de la clôture solennelle du Concile Vatican II. Avec lui disparaissait le dernier représentant des M.E.P. ayant missionné dans le «District de l’Intérieur» de la Mission du Tibet, actuellement diocèse de Kangting.
Figure caractéristique du vrai pionnier et du parfait broussard, le P. Georges André mérite pleinement d’être commémoré dans notre Revue missionnaire, puisque aussi bien, appelés à la rescousse par les Supérieurs de Paris, les Pères du Grand-Saint-Bernard ont travaillé côte à côte avec lui durant une vingtaine d’années et ont eu souvent l’occasion de goûter son hospitalité large et même royale, compte tenu des conditions du pays.
– Né à Champagney (Franche Comté) le 14 avril 1891 d’une vieille famille issue du village, son père Théophile est marchand de bois.
– Avec son frère Louis, la famille ANDRE vivait au milieu des bêtes (bœufs pour le transport des arbres) et des ouvriers de l’entreprise paternelle.
– Sa première vocation ne sera pas de devenir missionnaire, mais plus curieusement explorateur au Pôle Nord. Ceci s’explique car en ces dernières années du XIXe siècle, l’exploration de l’océan Arctique passionne tous les navigateurs.
– En 1903, les deux frères André entrent au petit séminaire de Luxeuil où ils vont poursuivre leurs études.
– A la fin de leurs études à Luxeuil, son frère Louis revient à Champagney pour travailler dans l’entreprise familiale, et faire une carrière dans le domaine du bois. Georges, quant à lui a pris la décision de poursuivre dans la voie de devenir missionnaire.
– Il a 17 ans, et le 22 juin 1908 Georges adresse une lettre de demande d’admission au Séminaire des Missions Etrangères de Paris. Il entre au 128 rue du Bac, à Paris en septembre 1908 et y restera 3 ans.
– En 1912, il doit interrompre ses études pour effectuer son service militaire. La situation en Europe est plus qu’inquiétante. Le gouvernement décide de porter la durée du service à trois ans. Il devrait donc quitter l’armée en 1915. Malheureusement la guerre avec l’Allemagne a éclaté depuis un an et André est maintenu sous les drapeaux pour la durée des hostilités. Il fera toute la guerre sur plusieurs champs de bataille dont celui de Verdun. Il terminera avec le grade d’adjudant, des galons qu’il a gagnés au front. Malheureusement, à l’armistice de 1918, au lieu de connaître la joie de la démobilisation, il est envoyé avec les troupes d’occupation en Allemagne. Il ne sera libéré qu’à la fin du mois d’août 1919 après neuf années de service militaire.
– A la fin de cette guerre, c’est un autre homme qui reprend ses études aux Missions Etrangères, et cela, en septembre 1919. Le 29 juin 1920, il est ordonné prêtre des mains de son Eminence le Cardinal Amette, Archevêque de Paris, en l’église Saint-Sulpice. Dans l’image pieuse annonçant sa première messe solennelle il est noté ce qui suit : « Quel bonheur si je pouvais devenir l’instrument des miséricordes divines à l’égard de quelques âmes qui ont coûté si cher à Jésus-Christ, et nous retrouver ensuite pleins de miséricorde et comblés de gloire dans le séjour du bonheur. C’est ce que j’espère fermement de la divine bonté, et des prières que vous ferez pour moi de concert avec tant d’âmes qui s’intéressent au succès des Missions Etrangères. »
– Il quitte Paris le 21 novembre 1920. Avant de quitter la rue du Bac, il demande avec tous ses collègues missionnaires la grâce du martyre. C’est seulement à la veille de son départ qu’il connaîtra sa destination, le Thibet, sans plus de précisions sauf celle-ci : il est nommé à un avant poste de la chrétienté.
– Le père André quitte Marseille le 24 novembre 1920, à destination de l’ouest de la Chine. En février 1921, il débarque à Saïgon. Pendant quatre mois il voyage entre Saïgon, Shanghaï, Hong-Kong, Canton, etc.
– Finalement il entre dans la province du Yunnan par le Vietnam. Il fait le trajet d’Haiphong à Yunnanfu (actuellement Kunming en passant notamment par Lao Cai et Amitchéou et cela par le train construit par les français avec l’aide d’ingénieurs suisses.)
– Les Anglais eux-mêmes, ont dû avouer que les travaux ferroviaires exécutés étaient un véritable tour de force. « Sur un parcours de 700 kilomètres, de Lao Cai à Yunnanfu, on compte plus de 150 tunnels. Quant au nombre de ponts il est plus fort encore ». Le père André arrive à Kunming le 20 avril 1921. La capitale Yunnan comptait environ 90 milles habitants et la ville était encadrée par un quadrilatère longé de murailles ressemblant assez, par leurs dimensions, à des forteresses du moyen âge. Il y est accueilli à l’évêché par Monseigneur De Gorostarsu, vicaire apostolique du Yunnan. De Paris à Kunming il a ainsi fait 22’643 km. Il ne lui reste qu’environ 1’000 km à parcourir et ce ne sera pas les moins fatigants. Quoi qu’il en soit, il espère être à destination dans un mois au plus tard.
– Puis en passant par Dali, il arrive à Weixi, la dernière sous-préfecture chinoise, avant les marches interdites du Thibet. C’était une bourgade d’à peine deux mille habitants, où se trouvent quelques commerces qui procurent les marchandises de première nécessité : clous, cordes, bois, ciment, toiles, etc.
– Weixi se trouve à environ 150 kilomètres de Bahang, destination du père André. Après quelques jours d’efforts, il arrive, par le col du Sila (plus de 4’000 m.) à son lieu de destination passant par Tsechung. C’est le 22 juin 1921 qu’il arrive à Bahang, poste inoccupé depuis des années.
– Cette mission avait été crée en 1899 par le Père Génestier, qui avait vu son église incendiée par deux fois par des lamas venant régulièrement faire des incursions dans cette région. Le village dans lequel il arrive n’est « même pas un hameau, les masures des Loutzes (Nu) sont complètement dispersées dans la nature à des endroits où on chercherait vainement dix mètres carrés de plat. »
– Un explorateur américain (austro-américain recte-dmc), Joseph F. Rock, s’est rendu dans cette région du Thibet chinois où il a rencontré le Père André. Dans une communication au titre évocateur : »Le dernier avant-poste de la chrétienté », adressée à la Société de géographie de Washington, il décrit sa rencontre avec le Père de la manière suivante : « Encore une fois nous descendons à travers de magnifiques et sauvages forêts, profondément, dans la vallée de Douyoulongba (Doyon) où, sur un piton à 8’200 pieds d’altitude, est situé le dernier avant-poste d’une mission chrétienne, le thibétain Bahang ou le Perhalo des Chinois. Pour moi c’est le plus aimable des postes missionnaires que je connaisse : là, vit tout seul un jeune prêtre, le Père André, qui a combattu durant la grande guerre, du premier jour à l’amer dernier. Maintenant, en ce poste perdu, il a le temps de réfléchir sur la vanité de tout cela. De novembre jusqu’à mai, quand les cols sont bloqués par la neige, il est complètement isolé du reste du monde. Aucune lettre ne peut l’atteindre durant ce temps. Au nord, à deux jours de là, il y a le Thibet interdit, et au sud, à deux jours, la région traîtresse des Lissous noirs. Il y a 18 huttes à Bahang, situées autour de la montagne, dont l’église et la mission occupent le sommet … «
– Le Père André devra attendre 25 ans pour qu’il ait une deuxième visite, en dehors des collègues missionnaires qui se hasardent quelques fois jusqu’à son nid d’aigle.
– En dehors de sa mission apostolique, André le bâtisseur entreprend des travaux colossaux pour améliorer la vie pratique de ses Loutzes. Ceux-ci empruntent pour se déplacer des sentiers qui vont droit au but sans tenir compte de la pente des montagnes. La charge qu’ils peuvent porter est limitée car souvent ils sont obligés de s’agripper aux rochers pour monter, et même de marcher à quatre pattes. André se transforme en ingénieur des ponts et chaussées pour réaliser des pistes en longs lacets de pentes toujours égales ce qui permettra le passage des caravanes. Il dirige les travaux, mettant la main à la pâte, effectuant lui-même le tracé des nouvelles pistes, couchant sur les chantiers par tous les temps. Il a réalisé ainsi prêt de trois cents kilomètres de pistes …
– Après l’achèvement de ces pistes, le Père André se met en tête de lancer un pont de plus 58 mètres de long sur le fleuve. Or, les gens à qui il fait cette proposition n’ont jamais vu un pont de leur vie et n’imaginent même pas l’existence de tels moyens pour franchir une rivière ou une vallée… Finalement, il commandera le câble dans son pays d’origine.
– Très vite il fût surnommé « Georges 1er Empereur du Loutzekiang ». Ses confrères le surnommèrent « l’ours de Bahang »… De l’ours, il avait la carrure, la puissance, la démarche lente et chaloupée, les grognements, et quand cela s’avérait nécessaire, les rugissements.
– Le père André crée aussi un jardin potager dans la mission, car la seule nourriture sur ces hauts plateaux où pratiquement rien ne pousse, est constituée de graines, de lait de yack, de noix d’une grosseur impressionnante, de pain de seigle, de miel et de la boisson de ces hauts plateaux, la tsampa thibétaine (thé au beurre rance)
– Pour des raisons familiales et notariales, le Père André se trouva dans l’obligation de revenir quelque temps dans son pays d’origine. Ainsi, il quitta Bahang en décembre 1934 pour arriver à Marseille le mercredi de Pâques 1935. Il restera près de deux ans auprès de sa mère et règlera ses problèmes immobiliers et de partage.
– Le 5 février 1937, il dut se résoudre à regagner sa mission. Ce fut une dure séparation. Il arrive à Tsechung le 2 juin 1937. Il rejoindra Bahang heureux de retrouver ses paroissiens dont beaucoup désespéraient de le voir revenir un jour. Malheureusement il dut très vite repartir. Le 10 novembre 1937 le vicariat apostolique du Thibet, dont il dépendait l’envoie cette fois à Tsechung pour seconder ou/et remplacer un missionnaire. En octobre 1940 un missionnaire arrive de France et est nommé à Tsechung. Le Père André repart immédiatement pour son poste qu’il ne quittera pas de toute la guerre. Cette fois, il est complètement isolé, plus de courrier, plus de journaux, il a perdu tout contact avec le monde extérieur.
– Il profite de ces années d’isolement pour écrire un dictionnaire français-thibétain-loutze. En effet, il parle parfaitement le thibétain, et est le seul à parler loutze (il sera d’ailleurs correspondant de l’Institut des langues orientales). On lui doit également une étude sur le bouddhisme dans la région, une sur le catholicisme en Chine, ainsi qu’un travail important sur les caractères chinois.
– En 1951, les commissaires politiques demandent aux missionnaires de quitter les missions. Soutenus par les chrétiens, ils ne tiennent pas compte de cet ordre. Le 11 mai 1952, les choses deviennent sérieuses et le Père André reçoit une note libellée en ces termes : Votre demande de quitter la Chine est acceptée sous quatre jours », alors qu’il n’avait rien demandé.
– A cette époque sa santé s’est détériorée, il souffre de problèmes circulatoires, ses jambes enflent et il ne peut pratiquement plus marcher. Un détachement de soldats vient à Bahang pour l’expulser manu militari et le conduire à Hongkong. Il ne peut emporter que son bréviaire. Ses paroissiens en larmes obtiennent l’autorisation de l’accompagner jusqu’à la frontière du Thibet. Ils lui font passer deux cols (l’un à 4’600 et l’autre à 4’000) encore enneigés en le portant. Arrivé à Weixi, l’état de santé du Père André s’est encore dégradé, et la caravane doit prendre plusieurs semaines de repos. Dès qu’il est un peu mieux, les militaires exigent le départ. Le Père André a quitté Bahang avec d’une part le Chanoine Louis Emery et le laïc Bob Chappelet. La caravane repart, le Père quitte le Thibet, le visage inondé de larmes. Il se met debout et trace un grand signe de croix en direction de l’Ouest. Son fidèle catéchiste Zacharie se traîne à genoux, s’agrippe à ses jambes et crie sa douleur. C’est la séparation inéluctable. Le reste du voyage est un cauchemar. Cette caravane arriva à Hong-kong le 31 juillet 1952. Le Père André est immédiatement admis à l’hôpital et passe deux mois dans cet établissement avant d’être rapatrié sur Paris.
– Lorsqu’on l’interrogeait sur son avenir il déclarait : « J’attends le moment de repartir, de retourner au milieu de ma mission, retrouver mes chrétiens à qui j’ai promis de revenir mourir chez eux … ».
Tirés du livre : Le Père Georges André – Missionnaire comtois du bout du monde Thibet — (1920 – 1952) – Les Editions de Haute-Saône (1998)