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LA LONGUE MARCHE (3) ET LES LEPREUX

Chengdu, capitale du Sichuan,  est une ville importante au centre d’une vaste plaine cultivée avec soin. L’armée rouge pouvait s’y approvisionner en tout: riz, blé, patates douces, thé et tabac. Après quatre jours de marche, l’armée campa à Hua Libin, à près de 3000 m d’altitude, au pied de la gorge de Fu Yuanlin. Des prisonniers, épuisés, succombèrent à l’anémie, et l’on abandonnait leurs corps.

Le passage de l’armée de Mao à Moximian avait créé un contretemps pour tous. Le Général Rouge était nerveux et inspectait sans cesse le camp. On sut qu’il avait
reçu par radio des messages le dissuadant de passer par Chengdu; il lui eut fallu encore une longue semaine pour y parvenir.

Le Père Albiero et les deux autres franciscains en étaient à leur dixième jour de captivité. Ils se sentaient épuisés, peut-être en raison des blessures reçues à Moximian. Profitant de la présence du général dans le camp, ils demandèrent à lui parler. Ce qui fut accepté. Quelques années plus tard, le Père Albiero fera cette déclaration au P. Arnaïz: «Mao Zedong écouta le Père avec attention. Il accueillit la demande et de sa propre main il rédigea un sauf-conduit pour Moximian, lui rendant sa liberté et lui disant textuellement: – ” Que tous sachent que, nous communistes, nopus respectons aussi les vieillards.”  L’ancien prisonnier ajoute, non sans reconnaissance: “Mao Zedong est un homme aux bons sentiments, intelligent, qui aime la discipline !”

DES LEPREUX AVEC MGR VALENTIN

Au moment d’entreprendre le voyage de retour, le Père Albiero demanda à parler de nouveau avec Mao, tant par nécessité que pour obtenir une faveur. C’est vrai: son état ne lui permettait plus de marcher, mais la liberté ne lui servirait pas à grand-chose s’il n’était pas capable d’atteindre Moximian. En conséquence, il demanda que Frère Pascal l’accompagnât: Cette fois, Mao Zedong repoussa la requête avec irritation. «Inutile, répliqua-t-il. Ou, alors, va-t’en et dis à Mussolini et à tes supérieurs de nous donner 100 000 dollars pour sa libération!»

Voilà ce qu’il s’entendit dire. Après de nouvelles suppliques, Mao ordonna qu’on mît à sa disposition un Chinois qui le chargerait sur ses épaules jusqu’à Moximian. Ainsi dit, ainsi fut fait. Mao Zedong ignorait-il que Frère Pascal était espagnol ou bien croyait-il qu’il était italien comme les autres? Le plus probable est que Frère Pascal n’a rien fait.

Avant de prendre congé, le Père Albiero parla avec ses frères franciscains. Le P. Pegoraro profita de l’occasion pour envoyer une lettre à sa mère. En voici le texte:

Le 2 juin 1935

Chère maman,

Si tu ne reçois pas d’autres nouvelles de moi, sache que je suis heureux d’offrir au Seigneur un petit sacrifice. J’espère que tu as reçu ma lettre du 28 mai. Mais si elle n’est pas parvenue en tes mains, récite un «Te Deum» et un «Magnificat» en remerciant le Seigneur et Sa Mère de la faveur si grande qu’il nous ont accordée. Je ne veux pas que vous pleuriez… mais que vous vous réjouissiez!…

Réjouissez-vous et pensez au grand bonheur qu’est pour moi le fait de me sacrifier pour Jésus. J’ai toujours désiré et demandé le martyre. S’il se présente maintenant… Seigneur, je ne suis pas digne! Do-mine, non sum dignus!…

Je vous embrasse et vous bénis, chaque jour, tant que je serai en vie; ensuite je le ferai du haut du ciel, si tant est que je vous y précède. Bénédictions et salutations à tous, parents, amis et bienfai-teurs…

Père Epiphane Pegoraro, O.F.M.

Les trois missionnaires s’embrassèrent. Les dernières paroles du P. Albiero furent: «Adieu, Frères!… Nous ne nous reverrons pas sur terre. Au revoir au ciel où nous nous retrouverons!»

Après ce départ, Mao Zedong fut ontraint à une contremarche. De Hua Libin, troupes et prisonniers retournèrent à Luding, la ville au pont suspendu. Ils prirent la route qui suit la rive gauche de la rivière Dadu, en direction du Nord. Pas à pas et par courtes journées, ils s’engagèrent dans les labyrinthes escarpés des défilés étroits. En effet, la route obligée était difficile, montant toujours. La topographie du bassin du Daduhe présente une configuration compliquée. Les sommets dépassent les 4000 m avec des neiges éternelles. Et tout en bas, enserré entre deux rangées de rocs coupés à pic, roule l’impé¬tueux torrent qui mugit et bondit en s’ouvrant un chemin entre les rochers. C’est pourquoi le chemin qui part de Luding est agreste et sauvage. Suivant le lit du torrent, il offre un aspect inaccessible au plus intrépide des alpinistes.

Aussi Mao Zedong l’avait-il d’abord abandonné. Il le reprit par nécessité: gorges étroites et rochers élevés aux parois abruptes, à la base des neiges d’où proviennent les eaux de la rivière qui s’élargit par endroit jusqu’à atteindre 56 m de largeur et court avec impétuosité vers le Yangzi.

L’étape la plus difficile de leur long exode fut celle qui mena les prisonniers du Hua Libin à Tamba: cent jours de souffrance, avec la crainte de tomber dans les précipices et la rivière. Le P. Arnaïz, après avoir parcouru le même itinéraire, décrit ses impressions:

«Allant toujours à pied, mal alimentés, grimpant et descendant des sentiers souvent creusés dans la roche vive, avec des escaliers, au bord d’abîmes, dans les feux de la canicule, avec la perspective d’une possible séparation, ces étapes durent être les plus pénibles pour les captifs.»

Par marches et contremarches, sur le bord des abîmes, les troupes de Mao Zedong se dirigeaient vers le Nord pour rejoindre le 4e Front de l’Armée Rouge commandée par Chan Guodao et Zhu De.

Le passage des soldats communistes effrayait les communautés chrétiennes. Elles avaient appris ce qui s’était passé à Moximian; elles craignaient d’être les nouvelles victimes de la haine antireligieuse. C’est ainsi qu’à Meng Gong, devant leur arrivée imminente, les chrétiens prirent la fuite avec, à leur tête, les missionnaires.

Cependant quelques chrétiens demeurèrent dans la ville et furent témoins du passage de nos missionnaires prisonniers. Le P. Arnaïz, après avoir parlé avec eux quelques années plus tard, nous en parlera ainsi:

«Les chrétiens de Meng Gong, restés dans la ville, virent plusieurs fois le Père Pegoraro et le Frère Pascal se diriger vers l’église déserte pour y prier, y restant un certain temps. Cependant, ils étaient toujours escortés, sans être enchaînés, mais pieds nus. Leur marche était lente, leur barbe et leur chevelure négligées et sales; tous les deux étaient très amaigris. Et comment n’auraient-ils pas été affaiblis après avoir cheminé durant un mois dans ces régions inhospitalières et sauvages?

Comment ne pas marcher lentement avec les pieds nus et la misérable soupe au riz? Cependant, l’étape de Meng Gong qui se prolongea durant l’été fut un repos relatif par rapport à ce qui allait survenir. Leur prière dans l’église profanée et leur communion spirituelle les fortifiaient, par ailleurs.»

(Texte écrit à partir de la traduction faite en français par Mgr A. Lovey, Pré¬vôt du Saint-Bernard, à Martigny, (Suisse), en juin 1991.)   (GSB 1995/1)

Zhonglian No 46 (à suivre)