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LA MISSION DU THIBET (1946)

C’est en 1933 que la “Mission du Thibet” fut fondée par les religieux du Grand-St-Bernard, le Chapitre de la Congrégation ayant agréé, à l’unanimité, le rapport des chanoines Melly et Coquoz au retour du voyage de prospection qu’ils entreprirent, dès 1930, dans les Marches thibétaines.

Accompagnés du Frère Duc de leur Communauté, et d’un volontaire laïc, M. Chappelet, originaire de St-Maurice, les deux mêmes chanoines s’embarquèrent à Marseille le 10 janvier 1933. à bord du Général Metzinger, des Messageries maritimes françaises, qui aborda Haïphong en février. Un mois plus tard, la jeune équipe parvenait à Yunnanfou, capitale du Yunnan, et après trois semaines de caravane atteignait Weisi, centre de la nouvelle Mission, à la frontière du Thibet interdit.Le voyage fut pénible, mais sans accident notable, car nous préférions camper en plein air, au risque d’être attaqués par les voleurs, plutôt que de subir les parasites désagréables qui pullulent dans les auberges chinoises.

A Weisi, le P. Bonnemin, des Missions Etrangères de Paris, nous fit un accueil fraternel et nous installa dans la résidence construite depuis 1920, mais jusque-là inhabitée. Il s’agissait maintenant de regarder bien en face le but de notre Mission et de nous mettre à l’oeuvre sans retard. La tâche était ardue : d’abord, étude du chinois, langue officielle de cette région, organisation du ministère pastoral dans le secteur qui nous était attribué, et construction d’un hospice, frère de celui du St-Bernard valaisan, pour venir en aide aux voyageurs exposés aux dangers de la haute montagne. Il fallait du courage, de l’audace, un bel optimisme et surtout une confiance illimitée en la divine Providence qui inspirait notre zèle : nous sentions tout cela en nos âmes de bonne volonté.

Même après des années, il n’est pas facile d’exposer nettement quelles furent nos premières impressions en arrivant dans ce pays lointain, si différent du nôtre, et qui serait probablement jusqu’à la mort notre patrie d’adoption. L’avenir nous apparaissait plein d’énigmes. Pourrions-nous, selon nos plans, accomplir cette Œuvre missionnaire ? Ne serions-nous pas bien vite la proie de quelque maladie ou des brigands ? Prendrions-nous contact avec cette population indigène qui, au premier abord, nous apparut défiante et hostile ? Comment lire dans ces yeux que n’adoucissait aucune bonté surnaturelle, et dont le regard, dur et froid, ne s’abaissait que vers la terre ? Comprendrait-on notre but ? Sans doute, le « malin » ne se laisserait pas facilement « débouter » de cette région païenne où il régnait en maître depuis des siècles, et il fallait s’attendre, de sa part, à de rudes assauts. Toutefois, nous avions pleine confiance en Celui qui, dès le début, avait inspiré nos désirs d’apostolat et nous aiderait certainement à les réaliser.

C’est principalement le dispensaire, organisé à Weisi dès notre arrivée, qui nous fournit l’occasion de frayer avec les gens du pays. Car, dès la première année, ils vinrent nombreux chercher quelque soulagement à leurs maux, et nous sentions que ce ministère charitable était le moyen le plus sûr d’atteindre les âmes de ces pauvres païens pour les orienter vers Dieu. Maintes fois nous eûmes la consolation de baptiser les enfants qu’on nous apportait mourants, et plusieurs adultes trouvèrent également le salut en sollicitant la guérison des maux dont ils souffraient. Un bon nombre de ceux que nous avions eu la joie de guérir nous témoignèrent leur reconnaissance soit en favorisant notre entrée dans les villages, au cours de nos randonnées, soit en envoyant leurs enfants à notre école de doctrine. Car nous en avions ouvert une à Weisi, qui fut confiée d’abord à notre interprète, un catholique du pays connaissant le latin. Les élèves, appartenant à des familles très pauvres, étaient nourris par nos soins.

Plus tard, en 1935, le Probatoire », sorte de pro-petit séminaire, fut inauguré à son tour. Il nous permit de collaborer, avec les Vicaires apostoliques, au recrutement du clergé indigène désiré et demandé instamment par Sa Sainteté le pape Pie XI.  Mgr Giraudeau, Vicaire apostolique de Tatsienlou, n’était pas resté en retard, mais notre secteur étant trop éloigné du sien, il nous demanda d’organiser nous-mêmes une école de latin pour la région du Mékong. Les Missionnaires furent donc priés de choisir, dans leurs groupes scolaires respectifs, les garçons susceptibles de correspondre à la grâce d’une vocation sacerdotale et capables en même temps d’étudier, puis de nous les envoyer à Weisi. C’est ainsi qu’une vingtaine environ de jeunes sauvageons nous arrivèrent un beau jour. Confiés à l’experte direction de M. Tornay, ils firent des progrès étonnants. En 1936, une nouvelle école fut aménagée à deux heures de notre résidence, dans un bâtiment neuf construit à cet effet.

  Frère Duc

Malheureusement, la guerre survint et avec elle la famine qui nous obligea à envoyer nos étudiants sur les rives du Mékong où la Mission possède terrains et rizières. Hélas ! cela ne suffit pas. Nos Pères vendirent vêtements et objets pour se procurer des ressources, mais ces sacrifices ne firent que prolonger douloureusement l’agonie de la chère Ecole, sans pouvoir la sauver. Une lettre de mai dernier nous annonça, en effet, qu’elle avait dû fermer ses portes et disperser les élèves, faute de ressources et pour permettre au P. Tornay de remplacer d’urgence, au poste de Yerkalo, le P. Burdin, des Missions Etrangères de Paris, victime du typhus.

Trois élèves du Probatoire sont actuellement au séminaire de Yunnanfou. D’autres les auraient suivis si notre Mission avait pu assumer les frais de leur entretien. Mais nous avons dû les renvoyer à leurs curés respectifs qui, en attendant des jours plus propices, veilleront sur eux pour maintenir leur vocation.
Les autres étudiants rentrés dans leurs foyers se livrent au commerce ou se dévouent comme catéchistes, auxiliaires précieux des missionnaires. Tous relativement instruits au milieu d’une population ignorante ne tarde¬ront pas à la dominer et à la diriger. La grâce de Dieu aidant, on peut envisager avec confiance l’avenir du catholicisme en cette lointaine région.

En nous rendant au Thibet, nous envisagions encore, nous l’avons dit plus haut, la création d’un hospice similaire à celui du Grand-St-Bernard et ayant le même but : aider et recevoir les voyageurs exposés, comme chez nous, aux dangers de la haute montagne. Le col de Latsa fut choisi pour cette construction. Il relie, à 3800 m. d’altitude, les vallées du Mékong et de la Salouen, et les indigènes en usent fréquemment, bien que la traversée soit rude et souvent périlleuse. C’est ce qui lui valut, d’ailleurs, nos préférences.

Avec la nouvelle construction qu’habiteraient les Pères, pillards et brigands ne tarderaient pas à disparaître. Il fallut de longues démarches pour obtenir l’autorisation de construire notre Hospice. Grâce à l’intervention de M. Spalinger, Consul suisse de Canton. elle nous fut enfin accordée. Toutefois, le gouvernement chinois auquel appartiennent fleuves, lacs et montagnes, en nous permettant de nous installer à Latsa, ne manqua pas de nous mettre en garde contre les voleurs de la région.

En 1935, les premiers travaux furent entrepris, qui se continuèrent durant les étés suivants jusqu’en 1938, époque où une grève des ouvriers les paralysa en plein mois d’août. Ensuite, ce furent la famine, la guerre et le manque d’argent qui en empêchèrent la reprise. Seul, par conséquent, le Refuge, maison d’abri pour les constructeurs, et que les passants utilisent, a pu être achevé en 1936, tandis que l’Hospice n’a atteint, jusqu’à ce jour, que le milieu du premier étage. Nous ne pourrons reprendre les travaux qu’à l’arrivée de nouveaux confrères et moyennant dons et ressources que, certainement, nous enverra la Providence sur laquelle nous comptons avec une confiance absolue.

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Actuellement, travaillent à notre Mission cinq religieux du Grand¬St-Bernard, dispersés, du Nord au Sud du Yunnan, dans un rayon de 400 km. : M. Lattion à Weisi, M. Coquoz à Siao-Weisi, M. Lovey à Tsechung où il est le précieux auxiliaire du R. P. Goré, des Missions Etrangères de Paris, Supérieur régional, M. Tornay à Yerkalo. Enfin, à Houalopa, le Frère Duc qui, depuis le licenciement du Probatoire, fait l’élevage du bétail pour procurer de quoi vivre, au moins au jour le jour, à nos religieux.

De 1940 à 1945, ces chers confrères ont vécu des années difficiles. Leur plus pénible sacrifice fut certainement de se voir privés de toute nouvelle d’Europe lorsque l’avance japonaise au sud et à l’est du Yunnan isola cette région de tout le reste du monde. Durant cette période, bien rares furent les échanges de lettres entre eux et nous. Quelle peine ils ont éprouvée, nous le devinons, de savoir leur petite patrie suisse en danger, et de tout ignorer des êtres très chers qu’ils y avaient laissés ! A ces angoisses bien légitimes s’ajoutèrent les soucis financiers. Ne recevant plus rien d’Europe, nos missionnaires durent s’ingénier, non seulement à se créer des moyens d’existence, mais encore à sauver Uceuvre naissante qui leur tenait à cœur. Au prix de quels sacrifices et privations y sont-ils parvenus, Dieu seul le sait, mais ceux-ci n’auront pas été vains, nous en avons la réconfortante certitude.

L’orage a maintenant passé. Petit à petit, les relations épistolaires se rétablissent entre le Thibet et la Suisse, tandis qu’au Grand-St-Bernard, une vaillante équipe de jeunes apôtres envisage déjà la possibilité et la joie de rejoindre, là-bas, nos missionnaires fatigués. Quatre prêtres vont partir le plus tôt possible. Aussi. notre Mission va connaître, nous l’espérons fermement, un nouvel essor. Le Christ, inspirateur des Missions, ne saurait abandonner ceux qui, se dévouant à sa cause, ambitionnent de Lui gagner les âmes des pauvres païens pour que sa religion les éclaire et qu”ils puissent bientôt répéter avec nous devant l’unique Sauveur du monde : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! »

P. M. M.

dmc