Skip to main content

P. ANDRE GEORGES vu par chanoine Lovey

Le Père Georges André des M.E.P.
1891-1965

Venant apporter une note de tristesse bien profonde, la nouvelle du décès du P. André me parvint à Rome, le jour de la clôture solennelle du Concile Vatican II. Avec lui disparaissait le dernier représentant des M.E.P. ayant missionné dans le «District de l’Intérieur» de la Mission du Tibet, actuellement diocèse de Kangting.

EMBARQUEMENT D’ÂNES SUR LA SALOUEN

Figure caractéristique du vrai pionnier et du parfait broussard, le P. Georges André mérite pleinement d’être commémoré dans notre Revue missionnaire, puisque aussi bien, appelés à la rescousse par les Supérieurs de Paris, les Pères du Grand-Saint-Bernard ont travaillé côte à côte avec lui durant une vingtaine d’années et ont eu souvent l’occasion de goûter son hospitalité large et même royale, compte tenu des conditions du pays.

Né à Champagney, en Haute-Saône, le futur missionnaire fit ses études en son village, puis suivit les cours du petit Séminaire de Vesoul et de Besançon avant de venir frapper à la Rue du Bac dont il fut à l’époque le plus jeune aspirant.

Le service militaire vint interrompre ses études théologiques. Il venait d’achever ses trois ans réglementaires, qu’éclatait la Grande Guerre. Versé dans l’Intendance, il en gravit les échelons jusqu’au grade d’adjudant, dont il se montra toujours très fier. Chaque année, le 14 juillet, il organisait une parade, défilant martialement, sabre au clair, sous les yeux un peu ahuris de ses confrères venus pour la circonstance. Et les histoires de guerre de défiler à leur tour… avec de légères variantes d’une année à l’autre…

La paix revenue, il dut encore servir quelques mois en Allemagne avant d’être démobilisé et rendu à la vie civile et à ses études. A l’en croire, le climat de la Rue du Bac avait changé avec le retour d’une forte cohorte de poilus, dont la mentalité et le langage restèrent marqués pour le reste de leurs jours par les années passées sous les drapeaux.

Ordonné prêtre en 1920, le P. André fut dirigé sur Shanghai; ses années passées dans l’Intendance semblaient le destiner au service des Procures. Cependant, un ordre allait bientôt le ramener de Shanghai à Hong-Kong, d’où il fut dirigé sur le Tibet, via Haiphong – Kun-ming – Tali – Weisi – Tsechung. Là, l’accueillait le P. Ouvrard, vicaire forain, qui le confia à un latiniste pour lui apprendre les éléments du tibétain et du chinois. Méthode efficace, disait-on, mais plutôt pénible durant les premiers mois. C’est ainsi que le P. André aimait à nous raconter comment il ne parvenait pas à faire comprendre à son cuisinier qu’il désirait boire de l’eau froide; il lui répétait sur tous les tons : je ne veux pas de l’eau chaude ! Le cuisinier s’abstenait de lui apporter de l’eau chaude, mais il n’avait pas l’idée que le Père voulait de l’eau froide…

Sa formation linguistique n’était pas encore bien avancée qu’un remue-ménage dans les postes de la région vint prématurément confier au P. André la déservance de Bahang, dans le Salouen, où l’on parlait surtout le loutze.

ENFANTS DE DIMALO

Le P. André s’adonna donc à l’étude du langage de ses ouailles; mais, comme ce dialecte n’est parlé que dans un rayon très restreint, il était fatal que le P. André fût handicapé lorsqu’il devait parler tibétain et surtout chinois.

Très tôt, le P. André sentit le besoin d’améliorer les rares pistes qui existaient entre les vallées de la Salouen et du Mékong, afin de les rendre praticables, non seulement à des piétons acrobates, mais encore aux montures et aux bêtes de somme, car jusqu’alors tout le portage se faisait à dos d’homme. Il en créa d’entièrement nouvelles pour relier les divers postes de la Salouen entre eux et cela sur les deux rives du fleuve. Les pistes du Sila et du Latsa méritent une mention spéciale. En ajoutant bout à bout ces diverses pistes, on obtiendrait le chiffre impressionnant de 200 km. au minimum !…

Comme tout homme aux idées nouvelles, le P. André ne fut pas toujours compris des indigènes; ceux-ci savaient bien qu’une piste à créer sur leur territoire signifiait des semaines de corvée pour chacune des familles de leurs villages. Mais, une fois l’accord du mandarin ou des chefs locaux obtenu, le P. André allait de l’avant, bien persuadé qu’un jour les gens comprendraient l’utilité de ces sentiers qu’emprunteraient désormais gens et bêtes. D’ailleurs, ingénieur en chef des travaux, le P. André payait de sa personne, tâchant de se rendre omniprésent pour exciter les uns et les autres et surtout pour s’assurer que ses consignes étaient bien exécutées. C’est dire qu’il passait chaque année des semaines sur ces chantiers, situés souvent en haute montagne, travaillant sous le soleil ou sous la pluie, au gré des circonstances, et dormant dans des huttes ou sous la tente comme tout le monde. Point étonnant qu’il en ait récolté des rhumatismes.

LES PERES MEP ET LES CHANOINES LORS DE LA 1ère MESSE DE MAURICE TORNAY 2n 1938

De haute stature et d’une corpulence remarquable, orné en outre d’une barbe puissante, le P. André n’était pas fâché d’être appelé «l’ours de Bahang»; et, ma foi, l’occasion se présentant, l’ours de Bahang ne répugnait pas à montrer sa force. Fallait-il déplacer une lourde pierre, traîner une poutre? alors que trois ou quatre pauvres bougres n’y parvenaient pas, le P. André, pestant contre ces incapables et grognant comme un vrai ours, y réussissait sans trop de peine. Il en récoltait régulièrement une sincère admiration de la part de ses subordonnés et une fois, hélas! une hernie qui, en l’automne 1945, le conduisit jusqu’à l’hôpital de Kunming.

Pour clore le chapitre des travaux d’utilité publique exécutés sous la direction du P. André, signalons la construction d’un pont suspendu, en câbles d’acier, sur le Mékong, au nord d’Atentze, entre les localités de Mapatine, rive gauche et Houreline, rive droite, sur la route des caravanes de Chine au Tibet. Là encore les habitants du lieu eussent préféré conserver le système traditionnel des ponts de cordes en bambou, avec le péage et les risques qui y étaient attachés; mais, les riches marchands de Likiang, fournisseurs des câbles, et munis des autorisations nécessaires, recoururent au savoir-faire du P. André pour diriger ces travaux délicats. Le succès fut complet et ce fut là un beau couronnement de la carrière d’ingénieur du P. André. Les communistes étaient à la porte, qui emprunteraient pistes et ponts construits par le P. André, tout en proclamant que les missionnaires étaient des parasites et des ennemis du peuple!…

Cependant, n’allons pas croire que le P. André passa le plus clair de son temps à construire des ponts et des pistes muletières. D’ailleurs, ce faisant, outre les services rendus à la population indigène, il s’est épargné et il a épargné aux autres missionnaires de la région fatigues et pertes de temps. La visite des différents postes et les relations entre confrères en étaient grandement facilitées.

Quant au P. André, de son nid d’aigle de Bahang, où il résida de 1920 à 1952, à part une interruption de six ans, il rayonnait sur la partie de la vallée de la Salouen appelée Loutzekiang. Il se rendait souvent à Pongdang, à Kiongra et même jusqu’à Liouragang et Sekine; dans chacun de ces postes secondaires, sauf à Liouragang, il construisit un pied-à-terre avec chapelle intérieure.

Doué d’un zèle rare, il s’entourait de catéchistes et les envoyait missionner dans les environs. Lui-même faisait le catéchisme aux enfants et, dimanche et fêtes, il l’expliquait longuement aux adultes réunis à l’église, sans compter le sermon qui ne finissait que lorsque le missionnaire n’avait plus de voix. Mais personne n’a pour autant manqué le train ou le bus pour rentrer chez soi… le temps ne comptait pas au Thibet et les gens n’avaient pas de journaux, de radio ni de cinéma pour absorber leurs loisirs.

Après quatorze années d’intense et fécond labeur apostolique, le P. André rentra en France, où l’appelait entre autre la situation familiale à régler en suite du décès de son père. Une partie de l’héritage paternel fut convertie en objets de cultes pour ses multiples chapelles, en matériel divers et en outils pour ses chantiers. De partout l’on venait emprunter des scies, des pics et des pelles, des haches, des cadenas, etc. chez la succursale du Bon Marché qu’était la résidence de Bahang. Je n’oserais pas affirmer que les objets empruntés faisaient toujours retour à leur légitime propriétaire, même lorsque les emprunteurs étaient des confrères… L’ours de Bahang grognait bien un peu, mais il ne refusait jamais de rendre service.

P. André Georges (MEP) Rouiller (c.r.) P. Tornay Maurice (c.r.) P. Lattion Cyrille (c.r.)  P- Melly p.-Marie (c.r.)

De retour de son long congé en juin 1937, le P. André fut affecté temporairement au poste de Tsechung, en remplacement du P. Goré, qui était parti pour consulter la Faculté à Hong-Kong et pour y imprimer ses ouvrages. A Noël 1939, le P. Goré réintégrait sa paroisse et le P. André se retira à Patong, poste secondaire d’où il pouvait plus facilement rayonner chez les Lissous de Lomélo, où jadis le P. Dubernard et le P. Bourdonnec avaient été assassinés en haine de la foi. Fait unique dans les annales de notre Mission: quelques villages avaient déclaré vouloir embrasser la foi chrétienne; le P. André les visita à plusieurs reprises et leur envoya des catéchistes sachant leur langue. Hélas ! le roitelet de Yétche, dont relevaient ces villages, ne tarda pas à mettre les bâtons dans les roues ! De plus, l’assassinat du P. Nussbaum, en septembre 1940, ramena le P. André à Bahang, que le P. Burdin quittait pour prendre la difficile succession du P. Nussbaum à Yerkalo.

Le P. André ne devrait plus quitter ses chers Loutzes si ce n’est forcé par les circonstances. En automne 1945, après avoir fêté solennellement son jubilé sacerdotal, il dut se rendre à Kun-ming dans l’espoir d’être délivré de la hernie dont il a été parlé ci-dessus. Il voyagea en compagnie d’un véritable ours du Thibet, héritage du P. Burdin et dont ses confrères lui avaient fait cadeau à l’occasion de son jubilé. Bien apprivoisé, l’ours aurait pu faire les délices des soldats américains qui traînaient encore par Kunming dans l’attente d’un prochain rapatriement et le P. André comptait bien l’échanger contre des médecines et autres objets dont on présumait que l’Oncle Sam ne s’embarrasserait pas à son retour. Ces espoirs ne se réalisèrent pas, c’était trop tard, et l’ours fut adopté par l’Ecole professionnelle des bons Pères Salésiens de Kun-ming.

L’essentiel de ce voyage à Kunming fut tout de même atteint puisque le P. André nous revint au printemps 1946, en excellente forme. Dès que le Sila fut un peu dégagé des neiges, il regagna son cher Bahang, qu’il ne quitta guère que pour venir à la retraite à Tsechung ou pour aller construire son fameux pont suspendu à Houreline.

Les années de guerre avaient été pénibles, les restrictions sévères. La paix revenue tant en Europe qu’en Extrême-Orient, on eût pu s’attendre à des jours meilleurs. C’était compter sans les communistes, pour qui la guerre chaude n’est qu’une phase de la lutte pour le pouvoir. De fait, les secousses annonciatrices de la vague de fond qui allait tout engloutir se faisaient de jour en jour plus fortes et plus menaçantes : des bandes ennemies sillonnaient tour à tour le pays, pillant et semant la terreur et la mort. Aussi, lorsque les troupes régulières de Mao Tsé-Toung firent apparition, furent-elles généralement bien accueillies. par les populations. Les pauvres: elles ne savaient pas ce qui les attendait!

Quant aux missionnaires, ils ne tardèrent pas à être l’objet de vives critiques et des pires accusations, lors des réunions de masses, noyautées et secrètement travaillées par des meneurs bien stylés. Ils devinrent des sortes de pestiférés que les conformistes évitaient avec soin. Cependant, la masse des fidèles nous restèrent très attachés jusqu’au dernier moment, et même plusieurs accompagnèrent les Pères durant plusieurs jours sur le chemin de l’exil. Les chrétiens de Bahang ne firent pas exception à la règle et, en mai 1952, ils aidèrent héroïquement le P. André à franchir les vastes pentes enneigées du Sila. Le P. Emery et M. Chappelet, qui faisaient route avec le P. André, furent les témoins de leur dévouement: les chrétiens portèrent littéralement le P. André sur leur dos; sans eux il serait mort dans la montagne…

AVE MARIA

Malgré l’aide de ses chrétiens, le passage du Sila fut si pénible que le P. André faillit en mourir quelques jours plus tard et que la petite caravane dut se reposer plusieurs semaines dans la région de Weisi. Le reste du voyage fut un cauchemard pour le pauvre Père et pour ses compagnons de route; il arriva plus mort que vif à Hong-Kong, le 31 juillet 1952. Après avoir reçu des soins appropriés à son état, le P. André put enfin regagner la France, où il vécut dans la nostalgie de ses chers Loutzes, tout en rendant service, notamment à Cuverville et puis au Sanatorium Saint-Raphaël de Monbeton. C’est là que Dieu vint l’inviter à entrer dans la joie de son Seigneur, le 3 décembre 1965. R.I.P.

 A. Lovey, C. R., Prévôt du Grand-Saint-Bernard

error: Ce contenu est protégé!!!