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Genèse de la mission au Thibet

Dans une lettre datée du 21 décembre 1929, Mgr De Guébriant, supérieur des Missions Etrangères de Paris (M.E.P.), qui avait vécu trente et un ans dans le Setchouan, province ecclésiastique au sud-ouest de la Chine, aux confins du Tibet et, frappé par la détresse des caravaniers au passage des cols, demande à Mgr Bourgeois, Prévôt du Grand Saint Bernard, une aide missionnaire pour un pays « grand comme deux fois la Suisse et pas moins montagneux qu’elle, et où un hospice refuge serait plus que bienvenu. »

Le 20 novembre 1930, les chanoines Pierre-Marie Melly et Paul Coquoz sont envoyés prospecter la région du Yunnan où ils atteignent Weisi à la mi-février 1931. Durant trois mois, les deux explorateurs, guidés par des missionnaires des M.E.P., vont visiter les postes du Mekong, de la Salouen et pousser jusqu’à Atentze, aux portes du Tibet. Dans les derniers jours d’avril, les chanoines quittent leurs hôtes et, le 22 juillet 1931, rendent compte à leur Supérieur et au Chapitre, proposant de donner une suite favorable à la requête de Mgr De Guébriant.

Le 13 janvier 1933, les chanoines précités, le Frère Louis Duc et un montagnard averti, Robert, Maurice Chappelet embarquent à Marseille pour arriver à Weisi le 1er avril. Tout en étudiant les langues locales et en se familiarisant avec les usages et mœurs locaux, ils se mettent à explorer le pays et, spécialement les passes susceptibles d’accueillir l’hospice projeté. Le col du Latsa (3850 mètres), déjà repéré en 1931, est retenu. « Les arguments qui militent en sa faveur sont multiples : une forte journée de marche suffit pour passer d’une vallée à l’autre, le Père André des M.E.P. ayant fait tracer un sentier muletier, son altitude relativement basse, un enneigement moins abondant et, finalement, le grand nombre de passages qui en font un des cols les plus courus de la région sur la route du thé ».

X-COQUOZ-MELLY-CHAPPELET-Y-Z-DUC

Les travaux dirigés par M. Chappelet commencèrent durant l’été 1935. Le travail ne manque pas et les pionniers réclament de l’aide.

Le 24 février 1936, le chanoine Cyrille Lattion, le profès séminariste Maurice Tornay et le frère Nestor Rouiller quittent l’Europe et arrivent à Weisi le 8 mai en pleine attaque communiste chinoise. A cela s’ajoute l’hostilité des lamas de cette région, « hommes pervertis par diverses influences telles que la sorcellerie, le fétichisme, la magie, la simonie, la superstition ».

L’équipe persévère et, en plus de l’hospice du Latsa, construit, à Houa-lo-pa, un probatoire où professe Maurice Tornay qui termine ses études de théologie tout en apprenant le chinois et le tibétain. Il est ordonné à Hanoï le dimanche 24 avril 1938.

MM. Melly et Rouiller regagnent le Valais pour raison de santé et sont remplacés par les chanoines Henri Nanchen et Angelin Lovey le 10 mars 1939.

ANGELIN LOVEY

Les années de guerre voient les actes de brigandage et de pillage se multiplier. Les missionnaires restent à leurs postes mais, hélas, le chanoine Nanchen se noie dans le Mekong. « Robert Chappelet, au terme de l’engagement contracté en 1933 et ne disposant plus d’aucun moyen pour continuer les travaux, décide de se mettre à son compte. Devenu propriétaire d’une caravane, il entreprend des tournées de négoce en Haute Birmanie » (1). Souhaitant aider les Alliés, il s’engage en 1943, dans les services secrets américains et sert le 2ème Bureau aux Indes, à Ceylan et en Chine. Démobilisé comme capitaine par l’armée américaine, il reviendra à Tsechung en mai 1947 pour reprendre ses travaux agricoles aux côtés du Père Goré.

Yerkalo (Les Salines), seule paroisse tibétaine, pleure son curé, le Père Nussbaum (M.E.P.) assassiné par les lamas en 1940. Son successeur, le Père Burdin, meurt de la typhoïde le 16 février 1945. Maurice Tornay, nommé curé de Yerkalo, est en butte lui aussi à la haine du chef de la lamaserie proche de Karmda et, expulsé manu militari par les sbires de ce tyran, doit résider en exil à Pamé et à Weisi.

« La défaite du Japon avait été une douloureuse surprise pour toutes les lamaseries qui avaient, au contraire, compté sur l’écrasement de la Chine. On pouvait espérer que l’arrogance et l’esprit de persécution des lamas seraient désormais moins vifs quoique tout aussi perfides » (3). Il n’en sera rien.

PP FOURNIER-SAVIOZ-DETRY ET COQUOZ et frère DUC

Dans une lettre adressée le 27 décembre 1945 au chanoine Melly, le chanoine Lattion écrit que le chanoine Detry, pressenti par Mgr Adam pour partir au Tibet, aiderait mieux la Mission en Europe mais que « quelques années de Chine permettraient à M. Detry de parler en connaissance de cause… Je serais très, très heureux de voir le cher M. Detry se joindre au groupe et je ferai tout mon possible pour lui rendre son séjour le plus instructif possible. A mon avis, M. Detry est le mieux qualifié pour entreprendre cette œuvre et je supplie Mgr Adam de faire que sa permission devienne au plus tôt réalité ».

En 1946, sont désignés comme renfort, les chanoines Louis Emery, Alphonse Savioz et François Fournier ainsi que Jules Detry, supérieur et organisateur de ce voyage, mais non destiné à la Mission. Il devait recueillir du matériel de propagande, avant tout des photos et des films cinématographiques en vue de ses conférences en Europe en faveur de la Mission.
Le 25 octobre 1946, ils avaient pris l’avion à Genève mais furent retardés à Londres jusqu’au 22 décembre. Les vols commerciaux étaient relativement rares à l’époque. Par vol B.O.A.C. et via Castel Benito, le Caire, Bassorah, Karachi, Delhi et Calcutta, ils arrivent à Kunming (ex Yunnanfou) le 31 décembre. De là, ils gagnèrent les Marches Tibétaines, le frère Duc venant à leur rencontre.

Après trois jours de voyage en camion pour couvrir 412 kilomètres et arriver à Shiakouan, ils continuent à pied (12 km) pour gagner Taly le 6 février 1947. En plein hiver, ils atteignent Weisi le 16, mais ils ne retrouveront Maurice Tornay qu’au mois de mai. Ils gagnent ensuite Siao-Weisi en douze heures de marche (45 km) et Tsechung en quatre jours (92 km). Pendant plusieurs mois les néophytes demeurent à Weisi et à Tsechung pour y apprendre les langues chinoise et tibétaine sous la direction du Père Goré (M.E.P.) vicaire général.

Dès la fonte des neiges, le chanoine Coquoz, curé de Siao-Weisi, les emmène visiter les travaux au col de Latsa.

ROBERT CHAPPELET ET P. MAURICE TORNAY à LATSA

Leur connaissance des langues locales étant jugée suffisante pour enseigner le catéchisme, prêcher et confesser, ces nouveaux sont affectés à différents postes. Le chanoine Savioz, nommé directeur du probatoire de Houa-lo-pa, y enseigne le latin. Le chanoine Emery rejoint le Père Goré à Tsechung puis le chanoine Tornay à Atuntze avant d’être posé à Tchrongteu. Le chanoine Fournier fut adjoint au chanoine Coquoz à Siao-Weisi. Jules Detry demeure à Weisi aux côtés du chanoine Lattion.

Dans une lettre adressée le 8 mars 1947 à Mgr Nestor Adam, Prévôt du Grand Saint Bernard, Maurice Tornay écrit : « Je viens de reprendre contact avec les jeunes. Vous méritez des félicitations pour les avoir si bien formé…. M. Detry a risqué de nous mettre à tous le doigt dans l’œil. Partout où il passe, il dégoise contre tous ou contre tel et tel et croit ainsi rendre des services impayables à la Maison : curieux effets des bombes allemandes. A part cela, il a des vues très justes sur les affaires et les hommes ».

Cette appréciation lapidaire était celle d’un homme au tempérament énergique, « entier, explosif, batailleur, franc, courtois, vista claire, dur pour lui-même, amical au grand cœur, fier, violent mais sans rancœur ».

Le chanoine Jules Detry n’avait probablement pas cette soif des âmes qui animait le chanoine Maurice Tornay. Ils s’étaient pourtant compris. Parlant de la solitude du missionnaire, Maurice Tornay écrit à Jules Detry que « ce n’estpas tant l’absence du monde, que l’absence d’un monde qui vous comprenne et vous flatte » . Le chanoine Detry rejoint son jeune confrère dans sa manière d’appréhender le sacrifice du missionnaire lorsqu’il écrit : « Immolation du « moi », renoncement à la présence d’êtres chers, au réconfort moral d’êtres qui pensent identiquement … Sacrifices aussi d’ordre matériel de toute espèce. Oubli, momentané peut-être des exigences de l’hygiène, du confort moderne et d’autres facilités d’ordre temporel » .

C’était peut-être le temps de l’engouement, des illusions. Il faut ajouter que, ayant ce qu’on appelle familièrement la bougeotte, se pliant difficilement à une règle stricte, Jules Detry sera avant tout explorateur et scientifique.Chargé d’explorer le pays et d’en ramener le maximum de renseignements et de matériel médiatique pouvant servir à la propagande pour les missions, il se lance dans l’inconnu d’une région où les dangers étaient omniprésents.

Le récit des différents voyages est basé sur les articles de presse, des revues et les cahiers de route du chanoine Detry, cahiers qu’il avait revus et recopiés en 1979 à Champittet. L’orthographe des noms propres est fort variable d’un texte à l’autre et ce d’autant plus que beaucoup de noms tibétains possèdent leur homologue en chinois. Enfin il nous manque une carte précise et détaillée de cette région englobant le sud Tibet, l’Ouest de la Chine et le Nord de la Birmanie.

Premier voyage

Parti le 25 juin 1947 de Tsechung (2000 m) en compagnie de Robert Chappelet et de trois porteurs, le chanoine Detry passe le col du Sila (4100 m), par le vallon de Wakialongba, descend rapidement à Seroua Longba (3600 m) et après une montée relativement douce passe le col de Ghineserla (Ni-Ser-La) (3900 m) pour arriver le 27 à Bahang (3510 m) où il est accueilli à bras ouverts par un homme taillé en hercule. « C’est le Père André. Combien de fois par la suite n’entendrais-je pas parler de lui avec une admiration sincère soit au Tibet indépendant soit même en pleine jungle de Haute Birmanie. Un grand Français : né à Champagny (Vosges) en 1891, André Georges, soldat de Verdun ayant conquis ses galons d’adjudant : le 29 septembre 1918 commande une patrouille d’avant garde et maintient le contact avec l’ennemi ; malgré les feux des mitrailleuses et les tirs de barrage, il reste accroché au terrain avec sa petite escouade en avant des lignes françaises. Après avoir passé plus de sept ans sous les armes, il se remet aux études, est ordonné prêtre des M.E.P. et d’emblée envoyé en 1920 au Tibet, à Bahang, bastion avancé de la chrétienté dans cette vallée de la Haute Salouen ».

JULES DETRY HABILLE.EN CHEF THIBETAIN

A partir du 29 juin, le chanoine Detry effectue un circuit au départ de Bahang pour relever les coordonnées géographiques, l’altitude et la durée de différents parcours. Dans ses carnets, le chanoine note ses observations relevant les moindres détails : paysages, difficultés du terrain, habitants, vêtements, coutumes, nourriture, faune, etc…

Par le poste missionnaire de Kionatong (2110 m), le petit col de Matsong (2280 m) on atteint Pongdang. Par le vallon du Doyon (g), l’équipe arrive à Kiongra (2100 m) sur la rive gauche de la Salouen. « Première folie ! – écrit le chanoine – par deux fois je me jette dans les flots bouillonnants et glacés de la Salouen pour en faire la traversée. Je suis emporté comme un fétu de paille et je m’estime heureux de pouvoir prendre pied sur la rive d’où je suis parti … J’appartiens à cette catégorie de gens bizarres qui éprouvent le désir étrange d’essayer la force du courant par pur besoin de lutte et pour sentir parfois combien l’homme est peu de choses ». Par la mission de Tchrongteu (1860 m), le grand pont de Gnydadang (2240m), les passes de Kiangt’gell (2600 m) et d’Alolaka (2900 m) on rentre à Bahang.

Les villages des deux rives de la Salouen sont réunis par des ponts de bambou tressé et par des barques creusées comme des courges dans d’immenses arbres. Les routes étant convenables, un périple dans le district de Kongchan et passant par Sekking (mission catholique), Guiza, Pipli et Dara permet d’atteindre en douze heures la mission de Tchrongteu fondée par le Père Genestrier né en 1858, arrivé en 1885 et qui, au col de l’Alolaka, résista par les armes aux tibétains envoyés par les bonzes pour le chasser. Il décéda en 1937 après cinquante deux ans d’apostolat missionnaire.

Le 1er juillet, Jules Detry et Robert Chappelet repartent pour une expédition plus longue. De Bahang par le sentier aménagé par le Père André, ils passent le col de l’Alolaka, arrivent à Kiongra où ils traversent la Salouen en pirogue, remontent la rive droite par Dara et arrivent à Peutchrong, base de M. Chappelet, puis Tchrongteu où ils visitent la lamaserie. Pour continuer le périple, il faut repasser la Salouen au pont de corde de Padou. Là se joue un drame : sur l’autre rive, l’envoyé du Père Ly se trompe et prend la corde de descente qui, pour lui, depuis le milieu du fleuve, devient un pont de montée. Il s’en rend compte, tente de remonter à la force des bras vers sa rive de départ, s’épuise, bat des bras et reglisse par petites secousses jusqu’au milieu du fleuve, pendant lamentablement à la corde, une jambe et un bras balayés par les flots. Il semble mort. Le chanoine lui donne l’absolution sous condition. Mais le passage du câble est bloqué. Les porteurs, superstitieux, refusent de continuer et tous reviennent à Tchrongteu.

Le 7 juillet, ils repartent et par le petit col de Gnydadang gagnent Kionatong autre poste missionnaire établi à 2110 mètres d’altitude et dont le curé est le R.P. Ly. Le chanoine peut y célébrer la Messe et baptiser un petit Cyrille. Il s’adjoint également un troisième porteur : Ma-Ti-Oû.

LAMAS

Le 9 juillet , après une longue marche et avoir traversé un torrent à Long-su, ils franchissent la frontière sino-tibétaine au col de Songlongla (So long la ka – 4050 m) pour, après une descente « à se casser les jambes » par Songyha et le pont de corde de Long-pou gagner la rive droite de la Salouen et, le 12 juillet, arriver au village de Djronguin (Ndjrangnhoun) résidence des familles des anciens sous-préfets indigènes Ongtsou et Potsou (Po Tsou). Ce dernier, chef des Kioutzes de la région, ressemble à un indien d’Amérique ; c’est un souverain grand, large, musclé et respecté qui reçoit son visiteur dans son « château ». Après le repas, défié à la lutte, le chanoine, d’une prise de judo, fait toucher le sol à son hôte. Au concours de tir au fusil, Detry obtient le même score que Po-Tsou qui n’en aura que plus de respect et l’assure de son amitié et de sa protection, lui permettant de revêtir son costume de chef, honneur réservé à un égal ou un supérieur. La photo du chanoine dans cette tenue, prise par Po-Tsou lui-même, sera son sauf conduit.

Le chanoine prend congé de son hôte le 14 et par Kionatong rejoint Tchrongteu d’où, après une journée de repos, par Kiongra il retrouve le Père André toujours aussi attentionné. Il prend connaissance des lettres des chanoines Lattion, Lovey et Coquoz et décide de rentrer à Tsechung, la suite du voyage de la basse Salouen étant remise à une époque plus propice.

Il accompagne le Père André à Bahang où il reçoit des nouvelles du Père Tornay apportées de Tsechung par deux habitants de Yerkalo : le missionnaire doit se rendre à Kunming mais de graves menaces pèsent sur les chrétiens. Il apprend aussi que des brigands lissous tiennent la montagne qu’il doit traverser.

Deuxième voyage

Malgré cela, le chanoine Detry effectue une reconnaissance de l’itinéraire permettant par Bahang, le col du Sele, Tsechung, Kétong et Chédi de rejoindre la lamaserie de Yongdjrouting, le trajet aller-retour de quarante quatre kilomètres étant couvert en douze heures de marche par des pistes relativement praticables. Ces pérégrinations prennent fin le 10 août 1947, les maladies ayant sérieusement handicapé sa troupe : dysenterie amibienne, fièvres tropicales, etc… Sa pharmacie (Emétine, sulfamides, etc.) ayant été plus que sollicitée.

LAMAS

Troisième voyage

Le 22 août 1947, SINZE-TEH-I, c.à.d. le Père Detry en tibétain, quitte Tsechung en compagnie des porteurs A Ouin, Sti-ne-zi et Johan et gagne par Londjreu, Ma-to-long-ba et le pont en corde de Lei-ta, Jetsy dont le chef le présente au souverain d’Attentze, bourg sino-mosso-tibétain, centre d’un district chinois (Tékhing) hébergeant une petite garnison. Ce souverain, affligé d’une atroce migraine, fut guéri grâce à un comprimé d’acétylsalicilate et en fut si reconnaissant que, lorsque le chanoine Detry lui parle de filmer les lamas, il l’assure de son assistance. A la lamaserie de Yong-Drou-Ting, pendant deux jours, par-dessus l’épaule protectrice du chef d’Attuntze, le Père parvient à filmer, pour la première fois, la danse des lamas, spectacle formellement interdits aux non-boudhistes (25-26 août 1947).

Le 27 nos explorateurs quittent Attentze, passent Dong et Hourdi pour faire étape à Meréchu dans un campement de caravane en route pour Lhassa.

Le 29 ayant suivi la rive droite du fleuve, ils prennent la bifurcation pour Yerkalo et montent au col du Choula (4750 m), frontière entre la Chine et le Tibet où, le 11 août 1949, sera massacré le Bienheureux Maurice Tornay.

DETRY JULES

Contournant la montagne sacrée de Koua-Karpo, le périple continue par le col de Djroula (3600 m), Lede, le col du Takeurla (4190 m), Wabo, le col du Tong-di-la (3400 m) et arriver le 3 septembre à Long-Pou (2500 m) où le chanoine se retrouve prisonnier du chef, heureusement beau-frère de Po-Tsou. Le don d’une paire de jumelles neuves, en remplacement d’une longue vue démodée proposée par le chef pour être réparée, assure à Jules Detry la reconnaissance de ce dernier ainsi que sa protection.

Le 5 septembre on fait étape à La Kong Ra (1840 m) au confluent de la rivière d’Aben avec la Salouen. Pour aller de Lakongra à Djranghuin où réside le chef Po-Tsou, il faut traverser le fleuve Salouen. Cet après-midi là, l’air était frais et l’eau glacée. Les boys semblaient découragés et il manquait une ouatta, cornière de bambou qui permet de glisser sur les ponts de corde. Pour fouetter la volonté de ses porteurs, le chanoine Detry leur déclare tranquillement qu’il passera le fleuve à la nage. La lutte sera rude, l’eau étant glacée et le courant impétueux. Athlète consommé, le chanoine réussit cette fois, mais il faudra vingt minutes aux porteurs pour le retrouver sur l’autre rive, emporté bien plus bas. Le Père Goré déclarera plus tard que c’était une sottise à déconseiller à tout prix, mais le prestige du chanoine en fut encore augmenté. Après la visite au chef Po-Tsou, le chanoine regagne Lakongra, remonte la rivière Aben pour atteindre le village portant le même nom où il est royalement reçu par Ontsou et sa famille. Malgré un état général peu reluisant (douleurs hépatiques et manque net d’appétit), Jules Detry effectue le petit aller-retour à Bonga, poste missionnaire abandonné en 1865 : « Comment le premier missionnaire a-t-il pu découvrir Bonga, perché tout là-haut, au fin fond de gorges sauvages, d’un accès difficile ? » note le chanoine dans ses carnets.

Il avait aussi remarqué dans la région de nombreuses croix gammées. Rassurons les âmes frileuses : le chef du pays ou « pumbo » interrogé à ce sujet ne vit aucun rapport entre ces signes et l’annonce de l’aventure et de la défaite nazie. Tout au contraire comme le précise le R.P. Goré dans son ouvrage « Trente ans aux portes du Thibet interdit », ce symbole religieux, le plus répandu, la punya ou croix gammée est l’emblème de la vie et de la bonne fortune.

Ce dessin, extrait du carnet de route de Jules Detry est le sceau de Po-Tsou faisant office de laisser-passer.

P. JULES DETRY

Nos aventuriers quittent Aben le 12, passent le col de Hang-Tong-La (Nangthola – 3650 m) puis par une série de montagnes russes et la route des pélerins qui passe le col de Dokerla (4400 m) ils rejoignent Longdjreu (2240 m), passent le col de Jedzongla (3840 m) et descendent sur Doyong pour retrouver Bahang et Tsechung le 18 septembre après une ramée de près de cent vingt heures pour une distance totale parcourue de plus de cinq cents kilomètres. Le 19, le chanoine est à Pongdang où, pendant quelques jours, il peut reprendre une vie quelque peu monastique: messe, bréviaire, etc…

EXTRAIT tiré de “aventurier de Dieu Jules DETRY” par Pierre CRYNS –  2005

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