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LEPREUX DU THIBET PAR LES FMM

A plusieurs reprises déjà, l’intéressante petite Mission de Ta-tsien-lou nous a parlé de ses « plus pauvres » : les chers lépreux. Sans les connaître on s’est intéressé à eux, on les a aimés parce qu’ils souffraient, mais aujourd’hui, devant quelques détails plus précis et navrants, comment ne pas prendre en pitié leur douloureuse détresse.

Souffrance physique et douleur morale plus poignante encore et chaque jour accrues, tout semble s’abattre sur ces pauvres déshérités !… et lorsque las d’être traqués de gîte en gîte, de « trou » en « trou », comme des bêtes malfaisantes ils tombent enfin, maudissant leur « vie d’enfer », le plus souvent ce n’est pas le geste du bon Samaritain qui fait monter un acte de résignation à leurs lèvres tuméfiées, mais plutôt l’insulte, le sarcasme avivent leur désespoir.

Les faits sont là.

Au Thibet, la lèpre marque chaque jour de nouvelles victimes, elle frappe ici et là, et du père, de l’enfant le, plus aimé, elle fait soudain un objet d’aversion.
« Va-t’en lépreux ! » et la porte de la hutte familiale se referme, inexorable sur cet « inconnu » désormais qui essaierait en vain d’attendrir, d’apitoyer. Tentera- t-il une résistance ?

LEPROSERIE DE MOXIMIEN

Les chiens lancés à sa poursuite l’obligent à fuir vers la montagne, à chercher dans l’excavation d’un rocher un abri contre la bise glaciale, contre la randonnée des fauves. Mais demain, la faim tiraillera ce pauvre être affaibli : il faudra redescendre au village qui l’a banni ; heureux hier, il va désormais tendant là main ; ici et là, on lui jette à la hâte une boule de riz pour l’écarter ; ailleurs les portes se ferment brusquement à son approche. Ses forces s’épuisent-elles ?… la colère alors lui donne un regain d’énergie : on lui refuse, eh bien !… il volera ! Il va, il prend n’importe où et n’importe quoi et tant qu’il faut pour assouvir sa faim. Puis le soir, plus aigri, plus lamentable, il reprend le chemin de la montagne. Et de jour en jour le mal fait des progrès rapides ; les plaies s’étalent, se creusent, la souffrance s’accroît tellement qu’un jour le pauvre abandonné — sans ciel au terme de sa triste route — n’a plus qu’une alternative : le fleuve ou le poison.

Parfois même, il n’a pour cela ni l’egibarras du choix, ni le temps de la réflexion : un voisin, un frère « compatissant » lui donne le coup de grâce, pour lui éviter ces interminables souffrances.

X… par exemple, réputé « brave homme », s’aperçut un jour que sa femme était atteinte de l’horrible mal. En secret il lui construisit une jolie petite hutte, l’invita à y entrer, lui servit un dernier festin, puis… fermant soigneusement l’entrée, mit le feu à l’abri… La malheureuse femme fut carbonisée :

« C’est beaucoup mieux que de la laisser vivre lépreuse ! » conclut-il simplement.

La terrible maladie se propage avec une rapidité surprenante, a-t-on dit, et qui s’en étonnerait, lorsqu’on voit ces misérables refluer sans cesse vers le village qui les a bannis, traîner de porte en porte, dans l’espoir d’une aumône, et leurs haillons contaminés et leurs plaies non pansées qu’ils vont ensuite rafraîchir à l’eau du fleuve… Par ailleurs, la population qui vit dans une malpropreté inconcevable, mangeant, dormant pêle-mêle et se passant de génération en génération, peut-on dire, et sans les laver jamais leurs graisseux vêtements de peau de yak, ne se prête-t-elle pas à la contagion ?

Un rayon d’espoir cependant avait lui pour ces infortunés :

« Il y a là-bas, dans la montagne, des vierges qui ont pitié de tous les malheureux, des Religieuses blanches qui soignent et guérissent. »
Et sur cette indication, quelques lépreux se hasardèrent, ils vinrent jusqu’au petit couvent de Ta-tsien-lou, regardèrent sans mot dire les vierges tout absorbées dans leur devoir de charité, laissèrent les mains attentives laver, bandér leurs plaies, et, dès lors, l’étonnement sceptique fit place à une entière confiance : leurs membres rongés faisaient moins mal, et là, tout au fond du coeur, descendait une paix inconnue ; ils avaient trouvé une porte toujours ouverte, une charité toujours accueillante.

Or, un hiver plus que jamais rigoureux, la misère grande pour tous les Thibétains, devint insoutenable pour les pauvres lépreux. Mourant de froid, de faim, ils se traînaient jusqu’au petit couvent, suppliant à genoux les Soeurs de les garder chez elles, de ne pas les renvoyer dans la montagne. Quel coeur de chrétien eût résisté ?…

Et ce soir-là pourtant il fallut leur dire encore : « Il n’y a pas de place ! » En hâte, on éleva, à proximité de l’hôpital une cabane où dès le lendemain les plus malheureux pourraient s’abriter pour mourir. Palais fut-il jamais aussi désiré par son prince ? Avec quelles larmes, quelles supplications les pauvres lépreux imploraient une toute petite place, le moindre coin dans la baraque.

LES FMM

La première à y entrer fut une jeune femme qui depuis longtemps errait de « trou » en « trou », lorsqu’à bout de forces elle échoua à la Mission. Craintive d’abord elle se cachait ; ne serait-elle pas rebutée ici comme elle l’avait été partout ? Une Religieuse la découvrit près de la porte, et doucement l’introduisit au dispensaire. Alors s’enhardissant, elle laissa tomber les affreux chiffons qui enveloppaient sa pauvre jambe : du genou au talon ce n’était qu’une plaie morte où grouillaient des milliers de vers !…

La pauvre païenne, muette d’étonnement, suivit chaque geste de l’infirmière qui lavait et pansait ses plaies, mais quand elle se sentit couchée dans un vrai lit, elle déclara n’avoir jamais été « aussi heureuse. »

Ce même jour, quelques nouveaux du dispensaire dirent aux Religieuses :

La vieille X… se meurt là-bas dans la montagne.»

A l’instant même on se fit indiquer la route, un lépreux s’offrit pour guide et deux Missionnaires, accompagnées d’un domestique partirent. La neige entrait en tourbillon dans la « demeure » de la pauvre femme, et pourtant elle gisait là, glacée sous un tas de chiffons, mais respirait encore .

Alors, sans perdre un instant, un brancard est ajusté, le pauvre squelette posé dessus avec des précautions infinies puis… en ronte vers la « léproserie » de fortune… Mais que de soins, que d’efforts pour réchauffer un brin de vie dans les membres raidis de la pauvre moribonde. Enfin elle ouvre les yeux… on épie l’instant pour lui parler de DIEU.

« Le bon DIEU ?… mais oui ! je sais qu’il y en a un ; une” sainte Vierge aussi, à qui tous les jours je dis des Ave Maria… Un jour on a fait couler l’eau sur mon front, je suis enfant de l’Église. » Et sa foi était vive, son désir de DIEU ardent ; MARIE qu’elle avait fidèlement invoquée la conduisait au port. L’absolution rendit à la malheureuse sa blancheur baptismale et le lendemain, l’âme de la pauvre vieille lépreuse quittait son corps en lambeaux pour revêtir au ciel l’éternel vêtement de gloire.

Puis, ce fut une malheureuse qui se traînai sur ses plaies vives pour arriver jusqu’à la petits maison. Son stage ne devait pas être long pourtant. Elle vint tout juste pour savoir qu’il y un ciel, se l’assurer par le baptême, et mourir ei promettant que dans ce beau ciel elle n’oublierai pas ses frères de souffrance.

La quatrième reçue à la léproserie fut une toute petite, dix ans à peine. Elle vivait heureuse avec sa mère dans la montagne ; et ici encore, quand la lèpre apparut, l’horreur instinctive du mal triompha de l’amour maternel…

« Tu es lépreuse, tu ne peux rester ici. Va là- bas à Ta-tsien-lou, il y a des étrangères, des vierges qui te soigneront. »

L’enfant éclata en sanglots et de toute la force de ses petites mains se cramponna au bras de sa mère. Un brusque mouvement la repoussa, la jeta dehors, et pas une fois dans la nuit, les plaintes de la petite victime n’obtinrent la moindre réponse. Au matin, elle partit. Où allait-elle ?… Elle l’ignorait… mais sur sa route rencontrant d’autres malheureux, l’enfant les suivit et parvint ainsi à la cabane hospitalière. Timide et tremblante elle n’osait se montrer, crier sa misère, mais lorsque la Religieuse s’approcha :

« Oh ! pitié, gardez-moi, supplia l’enfant, j’ai beaucoup marché, je suis si petite… j’ai si mal… et… maman m’a chassée ! »

Pauvre chère petite, à cette heure même la Providence lui donnait de vraies mères !

« Et moi aussi je souffre  laissez-moi me reposer chez vous quelques jours, oh ! quelques jours seulement ! » Et la pauvre vieille dont l’oeil rongé par l’impitoyable mal n’offre plus qu’une cavité qu’on ne peut regarder sans frémir, tend avec désespoir ses mains tout aussi ulcérées.,.

Et une place de plus est prise, et le lamentable défilé n’arrête pas. Comment ne pas se laisser vaincre ? Et les Missionnaires acceptent. encore
pour quelques jours » et ces quelques jours deviennent des mois.

« Kounénées, on est si bien chez vous !
— Sans vous nous serions mortes de froid et de faim !
— Dehors on nous méprise, on nous insulte !
— Oh ! Kounénées, quelques jours encore!
— Dans la montagne on est si malheureux. »

Et la Missionnaire, heureuse d’être « par la force des choses » — oh non ! par choix divin servante des lépreux, ne peut que leur répondre :

– Eh bien ! soit… Restez… quelques jours encore ! »

Et maintenant, la cabane trop petite est toujours pleine ! toujours quelques mourantes, plusieurs infirmes et d’autres qui, moins impotentes, voudraient « aider les Soeurs. » Pour cela elles vont par bandes dans la montagne, y cherchent du bois, des herbes médicinales et surtout excellent à découvrir cette terre jaune, si précieuse au Thibet, avec laquelle on bouche les trous et les fissures qui laissent pénétrer le froid. Et ce travail-là, elles le font de si bon coeur !

Mais que dire de l’étude du catéchisme ? Leur application Est telle que plusieurs déjà, et parmi elles la « si petite » ont été admises au baptême.

La Mission de Ta-tsien-lou se souviendra longtemps du jour heureux où quatre pauvres créatures s’agenouillèrent au pied de l’autel. Le reflet de la grâce baptismale transfigurait leurs visages déformés, et sous l’impression de ce bonheur si grand, la Missionnaire pouvait écrire

« Vraiment, vétues de leur simple robe de cotonnade bleue, elles étaient belles ce jour-là nos chères lépreuses ! »
Et la Communion qui suivit tut, dans cette humble chapelle, quelque ‘chose de si prenant, qu’une autre jeune Religieuse écrivait après la cérémonie : « Ne serais-je venue que pour cela à Ta-tsien-lou, j’en remercierais le bon DIEU toute ma vie ! »   (…)

Les voilà chrétiennes, ces lépreuses, les voilà convives du Banquet eucharistique, mais ce n’est pas. assez : à leur tour elles seront apôtres.

La montagne n’a plus de secret pour elles, elles en connaissent tous les « trous », et dans leur zèle de néophytes, elles la fouillent en tous sens, anxieuses de trouver quelque pauvre mourante.

Un jour la « si petite » — car maintenant l’appellation lui est restée — sollicita, elle aussi, la faveur d’entreprendre la course charitable. Il faisait bien froid, mais elle voulait chercher « une âme » et toute joyeuse partit… Elle allait, devançant ses compagnes, quand soudain un gémissement l’arrêta : à l’entrée d’une tannière, un être humain agonisait… Alors doucement, réclamant aux autres femmes le droit d’être missionnaire auprès de sa « trouvaille », l’enfant se rmit consoler la mourante, à lui parler de DIEU, du ciel, du baptême. Oh ! le baptême, combien sa petite main innocente brillait de le donner… mais… le pouvait-elle… elle… pauvre petite lépreuse ?…
« Cela, c’était l’affaire des Kounénées.»

Et aussi vite que le lui permettait sa faiblesse, .« si petite » courut au couvent, dire aux Religieuses que sa. catéchumène devait être baptisée le jour même.

Conduites par elles, les Missionnaires arrivèrent   (…)

Ce jour-là, le fleuve grondait comme une ni en furie. La pauvre femme le vit et frissonr Elle saisit cependant les anneaux et s’élan dans le vide. Un instant… et l’un de ses doig tordu par la lèpre, cède, puis le second… le tri sième. La malheureuse se raidit, crispe sa main affaiblie. Inutile !… une seconde encore… et c’est fini. A ses appels désespérés répondent les cris de sa compagne restée sur le rivage. Les passants s’arrêtent… ricanent :

« Oh ! voilà qui est bien ! une lépreuse de moins … qu’elle meure, c’est ce qui peut lui arriver de mieux ! »

Un jeune Missionnaire vient à passer. Sans perdre un instant, il s’élance lui aussi au-dessus de l’abîme et parvient à grand’peine à retenir l’imprudente, à la ramener au rivage.

DES LEPREUX AVEC DEUX FRERES FRANCISCAINS

« Quel fou, cet Européen ! criaient les gens attroupés, risquer ainsi sa vie pour une « sale lépreuse ! » Elle serait bien mieux au fond du torrent !… risquer de prendre la lèpre… quel fou !… »

Cet « acte de folie », inspiré par l’amour des âmes, ne sera certes pas le dernier, et si « le rêve » se réalise un jour, les païens stupéfaits s’exclameront encore :
« Et cela pour des lépreux !… Mais ils sont fous !… »

Voici : Ces jours derniers un nouvel édit parut. Le mandarin, cédant aux instances de quelques mécontents, donna ordre à ses soldats de faire une « battue générale » dans la montagne, de rechercher tous les lépreux en les sommant de disparaître dans les 24 heures sous peine d’être fusillés.

Ce fut un exode en masse vers le couvent. Pauvres lépreux, que venaient-ils y faire ? Kounénées, prenez-nous, cachez-nous ?

— Mais, malheureux, n’est-ce pas ici tout d’abord qu’on viendra vous chercher ?… Fuyez plutôt !… »

Dans leur terreur ils ne pouvaient comprendre que les héberger tous était chose matérielleinent impossible.

Cruelle alternative ! Les renvoyer, c’était par ailleurs les vouer à la mort, car tous ceux qui allaient être trouvés seraient enfermés dans une ‘maison pour y mourir de faim, ou bien tués sur place…

Et cette fois la Missionnaire vit ses pauvres lépreux repartir mornes comme des condamnés. Avec une indicible angoisse, se sentant impuissante à les sauver, elle les confie à Celui qui n’achève pas le roseau à demi-brisé, et son regard pensif fixe un instant la montagne qui, demain peut-être, entendra les derniers râles des victimes.!

Ah ! une simple petite léproserie, la première au Thibet, là-bas, sur ce pic solitaire, bien loin du centre pour ne pas donner le mal à d’autres, bien modeste aussi mais assez vaste pourtant pour ne plus jamais refuser ceux qui viennent crier : Pitié !… Mon DIEU, c’est si peu, et c’est «le rêve ».

Pour qu’il se réalise ce rêve, que faut-il donc ? Les devis de la simple stratégie humaine réclament des fonds pour bâtir, des fonds pour la subsistance de chaque jour, et les devis de la charité divine demandent à leur tour, un Prêtre de plus et quelques Missionnaires soutenues dans leur humble labeur par l’inlassable secours de la pitié chrétienne.

 EXTRAITS tirés des ANNALES des FRANCISCAINES MISSIONNAIRES DE MARIE – janvier 1927

DMC en la fête de Saint THEODULE  2015