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GABRIEL DURAND MEP

« A part les peintures infernales qui couvraient la muraille, huit ou neuf monstrueuses idoles, assises dans le fond de la pagode, semblaient en imposer par leur stature et leur contenance.

Un jour donc, je convoquai mes lamas pour leur faire part de mon dessein. Je demandai une hache, et, en leur présence, j’enfonçai le ventre du plus abominable dieu ; du premier coup il plia, et un second coup dans le dos le fit crouler entièrement. Le plus vieux de mes bonzes, par un reste de compassion, appuyait sur son bras la tête de sa pauvre vieille divinité ; un autre ramassait les débris qu’il jetait dans un panier, et un troisième m’aidait à extraire une tige de bois qui formait la colonne vertébrale du dieu. Un petit bonze de douze ans s’amusait pendant ce temps-là à distribuer des soufflets aux autres idoles, en leur disant : « A votre tour bientôt. » 

De tout ce qu’on vient de dire, faut-il conclure que la situation du Thibet, au point de vue chrétien, est désespérée ? Les enfants de l’Eglise n’ont point de ces pensées-là. Au Thibet, plus qu’ailleurs peut-être, il y a lieu, au contraire, d’avoir confiance. L’opposition ne vient pas des masses populaires : elle vient du mauvais vouloir de quelques mandarins chinois, et de l’incurie d’un plus grand nombre ; elle vient surtout des lamas pour qui la lutte contre le catholicisme est une question de vie et de mort. Mais le peuple sent le joug, et il en est las.

Ce général, envoyé l’année dernière pour traiter notre procès, nous disait avec franchise :
« – Tant que vous n’agirez que par l’intermédiaire de la Chine, il vous sera difficile de réussir au Thibet. Il faudrait que votre empereur fit un traité avec nous : c’est l’unique moyen de nous entendre. »

Martyre de l’abbé Durand.

Mais Dieu, dans son infinie miséricorde, en avait disposé autrement. Non, le Missionnaire ne sera pas exclu de cette terre qu’il ambitionnait d’acquérir à Jésus-Christ. Il restera là ; et sa dépouille mortelle en prendra possession. Son sang sanctifiera le fleuve sur les bords duquel croîtront un jour les roses du martyre et les lis de la pureté ; son corps fécondera ce malheureux pays et lui fera produire des fruits de grâce et de sainteté, tandis que son âme, au ciel, unira la voix de ses souffrances terrestres à celle de la Reine des Martyrs, et sollicitera pour les persécuteurs, le pardon ; pour les néophytes, la persévérance, pour le Thibet tout entier, la conversion. 

Pour échapper aux vexations journalières dont ils étaient l’objet, les chrétiens s’étaient réfugiés auprès des Missionnaires, dans les établissements de Bonga, de Kiang-Ka et de Kio-Na-Tong. Mais, en attendant l’heure où ces refuges seraient eux-mêmes violés, les lamas eurent recours à un moyen qui leur avait déjà réussi : il firent le vide autour des chrétiens pour les affamer. Défense rigoureuse fut faire aux Thibétains d’avoir avec eux aucune communication. Ce fut au milieu de ces anxiétés que s’écoula la première moitié de l’année 1865. Les Missionnaires eurent cependant la consolation de baptiser deux adultes, de recevoir cinq cathécumènes, d’en préparer quatre autres, et de régénérer sept enfants d’infidèles en danger de mort.

« M. Durand, jeune et plus fort que M. Biet, arriva le premier au pont coulant du Lan-Tsan-Kiang, suivi seulement de quelques chrétiens. Il eut la générosité de les faire passer d’abord, se réservant l’honneur et le danger de passer après tous les autres. Il s’attache lui-même à la longue corde de bambou jetée sur la largeur du fleuve et s’élance. Il glisse le long de la corde avec toute la rapidité que le poids du corps imprime à la course, lorsque ceux qui le poursuivaient apparaissent sur la rive. Au même instant deux coups de feu se font entendre… Atteint à la poitrine et à la gorge, M. Durand perd connaissance, ses mains lâchent la poulie, et son corps disparaît sous les flots. Un chrétien reçoit deux balles à la tête, un autre, une balle au bras, un troisième est précipité, pieds et poings liés, dans le fleuve.

Non… Homme de Dieu, choisissez d’abord votre cause, et pour elle marchez ensuite à la mort ! Si votre cause est bonne, après le supplice vous recevrez la couronne».

« Vous ignorez, ajoutait-il, par un aveuglement étrange, ou du moins, dans votre fanatisme coupable, vous affectez d’ignorer que ce n’est point le supplice qui fait le martyr, mais bien la cause pour laquelle on l’endure. »

Extraits tirés de “SA VOCATION, SON APOSTOLAT”  par M. l’Abbé Prouvèze, Louis Bedot, Libraire-Éditeur, Nimes 1866

DMC en la fête de Saint Benoit 2016