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LA GUERRE DES DEUX FEMMES (2)

Johan (Jean) est persuadé avoir été empoisonné par son ami le Bessé (= maire) du village de Pouyong-Gong. Le Père Goré, alors desservant du poste de Yerkalo, supplie Johan de ne pas en parler à son fils Aran. Mais Johan, avant de mourir; en parle à son fils. Celui-ci, avec ses partisans, assassine le Bessé de Pouyong-Gong pour venger la mort de son père. Aran et ses camarades sont assassinés à leur tour: Restent maintenant les deux veuves: celle d’Aran, Goudjren et celle du Bessé de Pouyong-Gong, la Béguène; elles vont, par partisans interposés, continuer la guerre des deux clans. 

Ce sont ces deux exécutions (celle d’Aran et celle du Bessé) qui déclenchent la guerre des deux femmes; toutes deux grandes et belles, âgées toutes les deux d’envi-ron 25 ans. D’un côté il y a Goud-jren qui fait preuve d’intelligence, de ruse, de méchanceté, avec des éclats de fureur aveugle. De l’autre côté, la Béguène, c’est ainsi qu’on appelle dorénavant la veuve du Bessé de Pouyong-Gong, qui va organiser la défense, les contre-coups, avec un esprit méthodique, énergique et pendant ce temps administre les domaines de son mari, sans que jamais un homme ne mette en doute son autorité. En époux, elle est motivée par le désir de veiller sur la sécurité de son fils, alors âgé de six ans. 

Poussée par la rage, Goudjren précipite les hostilités: quatre tueurs essaient de se glisser vers la maison du Bessé de Pouyong-Gong qui domine le village et quatre ca-davres nus descendent le cours des gorges qu’aucun être vivant n’a jamais franchies. Sur ce fait, Goud-jren va faire quelque chose qui va la séparer pour toujours de son Eglise, de sa parenté et lui attirer l’hostilité de la majorité des chrétiens de Yerkalo: elle se remarie avec un lama chassé de la lamaserie de Chiatchrines, dans le fleuve Bleu,  comme l’ennemi public No 1. Mais Goudjren semble prédestinée à être veuve, car à peine les festivités du mariage terminées, le fameux lama-bandit et cinq de ses compagnons sont tués au fond du ravin qui coupe en deux le plateau de Yerkalo. Quant au commanditaire de cette exécution, il subsiste un doute: est-ce la Béguène ou le Konka-Lama, à cause de son comportement à partir de ce moment-là. Habituellement, il réagit rapidement, violemment, à toute infraction dans le public. Or, il ne réagit plus du tout, il est parfaitement discret et l’on se pose beaucoup de questions… Il y a des bruits qui courent, des émissaires du lama achètent des armes un peu partout, des munitions, des courriers à cheval arrivent et partent dans la direction de Kianka, Lhassa, il y a quel-que chose qui se prépare. Mais pour le moment, personne n’en sait rien. Son attitude, dans l’épisode suivant, est particulièrement incompréhensible. Tout le monde sait que Goudjren part pour Batang, la sous-préfecture. C’est là que réside le mandarin chinois qui dispose d’une garde d’une centaine de soldats également, il y a quelques boutiques chinoises, un hôpital protestant tenu par des missionnaires américains, à la mission catholique il y a une résidence, mais qui n’est pas occupée. Pour essayer de comprendre ce qui a amené Goudjren à Batang, il faut d’abord réaliser que son ennemi principal, l’homme qu’elle hait avant tout parce qu’elle lui attribue la mort de son mari, c’est bien sûr ça-Lama. Seulement, il ne se trouve aucun Thibétain, dans aucun pays, pour oser s’attaquer au grand lama de Sogun. Seulement, à Ba¬tang il y a des Chinois. Qu’est-ce que Goudjren a offert, promis, au capitaine de la garde, un capitaine chinois? Est-ce bien elle, du reste? On ne le saura jamais. Ce que l’on sait, c’est que le capitaine avec dix de ses hommes disparaissent de Batang pour réapparaître une dizaine de jours plus tard dans le va-lon où est située la lamaserie de Sogun. Les lamaseries que j’ai visitées moi-même, ou celles dont j’ai vu les photos ou les tableaux, sont généralement situées en des endroits très beaux quant aux paysages, et très souvent, également, en des points stratégiques, faciles à défendre, comme celle qui est en face de Yerkalo, celle de Lagong, qui est un véritable nid d’aigle, absolument inattaquable. Par contre, Sogun occupe le fond d’un large vallon dans lequel coule un ruisseau. Du point de vue stratégique ou de la beauté du paysage, c’est bien la lamaserie la moins bien placée qu’on peut imaginer: des deux côtés, des pentes légèrement boisées permettraient d’attaquer les lamas à coups d’arcs et de flèches, et même à coups de cailloux. Est-ce à cause de l’eau? En tous cas, c’est la lamaserie la moins spectaculaire qu’on peut imaginer et c’est pourtant là que réside le Konka-Lama. Il est le bouddha vivant de Sogun. Et c’est dans ce vallon que réapparaît le capitaine chinois et ses dix hommes, cachés dans les buissons qui dominent la lamaserie près de l’entrée, la grande entrée du couvent. Le matin, comme d’habitude chaque jour, le Konka-Lama sort accompagné de l’abbé pour sa promenade matinale, pour pouvoir s’entretenir avec son confrère à l’abri des oreilles indiscrètes et c’est à ce moment-là que les Chinois ouvrent le feu. L’abbé tombe touché de plusieurs balles, le Konka-Lama file à toute vitesse vers l’entrée du couvent, sans une égratignure. Les portes se referment, le coup est manqué. Les Chinois déguerpissent et cet épisode va encore grandement augmenter la réputation d’invulnérabilité du bouddha vivant. Au fond, il ne s’agit que de la maladresse des soldats chinois. Et l’on aurait pu s’attendre à une réaction extrêmement violente du Konka-Lama, mais non, il se contente d’envoyer une lettre de protestation au mandarin de Batang. Celui-ci, averti par ses espions d’événements graves qui se préparent, croit arranger les choses en faisant décapiter le capitaine, sans prendre le temps d’en avertir ses supérieurs. Cela fait qu’il y aura au moins un Chinois dans la liste des victimes de la guerre des deux femmes. Il reste à se poser une question qui ne sera probablement jamais résolue: est-ce à l’initiative de Goudjren – qu’a-t-elle pu lui don¬ner ou lui promettre? – que le capitaine est parti pour essayer d’assassiner le Konka-Lama ou est-ce que le mandarin chinois, espérant peut-être diminuer ainsi les dangers qui le menacent, on ne le saura jamais. Mais évidemment que la rumeur publique accusera Goudjren et le capitaine ne pourra pas témoigner. Une autre fois, une bagarre entre les partisans de Chiatchrines et les villageois de Pouyong-Gong fait huit morts et cause la grande fureur des lamas du couvent de Chiatchri-nes, puis Goudjren va commettre une nouvelle erreur: elle va marier sa belle-soeur, Kata, une ravissante jeune fille au Kangong-Pun, un des trois chefs de la frontière sino-tibé-taine, résidant à Dong, essayant ainsi de se procurer un allié relativement puissant. Seulement, le Kangong-Pun est un homme lâche, faux, menteur, qui se gardera bien de mettre son doigt dans ce terrible engrenage. Par ailleurs, il n’occupe pas une très bonne place dans ma mémoire, malgré la large hospitalité qu’il offrit en 1940 au Père Goré et à moi-même, dans sa riche demeure de Dong. Je laisse de côté ma liste macabre des morts qui vont encore tomber. La guerre des deux femmes fera, en tout, trente-deux victimes. C’est le coup d’Etat antichinois qui mettra fin à ces hostilités. Le Kon¬ka-Lama prépare, depuis assez longtemps, avec bien sûr le consentement des autorités de Lhassa, avec d’autres régions frontalières, bien sûr, une révolution antichinoise. Le Konka-Lama prend le pouvoir de toute la région de Batang, des Salines, et il repoussera la frontière du Thibet indépendant ju-qu’au village de Pamé, situé à deux jours au sud de Yerkalo. Dorénavant, la frontière sera marquée par le ruisseau qui coule au milieu du village de Pamé et au bord duquel le Père Nussbaum sera assassiné. Cela explique le comportement étrange du Konka-Lama qui, pendant toute cette période sanglante, a cherché surtout à ne pas attirer l’attention sur la région, sur lui-même, sur tout ce qui aurait pu éveiller des soupçons de la part des autorités chinoises. Et le mandarin chinois partira tranquillement, on ne l’ennuyera pas, on le laissera partir avec les commerçants chinois, les soldats. Le Père Li, qui est déjà depuis longtemps à la limite de la crise nerveuse, profite de l’occasion pour quitter la paroisse et l’on ne peut pas le blâmer, car la situation d’un Chinois, curé de Yerkalo, est devenue totalement invivable, insupportable. Les missionnaires protestants auront moins de chance: leur mission sera pillée, tout l’équipement de l’hôpital, amené à grand frais de l’Amérique, sera jeté à la rivière, à l’exception d’un beau lit, réglable, mécanique, qui finira curieusement dans la chambre à coucher du missionnaire de Yerkalo… Les pauvres missionnaires protestants arriveront à Tsechung épuisés, ne possédant plus que les vêtements qu’ils portent sur eux. C’est le Père Ouvrard qui va les prendre en charge, leur fournissant tout ce qui est nécessaire pour leur permettre de quitter la Chine par la Birmanie du nord. Et c’est l’une de ces familles expulsées à ce moment-là, la famille Morse, qui offrira l’hospitalité au Père Emery, 40 ans plus tard, lors de son voyage en Birmanie du nord. Douze ans après ces événements, lors de mon voyage à Yerkalo avec le Père Goré, à la suite de l’assassinat du Père Nussbaum, je rencontrai d’abord la Béguène de Pouyong-Gong. Elle me recevra avec un enthousiasme débordant dans sa grande maison qui domine la commune. Bien qu’approchant de la quarantaine, elle est toujours grande et très belle.  Son fils, maintenant âgé de 18 ans, Kama-Lo-zong, est l’un des plus beaux jeunes thibétains qu’il m’a été donné de rencontrer. Et nous deviendrons de très bons copains lors de notre séjour commun à Sogun, lors de l’intronisation du Konka-Lama, mort en 1934, et réincarné. Le Père Goré m’avait parlé du téléphone de Pouyong-Gong. Cela m’avait intrigué. Et je comprends lorsque je vois la Béguène se pencher à la fenêtre de sa maison et appeler: soit qu’elle désire la présence de l’un de ses administrés, soit qu’elle désire quelque chose, elle appelle. Est-ce l’acoustique naturelle de la montagne ou bien la puissance de la Béguène, sa voix porte jusqu’à la ferme la nlus éloignée de son domaine et elle est obéie instantanément. Puis à Yerkalo je vais, non pas rencontrer, mais voir passer plusieurs fois Goudjren, toujours suivie de sa fille qui a maintenant environ quatorze ans. Elle vit seule dans la grande maison qui se détériore de plus en plus, avec sa fille et les servantes. Elle prend part aux travaux de l’agriculture, des salines, niais ne parle que lorsque c’est absolument nécessaire. Toujours grande et montrant les traces d’une beauté, qui a été exceptionnelle, son visage a l’air d’être taillé dans un bois brunâtre. Les yeux me font penser à des charbons en train de s’éteindre. Quand il lui arrive de remarquer ma présence, j’ai l’impression que son regard me traverse sans me voir. J’éprouve une immense pitié pour sa fillette qui a tout l’air de vouloir devenir une très charmante thibétaine, mais qui suit sa mère comme un chien fidèle, ne parlant à personne. Il n’y aura pas de galant à venir chanter la sérénade sous sa fenêtre ou à faire des prouesses équestres pour l’éblouir, la famille est maudite. Le Père Goré me dit: «Il n’y aura pas de mariage, personne ne s’y risquera.» Le souvenir de cette jolie gamine, la dernière victime de la guerre des deux femmes, m’a longtemps hanté. Peut-être que le flot rouge de Mao-Tsé-Toung, qui atteindra Yerkalo en 1951, l’aura libérée. Adon-Kata, la fille de Jean, devenue la femme d’un grand chef thibétain païen, me montrera fièrement son chapelet, qu’elle me dit réciter fidèlement tous les jours. Et c’est d’elle aussi qu’une nuit je rêvais, d’un géant thibétain, à genoux devant le Père Goré, assis sur son lit, sanglotant éperdument et Atun, le dernier des enfants de Jean, qui pleure sur les genoux du Père qui lui a jadis enseigné le catéchisme. Que seront devenus tous les personnages de mon histoire sous le régime rouge? Qu’est devenu le Konka-Lama? intronisé six ans après sa réincarnation et qui m’a béni en posant sa menotte sur ma tête? Que sont devenus les assassins du Père Tornay, le dernier curé de Yerkalo?… Tiens, justement, le décret confirmant le martyre de Maurice Tornay vient d’être publié. Ca me pose un problème: est-ce qu’on ose tutoyer un bienheureux?  BOB CHAPPELET