LE THIBET QUI A ACCUEILLI LE SERVITEUR DE DIEU
a) Du point de vue géographique.
5. ) Pour la description géographique du Tibet, en particulier en ce qui concerne la zone dans laquelle a oeuvré Maurice Tornay, on insère ici le passage suivant qui figure dans la première biographie qui lui fut consacrée:
« Qu’est-ce que le Thibet? Maurice Tornay répond »:
« C’est une terre au-dessus de notre terre que deux murailles soutiennent, en la dépassant, à une altitude de quatre, cinq, six mille mètres: Hima-aya au sud, le Kouen-Lun au nord. De là, dit la légende, il ne reste plus qu’à gravir, par les degrés du ciel, ce qui s’élève encore des chaînes bordières pour dépasser le toit du monde et arriver au séjour des dieux. Ce ne devrait être, primitivement, qu’une mer intérieure, là-haut, entre les montagnes. Puis, par une dépression vers l’est, face à la Chine, l’eau réussit à s’évader en quatre fleuves: l’Iraouadi et toutes ses ramifications, la Salouen, le Mékong et le Fleuve-Bleu. L’ancienne mer n’est plus que glaciers et marécages; mais les quatre fleuves reçoivent d’eux leur éternelle naissance. Ils forment quatre vallées. d’abord à peu près parallèles; il faudrait dire quatre Valais comme le nôtre dans la région de Conches, avec, toutefois, des versants plus abrupts et beaucoup plus élevés. Vous avez ainsi, dans les plaines, les interminables rizières; plus haut les champs, les forêts et les neiges. En un rien de distance, toutes les cultures. Vous voyez donc que le Thibet comprend deux régions très différentes: la région des Hauts-Plateaux ou la Terasse et une région plus basse, l’affaissement de cette terrasse ».
« Au nord de l’Indochine s’étend la province chinoise du Yunnan. Les rivières et les fleuves se frayent un passage dans les vallées profondes, mais le pays se resserre au nord dans cette région voisine de l’Assam et du Thibet, en ces endroits surélevés où les quatre fleuves, sortis de la ‘terre des dieux’ , roulent leurs flots en torrents vers le sud, en remplissant les gorges de leur perpétuel mugissement. Tout à l’ouest, l’Iraouadi débouche du Thibet, pénètre en Birmanie et forme, en se jetant dans l’Océan indien, le vaste delta de Rangoun. Au centre, la Salouen et le Mékong coulent parallèlement, puis se séparent avant leur sortie du Yunnan, l’une pour arroser la Birmanie, l’autre pour déambuler à travers l’Indochine, marquer la limite du Siam et déposer ses alluvions en Cochinchine, non loin de Cholon et de Saigon. Enfin, le Yang-Tsé-Kiang ou Fleuve Bleu, après avoir hésité, finit par pointer vers l’est, et s’allonger à travers la Chine iituuense, pendant plus de 2000 kilomè-tres, jusqu’à Nankin et Shangar.
« Dans leurs cours supérieurs, ces fleuves forment donc quatre entailles, du nord au sud, séparées par des hautes montagnes, des passages élevés, des cols presque inaccessibles en hiver. Quoique des vallées latérales ajoutent à la diversité du sol, il est cependant facile de se faire
une image sommaire de ce pays ».
« De Yunnanfou ou Kunming, la capitale, on gagne Tali au bord du lac, à près de 400 km, dans la direction de l’ouest. A 300 km de là, au nord- ouest: Weisi, dans une vallée latérale du Mékong. Nous sommes au centre de la Mission du Grand-Saint-Bernard ».
« Cette région, montagneuse, sauvage et rude, constitue les Marches Thi-bétaines, sous controle chinois. Une seule chrétienté se trouve dans
le Thibet interdit: Yerkalo, tout au nord, sur le Mékong ».
(Cf. R. Loup, Martyr au Thibet, Maurice Tornay, Chanoine Régulier du Grand-St-Bernard, 1910-1949, Ed. « Grand-St-Bernard-Thibet », Fribourg 1950, pp. 83-85).
b) Du point de vue social et économique.
6. ) Du moment que dans ce chapitre II on entend analyser la réalité d’un monde qui nous est plutôt lointain, un monde dans lequel, cependant, le Serviteur de Dieu a su parfaitement s’intégrer, après avoir présenté la configuration géographique du Tibet, on en présente maintenant l’état socio-économique. Dans ce but, je présente le passage suivant, tiré de l’ouvrage Trente ans aux portes du Thibet interdit, écrit par l’illustre historien, le Père Francis Goré.
« La population est nomade sur les plateaux et sédentaire dans les val-lées. Les nomades vivent presque complètement de leurs troupeaux dont la viande et le lait constituent leur nourriture, les bouses leur com-bustible, le poil et la laine la matière de leurs tentes et de leurs vêtements. Les habitants des vallées, un peu plus favorisés, en même temps qu’ils se livrent à l’élevage, cultivent l’orge et le blé qui sont la base de leur nourriture. Pour tous, une mixture de thé, de beurre et de sel est le breuvage ordinaire qu’ils remplacent parfois par une bière aigrelette ou l’eau-de-vie de grain. Partout aussi on fait une grande consommation de beurre: il entre dans le breuvage, il remplace l’huile d’éclairage, sert à assouplir les peaux et est employé en guise de cosmétique pour conserver aux cheveux leur couleur de jais et en écarter pour un temps les ‘totos’. Cet usage abusif du beurre donne aux Thibétains une odeur ‘sui generis’, qui n’est certes pas celle de la Violette Houbigant et qui a, sans doute, contribué à leur réputation de saleté » (….).
« La population est divisée en six classes: les officiels, les lamas, les tributaires, les fermiers, les esclaves et les mendiants. Parmi les chefs civils, les uns sont héréditaires, les autres sont nommés temporairement par le Gouvernement de Lhassa ou les seigneurs féodaux.
Les fonctionnaires doivent acheter leur place, sauf à rentrer plus tard dans leurs débours par les pots-de-vin ou de toute autre façon. Des vastes propriétés qu’ils font cultiver par leurs administrés leur rap-portent aussi, bon an mal an, d’appréciables revenus ».
« Le peuple est taillable et corvéable à merci. Dans le principe, chaque famille a reçu de son chef un lot de terrain qu’elle ne peut aliéner.
Elle est seulement autorisée à louer les parcelles de terre qu’elle ne peut cultiver. Quant à la corvée supportée en commun par les villages du district, elle est aléatoire et souvent fort lourde. Les corvéables doivent cultiver les propriétés du chef, paître son troupeau, lui procu-rer les animaux de selle ou de bât dont il a besoin, lui fournir l’eau et le bois, etc., sans compensation. En cas de troubles, il lui faudra prendre les armes et rester à la disposition du chef aussi longtemps qu’il le désirera. On comprend qu’avant de mourir, un pauvre hère de Thibétain fasse le souhait de renaître dans la peau d’un fonctionnaire ».
« Le sort des feimiers ne diffère pas sensiblement de celui des tributai-res: ils doivent partager le revenu de leurs champs avec les propriétai-res, tributaires, lamas, qui se reposent sur eux du soin de les cultiver ».
« Les tributaires ou les fermiers qui n’ont pas pu payer leurs dettes ou redevances, entrent chez leur créancier à titre d’esclaves » (….)
« La classe des mendiants se recrute parmi les lamas pauvres, les tribu-taires et fermiers insolvables, les gens avides d’aventures, les meur-triers, les voleurs poursuivis par la justice. A la frontière sino-thi-bétaine, ils s’enrôlent volontiers dans les bataillons chinois ou indi-gènes et, pour la vendetta, louent leurs services au plus offrant. A l’époque où chôme le travail des champs, bon nombre de villageois de-viennent mendiants, pélerins ou brigands de grand chemin, soit pour satisfaire leur piété, soit pour satisfaire leurs instincts de pillards ».
» Les hommes étant presque continuellement sur les routes pour le service de la corvée, leur commerce ou la vendetta, les femmes se livrent au travail des champs. Les gens de métier, maçons, charpentiers, forgerons, tailleurs, orfèvres, corroyeurs et bottiers ne font souvent leur travail qu’à temps perdu. Il n’y a ni boutiques, ni auberges dans les villages, mais on peut se procurer les denrées de première nécessité dans les familles riches et les lamaseries, et le voyageur est bien reçu partout ».
« Au moral, le Thibétain est vif, enjoué et taquin, il aime les longues causeries, la danse et les chants. Il est menteur, têtu et chicanier; s’il se croit offensé, il devient vindicatif et violent. Envers les riches et les puissants, sa politesse confine à l’obséquiosité; envers les faibles, il est orgueilleux et arrogant. Enfin, il boit volontiers le vin fermenté ou distillé, mais n’est adonné ni au jeu ni à l’opium ».
« Quelle est la population du Thibet? A cette question les géographes et les voyageurs répondent un peu au hasard; tandis que les uns n’attribuent au Thibet qu’une population d’un million d’âmes, les autres oscillent entre trois et six millions. Les régions les plus peuplées sont le bassin du Brahmapoutre, de Lhatsé à Tsétong, dont la population est estimée à 250.000 habitants, et le Thibet Oriental. D’après les enquêtes faites par les officiers chinois durant leur occupation, de 1906 à 1918, les territoires soumis naguère à leur contrôle: Chamdo, Tchraya, Guenta, Kiangkha, Kongkio, T’ongpou et Sangai, ont une population de 40.000 familles soit de 200.000 à 250.000 habitants ».
« Si les deux régions les plus peuplées du Thibet n’ont ensemble qu’un demi-million d’habitants, il semble que la population totale du Thibet indépendant ne peut dépasser deux millions ».
« Dans tout le Thibet, il n’y a pas de grand centre. Lhassa, la capitale,
n’a que 8.000 à 10.000 habitants, en dehors des grandes lamaseries de Djrépong et Séra qui sont du reste dans la campagne voisine. Les autres localités les plus importantes sont; Gyangtsé, petit centre de commerce Thihéto-indien; Chigatsé, bourg voisin de la lamaserie de Tchrachi-lhum-bo: Tsétong, village sur la rive droite du Brahmapoutre; Chamdo, dans le Thibet Oriental, point stratégique situé au confluent des deux riviè-res qui forment le Mékong, ne compte pas deux cents feux. Yatong, dans la vallée de Chumbi, et Garthok, dans le Thibet Occidental, ouverts au commerce britanique, ne sont que des hameaux ».
c) Du point de vue religieux.
7.) Au Tibet la religion joue un rôle central dans la vie quotidien-ne, tel qu’on comprend tout de suite combien il est important pour nous de pénétrer dans ce monde singulier, afin de pouvoir comprendre la très difficile réalité dans laquelle le Serviteur de Dieu s’est trouvé à
oeuvrer.
Dans ce but, je montre quelques passages de la biographie écrite par le Professeur Maurice Zermatten et intitulée: Terre de fer et ciel d’airain ou la passion de Maurice Ternay, ouvrage présenté dans les Novissima Additamenta. Les extraits qu’il intéresse de rapporter ici sont les suivants:
« Ce n’est pas par hasard que l’on appelle le Tibet le Pays dPs Esprits. C’est un peuple foncièrement religieux qui mêle au bouddhisme officiel d’antiques traditions animistes. Les lamas ou prêtres, sont présents partout. Le lamaïsme est un régime féodal de moines-soldats, de moines mystiques, de moines chefs d’exploitations agricoles. Ils vivent en demi-communautés, dans les couvents ou dans les villages. Le bouddhisme thibétain est différent du japonais et du chinois. La symbiose entre les pouvoirs civils et religieux est complète. Le peuple est soumis à ses prêtres et travaille pour eux » (….).
« Le bouddhisme se répandit au Thibet sous le nom de lamaïsme. Nous voici loin de l’idéal primitif. Des influences du nord corrompent la doctrine originelle. Les esprits envahissent le monde. Ils se confondent avec les forces de la nature. Le fétichisme se substitue aux valeurs morales et l’effort sur soi-même. Le culte des ancêtres, la sorcellerie, les sacrifices humains remplacent la foi dans les vertus de l’humilité.
Le bouddhisme défendait de tuer même les animaux, de mentir, de voler à autrui son bien (….). Commandements dérisoires pour qui rêve de
richesses, de puissances, de vie agréable, de plaisir. Parmi les lamas, il y a des partisans de la stricte observance, des sages, des mystiques, des ‘saints’. Dans de nombreuses lamaseries, on reconnaît des pares-seux, des luxurieux, des avares, des gourmands, des voleurs, des men-teurs, des brigands, des assassins (….). Quelle est leur foi? Etre lama les met à l’abri du travail. Ils bénéficient des privilèges de la classe religieuse ».
« Malheur aux missionnaires poursuivis par la haine des mauvais lamas ».
« Au bouddhisme thibétain se mélange la foi en un dieu suprême, venu d’une religion primitive pratiquée dans le pays. Vers le milieu du VIIe siècle, le roi Songtsun Gangbo adopta ce bouddhisme dégénéré, mieux adapté à la mentalité d’un peuple de montagnes habitées par les « esprits' ».
« Ce roi avait une femme chinoise, une autre, népalaise, toutes deux bouddhistes. De leur double influence résulta une religion d’Etat fondée sur des traditions thibétaines en des textes sanscrits établis aux Indes. Ce bouddhisme fonde le règne du moine dans le pays tout entier. De nombreux ordres monastiques furent créés. Les lamas eurent la haute main sur les affaires publiques. Leurs castes devinrent omnipotentes durant des siècles ».
« Que reste-t-il de l’enseignement du Bouddha qui prêchait l’abolition des castes? En revanche, la doctrine de la réincarnation des âmes sub-siste ».
« Une réforme de la vie monastique eut lieu au XVe siècle. Elle restaura la discipline bouddhique en instaurant deux, voire trois degrés dans
la hiérarchie des ordres religieux. Il y a des moines de stricte obser-vance: les noirs. Puis les moines officiels qui sont au service du roi; ils portent un bonnet jaune. A l’opposé, il y a des religieux indépendants, les rouges ».
« Au XVIe siècle, l’Abbé d’un monastère, Sonam Gyamtso, reçut le titre de Dalaï-Lama. C’est une réincarnation de Bouddha lui-même. Au siècle suivant, le cinquième Dalaï-Lama commença la construction de l’immense et superbe palais du Potala, dominant la ville de Lhassa, capitale du royaume ».
« Le Dalaï-Lama, vrai chef du pays, fut secondé par le Panchen-Lama, chargé de garder intacte la doctrine religieuse. L’histoire du Thibet montre que les deux chefs pouvaient s’opposer violemment ».
« Pour atteindre la perfection, les bouddhistes thibétains recouraient à des divinités médiatrices, ce qu’excluait Bouddha, confiant à chaque personne la pleine responsabilité de son ascension vers le nirvâna.
Le Thibet devint ainsi la Terre des Esprits. La représentation plastique de ces saints intercesseurs nous les montre épanouis ou furieux. Tels les ont vus les yogis, les sages, déjà avancés sur le chemin de la per-fection » (….).
« Le Dalaï-Lama est donc chef d’Etat en même temps que chef religieux; il s’appuie sur des écrits thibétains, le Mahâ yâna tantriste. Le livre fondamental c’est la Prajaparamita, qui rassemble les paroles du bouddha Gautama données sur le Pic du Vautour, en Inde. Selon cet enseignement, le plus grand péché c’est faire du relatif un absolu. Or, tout est vide. La seule réalité est Shunyata: elle est intemporelle. Il faut s’en approcher par formules sonores dont le sens échappe aux humains. Telle la plus usitée: om mani pané houm, que prononçaient les lamas eux-mêmes sans en comprendre le sens. On la trouvait inscrite le long des pistes suivies par les caravanes ».
« Mystérieux Thibet, religieux Thibet (….). Ce qui passe d’un être mort à un être vivant c’est le karma, ou essence d’âme (….). C’est peut-être ce que rappellent les mots sibyllins ».
« Les lamaseries sont les centres de la vie religieuse. Elles s’instal-lèrent dans des lieux peu accessibles et s’enfermèrent derrière des
murs protecteurs. Au centre, le temple qui domine les demeures des lamas groupées tout alentour. Le dôme couronne la cité composée de maisonnettes en terre battue, blanchies à la chaux. L’architecture utilise de préférence les terrasses. Le temple est précédé d’un vestibule dont les murs sont couverts de fresques aux motifs symboliques. Le plus important est la Roue de la transmigration » (….).
« Chaque lamaserie possède au moins un Bouddha vivant. Il arrive qu’ils soient plusieurs. Le Supérieur de la maison est habituellement gradué
de l’Université. Il est nommé pour trois ou six ans. Un préfet de disci-pline l’assiste, chargé du spirituel et des novices. Il y a aussi un maître de choeur, un économe. Les bonzes ont émis des voeux; les frères- lais s’occupent des besognes domestiques. On recrute en permanence des jeunes gens, voire des enfants ».
« Ces lamaseries sont noires ou jaunes, ou rouges; les rouges reconnais-sent Padma Sambhava pour fondateur, la plupart des membres n’ont pas émis de voeux et vivent en famille aux environs des monastères. Ils se présentent à la lamaserie trois ou quatre fois par an. Ils s’occupent des champs et vont lire des textes religieux chez les particuliers.
Les jaunes représentent l’Eglise officielle. Les lamas sont voués au célibat; ils ne boivent pas d’alcool, ne fument pas, mais peuvent vivre en famille et s’occuper des choses profanes. Un lama peut quitter la vie religieuse; on peut aussi l’en exclure. Il y a aussi des couvents de nonnes ».
« La lamaserie de Karmda dont dépend Yerkalo est jaune ».
« Hors des cadres religieux, il existe au Thibet des sorciers, des sorcières, des marginaux, des ermites et beaucoup de brigands parmi lesquels des défroqués ».
d) Tentatives de pénétration chrétienne.
8. ) Les luttes que les missionnaires catholiques eurent à soutenir au Tibet ont vraiment quelque chose d’héroïque. De fait leurs tentatives furent marquées d’une part par l’énorme résistance que leur ont opposée les lamas; d’autre part par un effort égal, mais opposé, fourni par les missionnaires en vue d’y apporter néanmoins la parole de Dieu. A ce sujet, Robert Loup a écrit ceci:
« Tandis que le christianisme étend ses ramifications sur tout le globe, le Thibet s’y oppose toujours par ses lamas et le caractère théocratique de son gouvernement ».
‘Toutefois, dans les siècles précédents, des missionnaires ont tenté la grande aventure. Ils ont réussi. Vers 1330, saint Odoric de Frioul parvint à Lhassa, la capitale, dont le nom signifie ‘Terre des dieux’ ou ‘Terre des esprits’.
Au XVIIe siècle, un Jésuite portugais, le Père d’Andrada, gagna à sa cause l’un des rois les plus puissants du pays; mais les lamas fomentèrent la révolution: ce fut l’expulsion des Jésuites en 1652. Vingt-cinq années d’apostolat furent ruinées en quelques jours ».
« Au XVIIIe siècle, nouvelle tentative. Le Père Horace della Penna, un capucin, arrive à Lhassa en 1722. Le Dalaï-Lama lui-même, chef religieux, consent à favoriser l’évangélisation des foules. Mais il s’aperçoit, dans les années suivantes, que les chrétiens refusent de recevoir la bénédiction bouddhique. Les juges les arrêtent, leur font donner la bastonnade et les obligent à rendre hommage au Bouddha-Vivant. Les missionnaires doivent quitter la place en 1745. Il ne reste de leur oeuvre qu’une cloche, dans le vestibule du temple de Potala, cette lamaserie-mère de Lhassa; la cloche porte l’inscription: Te Deum laudamus, Te Dominum confitemur.
« Comment donc faut-il s’y prendre pour planter la croix dans un pays où l’autorité bouddhique se dresse de toute sa puissance politique pour bannir ou persécuter le missionnaire? L’entrée par le sud et le Népal apparaît comme peu favorable. Par l’est? Il se trouve précisément, aux portes du Thibet, la province du Sikang, confiée au ministère des Mis-sions Etrangères de Paris. En 1846, Sa Sainteté le Pape Grégoire XVI érige le Thibet en Vicariat Apostolique et charge Mgr Perrocheau d’étudier les moyens et la possibilité de passer la frontière interdite ».
« C’est ainsi que les Pères des Missions Etrangères reçoivent l’une des tâches les plus difficiles et les plus dangereuses: pénétrer dans le Thibet interdit pour y planter la croix. Au cours d’un siècle, ils ont peiné, lutté, souffert, versé leur sang. Dix Prêtres ont donné leur vie pour témoigner de la vérité; plus de dix sont morts au service de Dieu. Cette Société, par son admirable apostolat, par l’héroïsme de ses missionnaires, a bien mérité de l’Eglise ».
« Le Père Alexis Renou parvint à fonder la communauté chrétienne de Bonga. Pour un temps seulement. Cette réussite prend fin par le pillage et l’incendie. Mais en 1865, les Pères Biet et Desgodins entraînent leurs fidèles jusqu’à Yerkalo, s’établissent juridiquement sur quelques lopins de terre grâce à la complicité de la population locale ainsi qu’au si-lence des chefs indigènes. Yerkalo avait été conquis par l’Empire chinois; mais en 1932, une bande thibétaine, soudoyée par un lama, s’empare du district des Salines et le remet au gouvernement de Lassa; ce retour à l’hégémonie bouddhique marque le commencement – ou la reprise – des persécutions. ‘Yerkalo, écrit le chanoine Lattion en 1945, est encore un de ces postes où le martyre peut couronner une vie apostolique ».
Extrait tiré de la radiographie d’une âme
dmc