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RACES NON CHINOISES DES MARCHES THIBETAINES DU YUNNAN

 Les Chinois rangent dans l’ordre suivant les races indigènes des Marches thibétaines du Yunnan : au sommet de l’échelle, les Mosso et Lamajen, assimilés qui peuvent aspirer, tout comme les Chinois, aux fonctions officielles. Viennent ensuite les Thibétains, Mantse au Setcboan, Koutsong au Yunnan. Au bas de l’échelle, les Loutse, synonyme de « simples », Khioutse , et Lissou qui représentent le dernier degré de l’humanité et se rapprochent de la bête.

1″ LES MOSSOS ( NAXI)
Si vous demandez à un Mosso des rives du Mékong quel est son pays d’origine, il vous répondra sans hésitation que sa famille vient de Likiang, et si, poursuivant vos investigations, vous désirez savoir depuis combien de temps sa famille est établie dans la région, il vous dira qu’il n’en sait rien exactement, mais qu’en tout cas les Mosso étaient arrivés sur les rives du Mékong bien avant les Chinois.

Les Mosso sont des adaptés, chinoisés ici, thibétanisés en pays thibétain. Ils parlent, les hommes du moins, chinois ou thibétain, mais se servent de leur langue mosso en famille et dans leurs villages. Ils ont aussi conservé certaines coutumes spéciales à leur clan, et si les hommes ne se distinguent plus des Chinois ou des Thibétains parmi lesquels ils vivent, les femmes portent encore la jupe plissée, le caraco, l’inséparable peau de chèvre, et nouent leur chignon sur le sommet de la tête, à la mode de leurs aïeules.

Les Mosso appartiennent au rameau thibétain-birman : la phrase mosso a la même construction que la phrase thibétaine, et leur religion, comme le Bonisme primitif du Thibet, est un mélange de naturisme et de sorcellerie auquel s’est ajouté le lamaïsme. Les Mosso possèdent une double écriture hiéroglyphique que les tongba ou sorciers seuls savent lire. Quelques auteurs ont suggéré que cette écriture mosso pourrait être l’ancienne écriture thibétaine, mais il semble plutôt que l’étude de cette écriture révélera sa parenté avec le chinois ancien.

Les Mosso, dont le centre est Likiang, peuplent la bouche du Fleuve Bleu et les rives du Mékong, et ils forment ses groupes. assez compacts au Tchongtien, sur les bords du Yalong et jusqu’au Kientchang. Bien que leur origine mongole ne soit pas douteuse, on ne sait à quelle date ils sont arrivés dans ces régions. Les Annales chinoises des Tang signalent, dès le vu” siècle, la présence des Mosso au pays de Sadang, qui faisait partie du royaume Thaï de Lantchao au siècle suivant.

2° LES LAMAJEN ET PASO
Les Lamajen, qu’il ne faut pas confondre avec les lamas thibétains, appartiennent à la race thaï, que nous appelons Mingkia en Chine. L’auteur de l’Histoire particulière du Lanchao nous dit qu«ils sont venus du Thibet et qu’ils firent venir les Mosso sur leurs terres pour leurs serviteurs. » Toutefois, les Lamajen eux-mêmes se disent, comme les Mingkia de la région de Taly, descendants des soldats chinois venus du Chantong à la conquête du pays. Plus nombreux au sud du confluent de la rivière de Weisi avec le Mékong, ils n’ont que quelques villages sur les rives du fleuve, dans notre région.

D”après les uns, les Paso sont de souche thibétaine, comme les Sifan avec lesquels ils se, confondent; d’après les autres, ils sont Lolo. Peu nombreux dans le territoire de Weisi, leurs villages les plus importants sont Piétiko et Tamitcheou, plateau situé à la limite de Likiang et de Weisi, le refuge des indésirables de ce pays.

3″ LES LISSOUS
Jusqu’à ces derniers temps, la Chine se désintéressait des races inférieures, Lissou, Loutse et Khioutse de la frontière sino-birmane. Elle n’a établi des mandarins chinois dans la vallée du Salouen que pour ne pas laisser croire que la vallée est terra nullius et arrêter l’avance anglaise dans cette direction.

Si les Lissou, comme certains l’affirment, étaient les premiers occupants tales vallées du Fleuve Bleu, du Mékong et du Salouen, et s’ils n’ont été repoussés vers le sud qu’à l’époque des invasions thibétaines, ils font actuellement une marche en sens inverse; ceux du Salouen en particulier remontent vers le nord, menaçant l’existence même de la tribu loutse. On a prétendu que Lissou, Lolo, Loutse, et même Thibétains et Mosso sont les membres d’une même race, les uns évolués, les autres restés primitifs, et pour appuyer cette hypothèse, on nous répète que les premières syllabes des mots li-sou, lo-lo, lou-tse: signifient « homme » dans les différents dialectes de ces tribus! On raconte aussi que le gouvernement provincial envoya naguère contre les Lissou une colonne chinoise et que leur chef prétendit avoir exterminé la race lissou, qui ne s’en porte pas plus mal et continue de se développer.

Nous trouvons les Lissou dans la vallée du Salouen, entre le 25″ et le 28″ de latitude, où ils forment un groupe assez compact, dans les vallées clu Mékong et du Fleuve Bleu, et plus à l’ouest, dans les districts de Likiang, Yongpé et Outing, mêlés à d’autres tribus, mosso, minkia et Iolo.

D’après la tradition, les Lissou viennent du nord, d’un pays où ne pousse pas le riz et où le gibier se trouve en abondance. On conclut de là, un peu hâtivement, que leur pays d’origine était la région des sources du, Salouen et du Mékong. Quoi qu’il en soit, les Lissou préfèrent les montagnes aux rives des fleuves et ont conservé le goût de la chasse. Les hameaux lissou n’ont que quelques feus et les villages les plus populeux ne dépassent pas trente à quarante familles. Ils vivent de la culture de leurs montagnes : blé, maïs, millet, pommes de terre, et parfois riz qu’ils cultivent sur les terrasses en bordure des fleuves, tout en gardant leur habitat à flanc de montagne. Ils cultivent aussi le chanvre pour la confection de leurs vêtements, le tabac que fument petits et grands, hommes et femmes, et, excellents chasseurs, se livrent à la chasse du petit et du gros gibier, ne dédaignant pas même le rat de montagne dont ils sont très friands. Vivant de peu, ils ne s’occupent que des terrains suffisants à leur nourriture et à leur boisson, car ils ont un faible pour l’alcool.

Le Lissou, comme son voisin le Lolo, est bien découplé, il a les yeux droits, le nez aquilin, le menton bien pointé. Pour vêtements, il porte une robe de chanvre croisée sur la poitrine et atteignant les genoux, des culottes et des molletières de même matière, et se couvre la tête d’un turban, d’un chapeau de feutre grossier dont les bords sont relevés, et parfois d’une peau d’animal. La mode féminine est plus variée, mais le costume consiste essentiellement en un corsage court et une robe plissée. ‘Là où s’est introduit le petit marchand chinois, la toile de coton a remplacé la toile de chanvre.

Là aussi où ‘les Lissou sont en contact avec d’autres peuplades, ils ont adopté en partie leurs coutumes et leur langage. Les Chinois divisent les Lissou en Lissou blancs, fleuris et noirs, tout compte ils distinguent les Lolo en Lolo noirs et blancs. Les Lissou blancs ou fleuris sont ceux qui ont déjà subi l’influence chinoise, les noirs sont ceux qui vivent retirés dans la vallée du Salouen et sur lesquels la Chine n’a pas encore étendu une domination effective. Pour étudier les Lissou, dits sauvages, il faut les visiter dans la vallée du Loutsekiang, du 26’au 27″30’ de latitude. C’est cette région que nos compatriotes, MM. Guibaut et Liotard, ont traversée pendant l’automne de 1936.

Voici quelques détails transmis par les premiers voyageurs, Rose et Forrest, anglais l’un et l’autre.

La religion des Lissou est une sorte d’animisme ou culte des esprits, auxquels on offre des sacrifices pour écarter leur courroux ou obtenir der faveurs. A cet animisme se joint le culte des ancêtres qui ont leur tablette dans toute case Lissou. Il y a les esprits des monts, de l’eau, de la terre, de la jungle, de la foudre, du vent, du ciel, de la santé. Dans les circonstances importantes de la vie, naissance, mariage, mort, ou seulement pour obtenir une bonne récolte, recouvrer la santé, le Lissou offre aux esprits du vin, une chèvre ou un porc.

Après la naissance d’un enfant, le père offre un sacrifice pour obtenir la délivrance de la mère. Après sa naissance, le nouveau-né reçoit un nom -qui ne doit lui être donné qu’en famille. Après les couches, durant un mois entier, la mère, ne peut quitter sa case et, après ce laps de temps, il faut procéder au nettoyage de la maison.

Le Lissou se marie avec une personne de sa tribu et parfois avec une Chinoise, mais jamais dans une famille shan. Dans le voisinage des Chinois il a adopté les usages chinois concernant les préliminaires du mariage : intermédiaire, trousseau et noces. Ailleurs, la famille du fiancé doit payer aux parants .de la jeune fille une somme d’argent qui représente environ celle que le père de cette jedne fille dut dépenser pour se marier. Dès lors, les fiancés s’appartiennent et font une fugue de quelques jours. A leur retour a lieu le repas de noces et, comme la femme a été payée, elle est la propriété .du mari qui peut la vendre si la vie commune ne lui agrée pas.

A la mort d’un membre de la communauté lissou, la famille et les voisins se réunissent pour les rites funéraires, et le cadavre est inhumé à l’endroit désigné par les sorts. Sur le tumulus, on suspend l’arbalète du défunt et son coupe-coupe, on dépose en terre un vase pour les offrandes à l’esprit du défunt.

Soit à l’époque du mariage. des enfants, soit à la mort des parents, les terrains de la famille sont divisés entre ses membres, ainsi que le bétail.
… Pour éviter les bas-fonds malsains, les Lissou construisent leurs huttes à flanc de montagne. Jusqu’au 26°Z5′ ils reconnaissent l’autorité de chefs serai-lissou qui prétendent que leurs ancêtres étaient des Chinois venus de la région de Nankin, tout comme ceux de Mingkia. Au nord de, ce point, nous entrons sur le territoire des Lissou noirs ou insoumis, chez lesquels toutefois un petit chef mingkia de Tou-ou (Mékong) prélevait un faible tribut annuel au nom de la Chine. En fait, ces Lissou étaient administrés par les anciens du village.

Les Lissou des vallées du Mékong et du Fleuve Bleu, formant un groupe moins homogène, sont moins turbulents que leurs congénères du Salouen. Ils n’osent pas, en présence des groupements de races différentes, mosso, thibétains, chinois, lamajen, empiéter sur le terrain du voisin, et moins encore entrer en lutte avec lui. Sur les rives du Mékong comme sur celles dd Salouen, officiels et marchands chinois vivent du Lissou, et on cite tel gros marchand qui a fait sa fortune aux dépens de ses voisins. Il faut avoir assisté à un marché entre Chinois et Lissou, ou à une de ces foires qui attirent le’ Lissou, pour juger de la moralité de leurs négociations commer¬ciales. On enivre d’abord le Lissou, et quand il est « mûr », on parle de commerce, parfois même on profite de son état d’ébriété pour lui enlever son modeste gain. La réaction ne se fait pas attendre, et de temps à autre on apprend que les Lissou se sont « révoltés » !


4° LES LOUTSE ET KHIOUTSE
Les Loutse des rives du Salouen et les Khioutse des sources du Khioukiang, branche orientale de l’Irraouaddy, appartiennent à la branche thibéto¬birmane. Ils ont la même langue, les mêmes moeurs, la même insouciance et sont proches parents des Michemis de l’Assam. En leur langue ils s’appellent Non, Anou, d’où les Chinois ont fait Lou, et d’où vient aussi le nom de Loutsekiang donné au fleuve Salouen. La tribu des Loutse ne compte qu’un millier de familles qui, au contact de leurs voisins, Lissou, Thibétains, Chinois, tendent à perdre leur originalité. Naguère le Loutsekiang et le Khioukiang relevaient administrativement des chefs mosso des bords du Mékong qui, chaque année, prélevaient l’impôt par l’intermédiaire de leurs délégués, Noukous et Moukoua.

Les Lissou, plus forts et plus énergiques, gagnent constamment du terrain au Loutsekiang et au Khioukiang, et l’immigration thibétaine et chinoise contribuera aussi à évincer le Loutse ou à le. faire disparaître dans des métissages avec des races; plus vitales. C’est un grand dommage, car le Loutse a un caractère doux et des moeurs relativement pures. D’un tempérament peu énergique, si le Loutre ne se tue pas au travail, du moins il n’est ni voleur ni batailleur. Le fléau de la race est la boisson qui détériore muscles .et cerveau et fait filer en bière et alcool un grande partie de la récolte. En toute occasion, mariage, mort, procès, les habitants d’un village se réunissent, et la bière ou l’alcool font les frais de la réunion.

A la suite de ces beuveries vient inévitablement la famine, on ne vit plus que de courges ou de racines plus ou moins comestibles. Les Loutse sont réputés pour leur hospitalité et leur entr’aide : tout étranger est admis à partager le repas de la famille aussi longtemps qu’il restera son hôte et tous les travaux des champs se font en commun. A l’occasion d’un mariage, la famille du fiancé fera des dépenses hors de proportion avec ses moyens financiers, soit pour acheter la bru, soit pour traiter ses hôtes. Quand survient la maladie, on invite le sorcier :pour chasser le diable qui en est la cause. Comme le fait remarquer un auteur chinois, si le sorcier ne réussit pas à guérir son malade, le malade mourra content de l’intérêt que les siens lui portent, et les membres de la famille pourront se rendre justice d’avoir fait tout leur possible pour le malade.

C’est des Marches thibétaines du Yunnan et du Setchoan, que depuis quatre-vingt-dix ans, plus de cinquante missionnaires catholiques ont contemplé impuissants la portion du champ qui leur a été assignée au soir de leur ordination sacerdotale. Douze d’entre eux, et des meilleurs, ont versé leur sang pour la diffusion de l’Évangile au Thibet, plus de vingt y sont mort à la peine. Le sang des uns, la persévérance des autres, n’auront-ils pas au Thibet la même fécondité qu’ailleurs?

FRANCIS GORÉ – Missionnaire de Tatsienlu (Marches thibétaines)