Skip to main content
  • DANSE-3
  • DC-TCHONGTREU
  • DC TCHONGTREU
  • EGLISE-2006
  • EGLISE-DE-TCHONGTREU
  • EGLISE-DU-SACRE-COEUR-109phC16-020c
  • EGLISE-TCHONGTREU-2
  • GENESTIER-ANNET-MEP-TCHRONGTEU-1934
  • P.-GENESTIER-ANNET-PATRIARCHE-DU-LOUTSEKIANG
  • P1010170 - copie
  • POPULATION-TIBETAINE-A-TCHRONGTEU
  • SACRISTINE-DE-TCHONGTREU
  • TCHONGTREU-REPAS
  • TCHONGTREU DANSE 2
  • TCHRONGTEU-EN-1931-LORS-DE-LA-CONSTRUCTION-DE-LEGLISE-
  • TCHRONGTEU-INAUGURATION-EGLISE
  • THIBETAIN DE TCHONGTREU - copie
  • VISAGES
  • VISITE-CHEZ-LE-P-GENESTIER-A-TCHONGTREU109phC16-022d

LA VENUE DES INNOCENTS-2

Je me mets en route avec Aqui. Nous arrivons à Ponda vers 10 heures du matin, neuf heures peut-être car nous étions partis très tôt. Nous passons le fleuve et, après avoir déjeûné, nous continuons sur Liouragan. Le spectacle qui m’attend au milieu du village, je suis sûr que je ne l’oublierai jamais!  En-dessous de la piste, dans la rizière, il y a cinq cents Lissous Noirs assemblés; un spectacle d’une beauté sauvage extraordinaire ! Ces hommes hirsutes, bronzés, presque noirs, avec leurs immenses arbalètes et leurs longs sabres ont l’air extrêmement dangereux et sont empreints d’une beauté sauvage extraordinaire. Sur la piste, il y a le Père André, venu pour accomplir son travail de missionnaire.

Il y a également les deux Américains, (les innocents) les Lissous protestants et quelques Chinois, connaissant les Lissous Noirs, qui ont fait commerce chez eux et n’en ont pas peur. Au bord de la piste, sur un petit rocher, un homme bizarre tient un discours. A la façon dont il s’exprime, c’est un Lissou sans aucun doute. Il est vêtu à l’européenne, d’un costume gris, un peu chiffonné, et d’un chapeau de feutre européen. Il prononce des noms et les Lissous Noirs, répandus dans les rizières, répondent en choeur: «tous tuer, tous tuer, tous tuer…». Je comprends qu’il doit s’agir du procès des cinq tibétains. Puis j’entends un nom qui m’est familier: Tsering Tchrachi.. «tous tuer, tous tuer… tous tuer». Je demande à l’un des Chinois habitant la vallée:«- Qui est-ce Tsering Tchrachi?−Mais c’est ton voisin, le fils de la veuve qui habite juste au-dessus de la résidence.−Pourquoi veulent-ils le tuer?−Il est venu avec une lettre du Lama, alors ils l’ont ramassé avec les autres. J’attrape le bonhomme sur son rocher, par le pan de sa veste, le tire sur le sentier et monte à sa place et je fais un discours. Certains ont dû me reconnaître, car dès mon apparition sur le rocher, un murmure parcourt les rangs. – Les Lissous qui me connaissent renseignent les autres sur mon identité, je suppose… Je dis: «tous tuer, tous tuer, qu’est-ce que cela signifie? Vous n’êtes pourtant pas des sauvages… qu’est-ce que ce jeune homme vous a fait? A-t-il pillé, a-t-il volé vos bêtes, a-t-il molesté vos femmes et vos filles, a-t-il brûlé vos maisons? Quels crimes a-t-il commis?» −Il a porté une lettre.−Est-ce que porter une lettre est un crime qu’on punit de mort? Je ne veux pas que ce garçon meure, je veux que vous me le remettiez.» Le bonhomme qui, je l’apprendrai par la suite, est un Mapha, c’est-à-dire un enseignant, instituteur ou catéchiste, mais certainement un communiste, m’attrape à son tour par le pan de ma robe thibétaine, me tire sur la route et remonte, criant: «- Nous n’avons pas de temps à perdre… Que ceux qui sont d’accord de remettre ce garçon, ce Tsering Tchrachi au Cha Siensen (entre-temps il s’est renseigné sur mon identité), lèvent le bras droit.» Et j’ai beau regarder attentivement, je ne vois pas un seul Lissou qui n’ait pas le bras levé et je les entends dire: «ouais, donne-le lui, mais qu’on le lui donne… Bon, eh bien allons chercher les autres pour les tuer». Et le bonhomme me dit: «Dépêche-toi d’aller chercher ton garçon, autrement ils le tueront quand même.» Les Lissous se ruent vers une maison située au bas des rizières, tout près du fleuve. C’est une ruée sauvage, des hurlements… ils s’accrochent avec leurs arbalètes. Je saute du rocher, nage au milieu des sauvages qui sont gentils, me laissent passer, je joue des coudes, me bats et parviens, avec les premiers à la maison où sont enfermés les prisonniers. Ils gisent à terre, chevilles et poignets liés étroitement par des cordelettes d’arbalètes, tellement serrées qu’elles ont pénétré dans les chairs. Tsering Tchrachi est là, totalement incapable de marcher, terrorisé au point de sembler avoir perdu la raison, les yeux révulsés, les cheveux pendant sur la figure, la bouche ouverte. je l’empoigne comme un sac de patates, le lance sur mon épaule et l’emporte. Arrivé sur la piste, je demande à Laverne Morse de venir couper les liens avec son poignard scout. Il en est incapable, tellement il tremble. Je suis obligé de lui prendre le poignard des mains et de couper les cordelettes moi-même. Les cinq thibétains sont étendus dans la rizière, à deux ou trois mètres l’un de l’autre. Les Lissous s’en éloignent un petit peu et commencent à tirer à la cible, leur envoyant des flèches non empoisonnées, dans les bras, les jambes, les épaules, partout où la blessure n’est pas mortelle. Ils ne veulent pas que leurs victimes meurent trop vite, il faut d’abord qu’elles souffrent. Les prisonniers hurlent de douleur, d’angoisse et sont criblés de tellement de flèches, de tous les côtés, qu’ils ont l’air de porcs-épics. Les deux Américains sont effondrés. J’entends Laverne qui dit:«— Mais c’est horrible, ce n’est pas permis, comment peut-il y avoir des choses aussi abominables!» tandis que Bayers pleure à grands sanglots, les larmes inondent ses joues et il dit: «— Mais c’est nous, c’est notre faute, c’est nous qui les avons pris et livrés, c’est nous, c’est nous…». J’essaie de le consoler un peu, sans y parvenir. Le spectacle est poignant et il le deviendra plus encore car maintenant le tir est terminé. Ils sortent leurs petits couteaux courbes, qu’ils utilisent pour fendre le bambou, pour fabriquer des flèches, des liens, tresser des corbeilles. Ce couteau leur servira à fendre le ventre des prisonniers, qui sont nus, bien que j’aie demandé qu’on leur porte un vêtement. D’un coup sec le ventre est largement ouvert et tout sort, les intestins, les poumons… Le Lissou fouille, sort le foie et le détache soigneusement. Tous subissent le même sort. Les deux Américains sont au bord de la crise de nerfs et le Père André est fortement choqué lui aussi, tremblant de tout son corps, les yeux fixes comme hypnotisé. Alors je les chasse. Je dis au Père: «— Pourquoi restez-vous là à regarder? — Allez-vous-en et emportez Tsering Tchrachi avec vous. je n’ai pas de bête et ne peut pas le faire. Amenez-le à Bahang et je viendrai l’y chercher plus tard.»J’ordonne au domestique du Père André de charger Tsering Tcharchi sur l’une des deux grandes mules et le Père s’en va. Je chasse aussi les Américains, les envoyant se réfugier dans la maison de Mon-sieur Lieou.«- Ne restez pas là, vous allez avoir des cauchemars pendant des mois… allez-vous-en.» Docilement, ils s’en vont. Je reste car je désire parler à ce Ma¬pha, mais je ne le reverrai plus, il disparaît complètement. Il ne montera pas avec les Lissous, – il a dû repartir directement vers le Sud. Entre-temps, les cinq prisonniers ont été décapités, ils ont donc cessé de souffrir. Pour cela les Lissous sont très habiles, ils sont capable de décapiter un boeuf d’un seul coup de leur grand sabre. Les têtes roulent, les corps sont jetés au fleuve. Il faut expliquer pourquoi ils éventrent et prélèvent le foie. Pour les Lissous, les qualités viriles de l’homme sont dans le foie et dans la bile. C’est pourquoi on prend le foie de l’ennemi mort, on le fait rôtir sur le feu, on le découpe en petits morceaux et chacun en consomme une part. La bile est versée dans une cruche d’eau-de-vie et chacun en boit une gorgée. Cette coutume est répandue chez tous les Lissous, pas seulement les Lissous Noirs mais également chez ceux du haut, comme j’aurai l’occasion de le voir, hélas!… Je vais voir les chefs des Lissous pour leur demander de ne pas monter; – il ne veulent rien enten-dre.«- Mais, il n’y a plus de thibétains, le Lama et ses brigands se sont enfuis avant même que je vienne ici…» Mais les chefs répondent: – «On veut s’en rendre compte par nous-mêmes. Nous voulons nettoyer cette vallée, nous allons jusqu’au bout. Mais ne te fais pas de souci, nous ne ferons pas de mal à la population.» Je vais alors prendre congé des deux Américains que je trouve en très, très triste état: les deux innocents ont beaucoup perdu de leur innocence et de leur confiance en la protection divine. Ils sont complètement démoralisés, me suppliant de les accompagner en Birmanie du Nord. Ils veulent m’offrir le voyage jusqu’à Rangoon, jusqu’en Suisse… tout ce que je veux, pourvu que je les accompagne. Je refuse de toutes façons. Mes compagnons peuvent avoir encore besoin de moi, la population également, et surtout je ne donnerai jamais l’impression d’être un coupa-ble qui s’enfuit. Je prends donc congé d’eux. Ils arriveront sains et saufs en Amérique. Mais s’ils avaient la vocation missionnaire, ils l’ont perdue ce jour-là, je pense. La famille Morse va faire un travail formidable en Birmanie, en Thaïlande, en Chine. La liaison avec la Birmanie sera établie et elle l’est encore aujourd’hui: les Lissous franchissent les montagnes avec des charges de bibles, de catéchismes; – ils ont vraiment accompli un immense travail, mais Laverne n’est jamais revenu. Il s’est marié en Amérique et travaille dans le business, quant à Bayers, je n’en ai jamais plus entendu parler. Ce jour-là, ils ont trop vu les Lissous sous leur plus mauvais jour et je pense qu’ils n’ont plus eu envie de les revoir… Je remonte dans le Nord et re-trouve le Père Emery à Tchrongteu. II est devenu le gardien du trésor de la population qui a apporté tous ses biens à la résidence. Ils l’avaient déjà fait à l’arrivée des communistes. Nous avons ouvert toutes les portes et toutes les chambres se sont remplies de tout ce qu’ils apportaient: bijoux, casseroles, objets sacrés destinés au culte familial… Je colle un peu de papier sur les vitres à l’intérieur pour que l’on ne voie pas trop ce qui s’y entasse. Le peu de bétail restant pâture dans notre jardin. Une surprise désagréable m’attend: le thibétain blessé, abandonné par ses compagnons, est installé au rez-de-chaussée, le Père Emery l’ayant recueilli.— Mais je t’avais dit de le laisser où il était…—Je suis prêtre catholique, missionnaire, je dois donner l’exemple de la charité…—Oui, mais dès qu’ils seront là, les Lissous viendront le chercher et ni toi, ni moi ne pourrons le sauver. En effet, à peine arrivés, une vingtaine de Lissous se présentent, très poliment ils me disent:—Siensen, tu as un thibétain à la résidence…—Il est blessé, laissez-le tranquille.—Oh, il ne souffrira pas longtemps…Ils vont le chercher et l’emportent. Que faire! Ils ne vont pas très loin, jusque près de la maison de Tsering Tchra-chi. Ils l’attachent à un arbre surplombant le ravin et commencent à le cribler de flèches. Le pauvre hur-le. Je suis monté pour m’assurer qu’on ne moleste pas la vieille dame et les gens de la maison, j’ai mon révolver à la ceinture. Le prisonnier m’interpelle:«— Siensen, tue-moi, ne me laisse pas souffrir, tue-moi…» Mais je n’allais pas me mêler d’une exécution lissoute. Je reste là, j’aurais aussi bien fait de partir, mais je suis moi aussi hypnotisé. Ils lui fendent le ventre et lui coupent la tête assez rapidement. Le prisonnier meurt en me maudissant. Il ne maudit pas les types qui le torturent, mais il me maudit car j’ai refusé de l’achever. La tête roule au fond du ravin. Je ferai enterrer le corps plus tard. Les Lissous Noirs se comportent beaucoup mieux que les Thibétains. Dans les maisons, dans les fermes, ils volent… un petit couteau, un bol, un objet un peu brillant ou coloré, comme des enfants. Ils viennent à la résidence, inspectent les chambres et me disent:«— Qu’est-ce qu’ils ont peur de nous! Ils ont tout apporté chez vous… tout!» Mais ils se gardent bien d’enfoncer les portes et d’emporter quelque chose. Par contre, la lamaserie est pillée totalement et devient le lieu d’un drame. Elle est gouvernée par un lama qui, officiellement est économe, mais qui en réalité est le chef. Le Bouddha vivant est un pauvre ivrogne, à moitié crétin. Mais le Lama Tcheu Zong a fait restaurer le trésor de la lamaserie. Pour cela il a perçu jusqu’au dernier centime les revenus de la lamaserie. Il a été en pèlerinage aux Indes, dans les lieux sacrés, il a été à Lhassa, en Chine. Il a acheté des rouleaux de satin broché pour confectionner les robes des danses sacrées, il a fait sculpter les masques de démons et d’animaux pour les danses. Il a racheté des lampes, des encensoirs, des objets en cuivre pour le culte et voit le désastre du pillage de la lamaserie… Les Lissous ont enfilé les robes sacrées, ils se roulent par terre, déchirent, cassent et emportent tous les objets en métal. Le Lama Tcheu Zong n’en peut plus. Il se dirige vers le fleuve où se trouve un rocher carré, comme une table. Il y monte et s’assied en position du bouddha méditant. Il médite pendant une bonne heure. Puis il se lève, ôte sa robe, la plie soigneusement, la dépose sur le rocher et il se jette à l’eau. Cela me peine énormément, car avec moi il avait toujours été gentil, bien que nous ayions eu des procès l’un contre l’autre, devant le mandarin chinois qui m’a toujours donné raison. Je l’ai privé de revenus sur des terrains occupés maintenant par des chrétiens. Mais ces différends n’ont eu aucune influence sur nos relations privées. J’étais invité à toutes les festivités à la lamaserie, dans les familles également j’étais invité à toutes les cérémonies. J’étais en très bonnes relations avec les lamas et ce drame m’a peiné car je me doutais que chose semblable arriverait à notre église, qui n’existe même plus. Elle a été complètement rasée, mais par les communistes, pas par les Lissous. Puis les communistes de Sekime sont montés. J’ai demandé à Monsieur Wouang de renvoyer les Lissous qui avaient mangé tout le bétail, il faut environ trois boeufs par jour pour nourrir tous ces gaillards. Alors M. Wouang les renvoie progressivement, par petits groupes. Les Lissous Noirs rentrent chez eux, nous restons dans un pays qui va connaître encore tant de troubles, verser des larmes et du sang… jusqu’au jour où nous aussi, nous serons contraints de le quitter.  ROBERT CHAPPELET NOTA BENE : Pour mieux connaître une partie de la vie du seul laïc misssionnaire de la mission dite du Thibet dans le Yunnan, à savoir Robert CHAPPELET, dit Bob, vous devez absoluement vous référer au maître livre écrit par le journaliste (à ANIMAN), conteur, historien, Jean-louis Conne , intitulé « LA CROIX TIBETAINE » et paru aux éditions « MONDIALIS » www.editionsmondialis.com