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3-INTRONISATION DU KONGAR-LAMA BOUDDHA VIVANT DE SOGUN

Les cornemuses donnent ensuite un concert. Ah! braves Highlan­ders, qu’a-t-on fait de vos Bag-pipes en les mettant en. des. mains thibétaines ? Un autre orchestre composé d’un cor, de trois clari­nettes et d’un tambour, charme à son tour nos oreilles. Pour prouver leur supériorité sonore, Ies instrumentistes lamaiques font pleuvoir un déluge de bruit du haut de leur toit pour terminer. On emmène Kongkar et lentement la foule s’écoule au dehors.

Dans l’après-midi, commence le défilé des fidèles qui vont déposer leurs cadeaux à. la jeune divinité. Durant cinq jours, me dira-t-on. les offrandes se sont entassées dans les appartements de Kongkar. cadeaux souvent fort riches : argent, mulets, chevaux, pièces de soie et de velours, tapis, charges de sucre et de thé.

L’ami Khiola croit bon d’ajouter à son cadeau une roupie pour chacun des bonzes et bonzillons de la lamaserie. Mon tour est venu. Je pénètre dans la chambre de Kongkar qu’entourent les Bouddhas-Vivants et les prin­cipaux officiers ecclésiastiques. Des serviteurs déposent, devant le trône, le sucre et le thé que lui offre la Mission de Yerkalo et je me baisse pour étaler l’inévitable Khadar sur les genoux du mioche. Ce dernier n’a sans doute jamais vu un Européen ni entendu parler de chrétiens qui, au lieu d’une divinité, voient en lui uh pauvre gosse enlevé à sa maman pour en faire un charlatan.

Aussi prend-il mon inclination pour une demande de bénédiction et lorsque je me redresse un peu brusquement, sa petite patte brune est-elle en route vers mon occiput. Le pauvre est tout déconfit, je lui souris, mais ses grands yeux étonnés ne s’éclairent pas. Lorsque je me retire, le vieux Téjines lama m’attrape par le bras et m’attire dans le groupe des réincar­nations, en me demandant de rester un peu avec lui.

Parmi les fidèles, se présente un vieux lama richement vêtu ; il est si faible qu’il a besoin de l’aide de deux suivants pour se relever après chacune des trois prostrations rituelles. Spectacle curieux que celui du petit enfant bénissant le vieillard. Avant de regagner mes quartiers, je visite le grand temple que des lamas sacristains préparent pour la cérémonie du lendemain. Les colonnes disparaissent sous les soieries et bannières, les fresques murales rehaussées de dorures, les énormes statues qui disparaissent dans la pénombre, tout donne l’impression que le monastère est riche, ce qui n’a rien de surprenant vu la licence de manger le peuple que donne aux lamas leur autorité temporelle.

Malgré les bons soins des lamas, malgré un ravitaillement qui ne laisse rien à désirer, malgré tout l’intérêt du spectacle, je suis décidé à reprendre dès demain la route du retour. La quantité de thé beurré que je suis condamné à absorber commence à me peser. Chaque visiteur se croit obligé de remplir mon bol et d’y faire tremper des fromages qui ont la consistance des cailloux. Cette friandise d’un goût aigrelet est à mon avis détestable. Je profite de l’inattention -de mes visiteurs trop complaisants pour les faire disparaître dans une besace cachée derrière moi.

7 novembre. La cérémonie du temple ne présentant pour moi rien de nouveau ne me retiendra pas longtemps. Les psalmodies en faux-bourdon sont assez monotones, les Bouddhas-Vivants sur leurs trônes semblent somnoler et le petit Kongkar dort pour de bon, vaincu par la fatigue du voyage et des cérémonies. Affalé sur son siège, il ne laisse voir que la pointe de son bonnet jaune sortant d’un tas de laine rouge. Ni les crescendo de la psalmodie, ni les coups de gong et de tambour, ni les mugissements des trompes n’arrivent à le réveiller et ses assistants ont le bon esprit de respecter son sommeil. Les jeunes bonzillons semblent trouver un plaisir spécial à taper sur les tam­bours, à se faire des niches et à échanger des grimaces. Quand paraît le maître des novices, qui circule dans le temple avec sa planchette, ils adoptent une expression pleine de componction, mais, dès qu’il a tourné le dos, ils recommencent leurs espiègleries.

Les lamas ont bien essayé de me retenir un jour encore à la lamaserie, je reste décidé à partir après le dîner. Pour le viatique de retour, ils m’offrent une chèvre écorchée et vidée. Si mes hôtes m’attri­buent à moi seul le nettoyage des plats qu’ils m’ont servi ces jours-ci, ils doivent estimer qu’une chèvre suffira tout juste pour rentrer à Yerkalo. En prenant congé des lamas, ces Messieurs nous mettent en garde contre une bande de brigands qui attendraient les voyageurs sur le Khiala.

Il me semble que les lamas devraient au moins assurer la sécurité de leurs hôtes sur la voie du retour, mais je garde mes réflexions pour moi et je saute en selle. Mon compagnon Dazong trône sur la carcasse de la chèvre jetée en travers de la selle. A l’étape de Ngulkhio, où nous arrivons de bonne heure, la jeunesse du hameau vient me demander la permission de danser, c’est-à-dire qu’elle attend un petit radeau de ma générosité. Je permets de bon coeur, et jusqu’à une heure avancée de la nuit, filles et garçons remplissent la vaste cuisine de leurs évolutions chorégraphiques. A plusieurs reprises, mon compagnon Dazong, d’un air dégoûté, refuse de prendre part à la danse. A la fin pourtant il se décide et, pour défendre la répu­tation des Yerkalobas, déploie tous ses moyens. Jouant du violon à deux cordes sans rater un pas, il tourne comme une toupie sans rater une note, donnant à la danse un entrain endiablé. J’ai toutes les peines du monde à faire cesser le ballet pour pouvoir prendre quelques heures de repos.

8 novembre. Partis avant le jour, nous rejoignons un groupe de Chinois qui rentrent à Pétines. Ils paraissent très excités et, avec un misérable browning, ils tirent en l’air de temps en temps pour intimider les brigands ! Je les prie poliment mais fermement de cesser ces manifestations qui ne peuvent que leur attirer des désagréments, à eux comme à moi. La route est couverte de verglas et un vieux Chinois qui s’obstine à rester sur son cheval fait un élégant vol plané par-dessus la tête de sa monture dérapante. A mi-côte, nous sommes rejoints par le Tara Gueschi, qui a montré sa virtuosité dans le débat théologique de Sogun. Monté sur une splendide mule et suivi de deux servants bien montés aussi, le trio nous dépasse rapidement, formant sur la pente voisine, au milieu des sapins, un tableautin pittoresque.

Mon compagnon Dazong me presse de suivre le Lama pour voyager en sa compagnie. Un temps de galop dans un alpage nous permet de le rejoindre, mais nos petits chevaux ne peuvent lutter de vitesse dans la pente voisine. Quand j’arrive au premier col, Tara Gueschi et ses suivants approchent du second col, éloigné à un kilomètre à vol d’oiseau du premier. Mon compagnon est au bas de la dernière rampe et les Chinois ne sont pas encore en vue. J’ai pour l’instant l’âme en paix, car si les brigands sont en embuscade dans ces parages, ils sont certainement gelés. Un vent glacial balaie la cuvette entre les deux cols et, en dehors de la piste battue, il y a une couche de neige de trente centimètres d’épaisseur. Il fait trop froid pour m’attarder ici, trop froid aussi pour rester en selle ; je chasse mon cheval devant moi et, en arrivant au tas de cailloux qui indique le point culminant, j’ai le nez et les oreilles à moitié gelés et je m’aperçois que j’ai récolté un rhume qui sera aussi tenace à me tenir compagnie que le brave gabelou Khiola.

Sur le versant Mékong, il n’y a plus de vent et je me chauffe àu soleil en attendant Dazong. A mes pieds s’étend la forêt de sapins et de rhododendrons ; en face de moi, sur la ligne de partage des eaux, le Damiang brille de tous ses feux. Pendant que nous dînons .à Ladatines, arrivent les Chinois, auxquels je distribue un bon quartier de viande de chèvre, pour les remettre de leurs émotions. Enfin, trois heures plus tard, je rentrais à Yerkalo et rendais compte de ma mission, enchanté de mon voyage et de mon séjour chez les Lamas.

Et maintenant, j’admire plus encore qu’auparavant la fidélité des chrétiens de Yerkalo qui, ne formant qu’un ilôt au milieu des populations bouddhistes ou incroyantes, restent attachés à leur foi et à leurs pasteurs, malgré de pareilles manifestations de la puissance lamaïque.   

Robert  CHAPPELET