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DES RELIGIEUX DU MONT SAINT-BERNARD DANS LES MARCHES THIBETAINES

Les Pères du Mont Saint-Bernard, qui s’étaient embarqués à Marseille le 10 février pour l’Extrême-Orient, sont arrivés à Weishi le ler avril et s’y sont installés temporairement dans une maison mise à leur disposition par les PP. des Missions-Etrangères.

Robert chappelet lors de la construction des fondations

Weishi est une ville située à 2.300 mètres d’altitude, dans cette pointe nord-ouest du Yunnan qui s’enfonce entre le Setchoan et la Birmanie, englobant les chaînes de montagnes qui séparent la vallée du Mékong de celle de la Salouen d’un côté et de celle du Kincha-kiang (nom du Fleuve Bleu dans son cours supérieur) de l’autre.
La population de Weishi et des environs est composée de Chinois et de Mossos.   La tribu des Mossos forma autrefois un royaume qui s’étendait sur une partie du Thibet oriental et du Yunnan actuel. A demi-civilisés, les Mossos ont la réputation d’être fourbes et adroits. « Pour tromper un Thibétain, dit un proverbe, il faut trois Chinois, et pour tromper un Mosso, il faut trois Thibétains ». De telles dispositions ne favorisent pas la conversion à la morale sévère dti christianisme; cependant les missionnaires ont dans la ville une petite chrétienté d’environ 300 fidèles.

Les Religieux du Saint-Bernard ont choisi leur résidence à Weishi parce qu’ils n’y sont qu’à quatre journées de marche de la montagne où ils ont l’intention d’établir leur hospice. Ils prévoient que leur séjour y sera d’au moins deux ans; aussi se sont-ils partagé les emplois que comporte toute communauté religieuse, même aussi modeste. Le P. Melly, Supérieur, s’est chargé de l’économat. Le P. Coquoz consacre journellement deux heures au soin des malades, qui viennent de plus en plus nombreux (environ 30 par jour) exposer leurs misères corporelles. Le Frère Duc s’efforce de tirer du jardin le plus de légumes possible. Enfin M. Chappelet, le jeune laïque volontaire, s’occupe de divers travaux : aménagement de la résidence, construction d’annexes utiles, comme four à pain, etc., et à de multiples réparations.
Mais l’occupation prin¬cipale de tous est l’étude de la langue du pays, qui demande beaucoup de temps et de patience; dans ce travail quelque peu ingrat ils sont soutenus et encouragés par le désir de pouvoir faire le plus tôt possible oeuvre de missionnaires.

NOUVEAU PONT MARQUANT LE DEPART VERS LE LATSA

De plus, ils font de temps en temps — assez fréquemment, — des voyages à l’endroit de leur installation future, en vue de la préparer par une connaissance plus complète des lieux.

OUVRIERS LISSOUS

Après un court séjour à Weishi, le P. Coquoz et M. Chappelet, conduits par le P. Goré, sont partis pour Tsechung, où ils sont restés un mois, consacré à l’étude des premiers éléments de la langue chinoise, sous la direction très compétente du même missionnaire, heureux de les recevoir chez lui pendant quelques semaines. Vers la fin du mois de mai, les deux voyageurs franchirent le col de Sila et passèrent dans la vallée de la Salouen, dans le but de rendre visite aux missionnaires de cette vallée et de rentrer ensuite à Weishi par la passe de Latsa (appelée aussi Passe Dubernard, du nom ‘d’un missionnaire massacré non loin de là en 1905). Ce devait être un premier et rapide examen de la montagne pour laquelle les Pères avaient opté lors de leur voyage de 1931.

Le P. Coquoz et M. Chappelet furent heureux de pouvoir profiter de la bonne route muletière ouverte récemment par le P. André jusqu’à proximité du Mékong; ils ne purent malheureusement faire ce trajet à cheval, parce qu’une violente crue des eaux, causant des éboulements, avait emporté même quelques fragments de la route au long de la Salouen. Mais, grâce au P. André, qui les accompagna depuis son poste de Pongdang jusqu’à celui de Yuragan et leur fournit de précieux renseignements, les deux voyageurs parvenaient heureusement le 24 juin à Siao-Weishi, chez le P. Bonnemin, et, le 28, ils étaient de retour à Weishi,

FONDATION DE L’HOSPICE ET TOIT DU REFUGE

Le Col de Latsa (3.800 m.)

Enchantés de cette première tournée d’exploration, qui ne leur laissait qu’un regret, celui de n’avoir pu s’arrêter un jour ou deux, comme ils l’avaient projeté, sur le col même de Latsa : ils n’y avaient passé que quelques heures, employées à un examen attentif de la montagne.

Ce premier coup d’oeil trop rapide devait naturellement être suivi d’autres explorations échelonnées dans le cours de l’année, afin de connaître l’état de la montagne en toute saison.

C’est dans ce but que, le 12 juillet, le P. Mellv et le Frère Duc partirent de Weishi avec l’intention de faire sur les lieux un séjour de deux ou trois jours. Le 16, ils quittaient Siao-Weishi et, le 18, à 11 heures du matin, ils arrivaient à la passe de Latsa. Ils v demeurèrent deux jours entiers et, malgré le mauvais temps et le brouillard, ils purent parcourir la montagne et reconnaître l’endroit le plus favorable à la construction de leur futur hospice.

L’emplacement choisi répond à leurs désirs. Les matériaux de construction ne manquent pas. L’hospice sera dans un endroit bien abrité et à 6 ou 7 heures seulement des dernières habitations, tant du versant de la Salouen que de celui du Mékong.

TRAVAUX DU REZ DE L’HOSPICE

Les Pères se trouvaient sur la montagne à un moment où la famine sévissait dans le Loutsekiang et ils purent évaluer à 80 ou 100 les porteurs qui, chaque jour, traversaient le col pour aller acheter des vivres chez les Chinois du Mékong. En somme, tout leur fait conjecturer que c’est ce col de Latsa qui a le plus d’avenir et qui semble être appelé à relier, avant tous les autres, le Mékong à la Salouen, et même aux vallées de l’Irraouaddy par une route en projet par Sekim.

Les difficultés d’ordre physique ne sont donc pas insurmontables, mais l’obstacle pourra venir de l’opposition des autorités chinoises, et particulièrement du chef indigène de Khampou, sur le territoire duquel se trouve la passe de Latsa. Les pourparlers à ce sujet ont commencé, tandis que les Pères continueront, surtout en hiver, l’exploration des lieux de leur future installation. Ils demeurent en relations fréquentes avec les PP. Goré et Bonnemin, qui mettent à leur service une expérience précieuse et une complaisance inépuisable.

Les rapports entre la Mission catholique et le mandarin de Weisi sont pacifiques. La population de la ville est sympathique aux religieux et leur demande de ne pas aller s’installer ailleurs.

Dans ces premiers voyages d’exploration les Pères ont recueilli d’intéressantes observations. La région qu’ils ont traversée est peuplée de races différentes : Chinois, Mossos, Thibétains, Lyssous. Plus on avance vers le nord, plus domine l’élément thibétain; ainsi la chrétienté de Tsechung, au pied du col de Sila, est presque entièrement thibétaine. De Weisi à Tsechung le paysage n’offre encore rien de franchement thibétain, si ce n’est les monuments lamaïques que l’on y rencontre. Au bord du fleuve (Mékong), le riz est la culture dominante;. à flanc de montagne, c’est le blé, le maïs et la pomme de terre. Le climat est tempéré, mais plutôt humide. Des forêts de pins, sapins, cèdres, chênes, occupent les espaces non cultivés. Les sommets des montagnes, quand ils ne sont pas rochers ou neiges, sont couverts de pâturages ou de fourrés de rhododendrons et de bambous nains.

Cette partie de la vallée du Mékong est tranquille; on peut y voyager sans escorte, donc sans crainte de pillage. La route, qui n’est guère qu’une piste, est très fréquentée durant la saison sèche par les caravanes thibétaines apportant du sel et des peaux, et remontant surtout avec du thé et des céréales.

FRERE DUC, CHIEN BIZET ET LOUIS EMERY

Dans tout le pays on chercherait en vain une hôtellerie ou même une auberge; elle serait, d’ailleurs, inutile, car les voyageurs les plus nombreux sont les Thibétains, qui sont toujours munis de tentes. Cependant, dans les villagees¬étapes, on peut trouver quelque paysan aisé, dont la maison, assez spacieuse pour loger hommes et animaux, sert d’hôtellerie; mais le voyageur devra préparer lui-même son repas, se contenter, comme lit, de deux ou trois planches disposées sur des chevalets, et se résigner à subir l’assaut d’une armée d’indésirables insectes, sauteurs, puants et autres.

Dans leur voyage d’aller, le P. Goré introduisit le P. Coquoz et M. Chappelet chez le roitelet mosso de Yetche, dont l’hospitalité fut aussi cordiale que simple. Ce roitelet païen donna asile en son fief aux chrétiens thibétains du nord qui fuyaient devant la persécution des lamas. Son fils cadet est «Bouddha vivant» dans une lamaserie voisine.