HELENE DE CHAPPOTIN – FMM ?
HELENE de CHAPPOTIN et les Franciscaines missionnaires de Marie (FMM)
En Inde comme en Chine du reste, la tentative de substitution de la société chrétienne à la société païenne a suivi deux voies principales. Les Jésuites ont souvent cherché à gagner en priorité les élites. Ils espéraient ainsi entraîner à leur suite des conversions dans la masse. Les pères des Missions étrangères de Paris ont plutôt misé sur un apostolat auprès des humbles pour les faire accéder à un statut plus honorable.
Grégoire XVI et Pie IX, chacun à sa manière, eurent soin de capitaliser ce dynamisme, en particulier en renforçant leur autorité sur les nouvelles congrégations religieuses et les territoires confiés à la Propagande.
Celle-ci durant toute cette époque verra son importance croître dans l’administration pontificale en fonction des dossiers de plus en plus nombreux qui lui seront confiés et le contrôle qu’elle exercera sur les instituts consacrés à la mission ad gentes. Forte d’un appareil juridique de plus en plus adapté, elle pourra agir à tout moment dans la vie des missions, exerçant un rôle de recours et d’arbitrage quand surgiront des différends entre religieux de diverses sociétés. De même examinera-t-elle le choix des congrégations masculines en ce qui concerne leurs auxiliaires féminines.
C’est aussi au cours de ces années que l’adoration eucharistique, élément essentiel de la vocation des Réparatrices, prend peu à peu pour elle une dimension missionnaire, qui deviendra plus tard une des principales spécificités de l’institut qu’elle fondera : ” A Trichinopoly, le couvent des Réparatrices se trouvait proche d’un temple hindou renommé où se pressaient les foules.
Dans le cas de Marie de la Passion, le conflit avec les Jésuites l’amène avec ses compagnes à revendiquer une prise d’autonomie qui les conduit insensiblement à une nouvelle fondation. Celle-ci, facilitée indéniablement par les Missions étrangères de Paris, ne leur est en aucune façon inféodée. En revanche les religieuses se placent immédiatement sous la tutelle de Rome et de la Propagande appelées à soutenir leur entreprise et qui lui donnent dès le départ une dimension universelle, avant même qu’elles se situent dans la mouvance des Frères mineurs franciscains. Elles échappent ainsi à un caractère purement national sans renier leurs origines.
Cet appui des Frères mineurs ne se situera pas seulement au plus haut niveau dans les démarches, conseils et formalités auprès de la Propagande et des autres congrégations romaines. Il se traduit également à l’échelle régionale ou locale lors de fondations ou de créations d’œuvres entreprises en collaboration avec les missionnaires de l’Ordre, vicaires apostoliques, ministres provinciaux ou simples religieux. Cette entraide fraternelle se manifestera ainsi lors de l’accueil par les sœurs en 1902 à Fribourg de franciscains expulsés de France.
Ainsi, la préparation à la vie missionnaire est accentuée par l’apprentissage des langues : “Pour faciliter leur apostolat dans les Missions, elles tâcheront d’apprendre toutes l’anglais, le français et l’italien, de même que la langue du pays où elles se trouvent. Les trois premières s’apprendront au noviciat, où l’on aura soin d’avoir toujours une sœur qui puisse enseigner ces trois langues. Quant aux langues propres aux Missions, on tâchera, lors de la fondation, d’envoyer quelques sujets intelligents qui puissent, à l’aide de livres et des indigènes, apprendre convenablement la langue parlée dans la missions”.
Quant aux décisions prises, elles concernent des orientations générales au sujet de l’organisation financière, l’approbation de fondations et l’érection de nouvelles circonscriptions territoriales. Dans ce dernier cas deux principes sont à l’origine des regroupements : la proximité géographique et l’affinité culturelle. La demande est donc faite auprès de la Propagande de la création de quatre autres provinces qui sera acceptée en février 1897. Ainsi apparaissent au total sur la carte du monde sept provinces : la province de l’Immaculée-Conception (Italie, Suisse, Autriche), la province du Sacré-Cœur (France septentrionale, Belgique, Congo belge), la province des Indes dite de Saint-Joseph, la province de Chine de Notre-Dame des Victoires, la province portugaise de Saint-Antoine, la province méditerranéenne de Notre-Dame de la Garde (France, Tunisie) et la province de Notre-Dame du Bon-Conseil (Angleterre, Canada). Demeure encore en effet à l’écart de cet immense champ d’apostolat l’Océanie, mais contrairement à d’autres congrégations missionnaires aucun territoire n’est à priori exclu.
Les missions de Chine profitent alors des clauses du traité de Tientsin de 1858 confirmées par la convention de Pékin de 1860. Celle-ci avait donné des garanties de protection dans l’empire à leurs représentants de toutes nationalités auxquels les agents diplomatiques de la France étaient habilités à délivrer un passeport. Si le Saint-Siège avait reconnu le rôle efficace de ceux-ci en faveur des congrégations, il n’en demeurait pas moins que ces dernières pouvaient être tributaires des aléas de la politique intérieure de la France. En 1881 le gouvernement chinois avait pris l’initiative de demander à Léon XIII l’établissement d’une représentation diplomatique directe à Pékin qui évidemment mettait en cause le protectorat français. Le projet avait été accueilli très favorablement et le pape l’avait relancé en 1885 par une lettre à l’empereur Kwang-Siu. Le veto français soutenu d’ailleurs par le procureur du vicariat de Pékin le P. Favier devait le faire avorter et des tentatives ultérieures ne furent pas plus heureuses. Les missionnaires continueront à se trouver liés à la protection de la France ou à celle d’autres pays européens et les chrétiens chinois par voie de conséquence à être souvent considérés comme membres d’une secte séditieuse et agents de l’étranger.
Elle écrit en 1890 à propos d’une éventuelle nouvelle implantation en Chine ne pas vouloir prendre “un engagement pour la fondation (…) avant de bien connaître les conditions.” Celles-ci peuvent aussi concerner les autorités ecclésiastiques ou laïques en tenant compte de la situation religieuse et politique du pays, ce qui la conduit dans certains cas à prévoir une clause d’essai temporaire avant une entente définitive.
Ses propositions sont extrêmement concrètes et associent étroitement l’œuvre de conversion des indigènes à des activités multiformes destinées à leur formation sociale et matérielle. Elle rejoint ou précède ainsi la grande intuition des Scheutistes dans l’institution originale de la “ferme-chapelle”, dont le modèle sera celui du centre de Kisantu. A ses yeux cette sorte de réduction constitue : “la réelle espérance de la colonie”, et elle précise : “Chaque couple reçoit en se mariant une petite case et une portion de terre suffisante pour pourvoir le jeune ménage des légumes nécessaires.” Autour de la chapelle il y aura orphelinat et école pour l’éducation des enfants, et des ateliers permettront l’enseignement de tous les métiers. Quant aux “indisposés” ils sont soignés à domicile, mais les malades “dans un hôpital qui peut recevoir également d’autres indigènes, mais dans une partie séparée”. Pour réaliser ce projet il apparaît indispensable de fonder en Belgique même un centre pour préparer les religieuses et les pères de Scheut destinés à cette mission. Celle-ci en compensation des aides financières reçues de la métropole fera parvenir “en retour tout ce qui peut intéresser la Mère Patrie, de façon qu’on pût y trouver tous les articles congolais utiles ou intéressants”. Ainsi se trouve exposé un modèle type que l’on peut multiplier selon les possibilités et les besoins, à l’échelle de toute la colonie.
C’est qu’en effet de nouveaux champs d’action ne cessent de s’ouvrir aux franciscaines. Un des premiers concerne un secteur des œuvres hospitalières à haut risque, celui des lépreux. Tel est le cas pour la fondation de Mandalay en Birmanie en 1898. Cette région d’Extrême-Orient avait été atteinte dès le XVI ème siècle par un franciscain. Les filles de Marie de la Passion renouent donc à cette occasion avec une ancienne tradition. Après cet épisode, divers ordres religieux y avaient œuvré sans grand succès. En 1856 la Propagande avait confié le pays aux Missions étrangères de Paris; l’un d’eux, Mgr Bigandet premier vicaire apostolique, est habituellement considéré comme le véritable fondateur de l’Eglise birmane. Par la suite en 1870 des démembrements avaient donné naissance à plusieurs vicariats dont celui de Birmanie septentrionale avec pour centre Madalay, ancienne capitale des rois birmans. En 1886 les Anglais avaient annexé la région à l’Empire des Indes et c’est le gouverneur britannique qui avait accordé en 1891aux pères des Missions étrangères un terrain pour établir une léproserie. Celle-ci manquait cruellement d’encadrement d’où l’appel lancé aux franciscaines. En 1897 la supérieure va donc engager l’institut dans cette aventure alors qu’une semblable demande provient à la même époque du Japon pour la région de Kumamoto.
Dans ces circonstances elle n’impose rien, se contentant d’adresser une lettre circonstanciée pour demander des volontaires :”Je ne serais pas vraie si je ne vous avouais pas maternellement, qu’il en coûte à ma nature, à mon cœur, de faire appel à mes filles pour un tel ministère (…) Bien entendu, mes enfants, je ne forcerai jamais qui que ce soit à se dévouer au soin des pauvres lépreux si chers au Cœur de Jésus parce qu’ils sont en horreur au monde et à ce qui est du monde. Il faut un appel, une vocation spéciale pour se consacrer à un tel dévouement”. Si dans le passé en effet les franciscaines avaient eu à se pencher sur ces malheureux, c’est la première fois que leur est offerte la responsabilité totale d’une léproserie avec tous les dangers inhérents à ce genre d’activité. Et elle conclut : “Ce choix devra être regardé par toutes comme une récompense du ciel et de la terre. Car, je n’en doute pas, bien près de la palme du martyre, fleurit au ciel la palme des servantes des lépreux.” A l’annonce du départ de six religieuses destinées à Mandalay, lors de l’audience de novembre 1897, Léon XIII pourra à son tour parler de “vraies victimes consacrées”.
Ainsi était née l’œuvre destinée à soutenir les séminaires dans les territoires de mission. Celle-ci avait trouvé un vif encouragement dans la lettre Ad extremas consacrée en juin 1893 à la fondation d’établissements de ce genre dans les Indes orientales. Reconnaissant la supériorité du clergé autochtone pour la propagation de la foi catholique le pape déclarait : “Aussi, à cause de la moins grande confiance des indigènes envers les étrangers, est-il évident que des prêtres du pays produiront des fruits de salut beaucoup plus abondants. Ils ont les goûts, le caractère, les mœurs de la nation, ils savent quand il vaut mieux parler et quand il est préférable de se taire…” Observations qui pouvaient être étendues à d’autres jeunes chrétientés. Encore faillait-il des ressources pour mener à bien ce programme !
A la fin de 1901, l’œuvre de Saint-Pierre apôtre en relation avec des missionnaires du monde entier avait, en douze années d’existence, créé quarante-cinq bourses perpétuelles pour ces séminaires. La situation politique française ne permettant pas de lui assurer la reconnaissance de la personnalité civile, c’est le canton suisse de Fribourg qui, en 1902, en l’accueillant, lui garantira stabilité et sécurité pour l’avenir. A la mort de Mme Bigard, sa fille, sur les conseils du cardinal Gotti, envisagea de confier à une congrégation religieuse les destins de l’œuvre et plus particulièrement à un ordre qui ne fût pas limité à la France et qui “eût une maison à Rome et un établissement en Suisse et même à Fribourg”. Par l’intermédiaire du conseiller d’Etat du canton G. Python, tout acquis aux Franciscaines missionnaires de Marie, elle entre en contact au mois d’août 1904 avec Marie de la Passion et en septembre un accord est passé. Celui-ci fixe le siège légal de l’œuvre dans le couvent de l’institut à Fribourg et fait apparaître la présence dans le conseil d’administration de trois religieuses désignées par la supérieure générale. Jeanne Bigard leur sera reconnaissante d’assurer l’avenir d’une œuvre dont elle ne pourra plus s’occuper par la suite pour des raisons de santé et elle évoquera avec émotion l’accueil “maternel” de la fondatrice. En 1920, l’institut remettra l’œuvre aux mains de la Propagande et celle-ci sera approuvée définitivement en 1929 par Pie XI. Celle-ci en acceptant cette nouvelle charge pour l’institut complète en quelque sorte son programme d’action missionnaire au service du Saint-Siège.
De nombreuses agressions avaient été commises contre les missions, en particulier dans le Shandong, où les sociétés secrètes jouaient toujours un grand rôle. Parmi celles-ci les Boxers, à partir de 1898, allaient se révéler très inquiétants. Recrutant parmi les errants des campagnes, mais aussi dans la plèbe urbaine marginalisée par les crises économiques et la frange mal intégrée de certains notables ou lettrés en rupture de ban, ils alliaient une orientation anti-occidentale à des croyances magiques. Réprimés dans le Shandong, ils se déplaçaient alors vers le Zhili voisin, manifestant un vif ressentiment contre tous les étrangers. Le décret paru en mars 1899 établissant une équivalence de dignité entre les missionnaires et les fonctionnaires chinois des différents grades ne fut pas un facteur insignifiant parmi les causes de leur soulèvement. De son côté l’impératrice douairière Ci-Xi, après l’essai réformiste des “Cent-jours” (juin-septembre 1898), avait restauré la monarchie absolue en les soutenant, alors qu’ils manifestaient leur intention de “protéger la dynastie et d’exterminer les étrangers”. Des chrétiens chinois, considérés comme traîtres à leur patrie, étaient à nouveau molestés ainsi que des missionnaires étrangers. Le mouvement n’allait pas tarder à s’étendre à une bonne partie de la Chine.
Voir Sœur P. Gamba, “Les Martyres Franciscaines missionnaires de Marie de Taiyuan. Mission et martyre. Un témoignage d’amour”, Omnis Terra, avril 1997,
L’année 1900 est celle de tous les risques et s’inscrit dans le grand mouvement xénophobe des Boxers qui va se répandre dans le pays comme une traînée de poudre. A Pékin l’assassinat du ministre d’Allemagne le 20 juin marque le début du célèbre siège des légations étrangères. Par la suite les violences vont coûter la vie à plus de 30’000 chrétiens chinois, à plus de 200 prêtres et religieux indigènes, à 5 évêques et 45 religieux et religieuses étrangères. A Taiyuan le danger à la fin de juin se fait plus évident avec le double jeu du vice-roi qui affecte de vouloir conférer avec les autorités religieuses, mais qui en même temps s’accorde avec les Boxers. Le vicaire apostolique du Shanxi, Mgr Grassi, conseille aux religieuses de fuir. Celles-ci le conjure de les maintenir sur place car elles ne veulent pas abandonner leur orphelinat ni les “vierges” chinoises. Le 5 juillet elles sont conduites avec les deux évêques, deux pères, un frère et des séminaristes dans une résidence surveillée. Deux jours plus tard l’exécution a lieu en présence du vice-roi devant une foule déchaînée, les franciscaines mourant les dernières : “Ce qu’il y avait de plus étonnant, rapportera plus tard un soldat assistant au massacre, c’était de voir ces diablesses de chrétiennes mourir en chantant”. A l’aube du nouveau siècle l’institut, avec ces martyres, était baptisé dans le sang.
Le choc est considérable, mais la supérieure veut y voir un signe : “Ce sont mes sept douleurs et mes sept joies”, déclare-t-elle, confiant par la suite : “Je ne puis exprimer l’impression que fait en moi cette pensée que je suis mère de sept martyres. Il me semble que je ne suis plus la même. Je passe par des émotions d’âme si fortes que je ne puis moi-même m’en rendre un compte clair. Il me semble que de cela il va sortir quelque chose pour moi et pour bien d’autres, pour l’Eglise surtout…”
Voir J. Gadille, “L’ultramontanisme français au XIXème siècle”, dans : Les Ultramontains canadiens-français, Montréal, 1985, p. 54-55. J.-M. Mayeur, Catholicisme social et démocratie chrétienne. Principes romains, expériences françaises, Paris, 1986, p. 201.
Cela nécessite également une préparation technique poussée, tant pour les enseignants que pour les élèves dans des domaines très divers. Ainsi de concert avec G. Python, alors ministre de l’Instruction publique du canton de Fribourg, est créée en 1902 une école, section féminine d’arts décoratifs au Technicum des arts et métiers de cette ville, où se formeront des spécialistes pour les ateliers de peinture et broderie. Le ministre, quant à lui, avait fait partie du groupe des pionniers de l’action sociale qui avait constitué en 1884 à 1891 “l’Union de Fribourg” sous les auspices de Mgr Mermillod. Celle-ci avait dès cette époque réclamé l’instauration d’une véritable législation internationale du travail.
Elle se veut le défenseur de la Tradition : “Les écrivains protestants, surtout ceux venus d’Allemagne, ont fait école parmi les savants catholiques; ils ont inséminé le mépris de la tradition et proclamé ignorants ceux qui ne se soumettaient pas à leur critique. L’orgueil intellectuel a toujours été un écueil grave. Les savants ont craint d’être taxés d’ignorance. Ils ont accepté, sans s’en douter, la libre interprétation et l’ont inséminée à de jeunes membres du clergé, non seulement en France, mais partout. Ils ont rompu avec ces traditions où nos ancêtres ont puisé tant de courage, de générosité et de force. Ils ne se sont pas aperçus qu’en acceptant la méthode protestante, ils ne nous laissaient plus qu’une religion sans parfum et presque sans vie.”
La cause de béatification d’Hélène de Chappotin a été introduite en 1979 auprès de la congrégation pour les Causes des saints. Un décret de cette même congrégation sur “l’héroïcité des vertus” de la fondatrice a été publié le 28 juin 1999.
extraits de “HELENE de CHAPPOTIN et les Franciscaines missionnaires de Marie (FMM)” de Marcel Launay – Cerf Histoire – Paris 2001
DMC en la fête d’Uun de mes Saint patron Alphonse de Liguori 2016