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LETTRES D’ A.D.N. A SON MARI (« Mouchy ») (Extraits choisis)

Lettre du 7 décembre 1913 (Gangtok) : « Mes projets, tu les connais : séjourner un peu au Tibet, si on me le permet. Y compléter mes études tantriques et puis partir pour le Japon et finir là mon cycle d’études comparatives du bouddhisme du Nord et du Vedanta. Ce qui signifie un an, dix-huit mois et signifie aussi être, au retour, un personnage de quelque importance dans le monde orientaliste. De ceci, je l’avoue, j’ai peu de soucis si ce n’est que cette petite notoriété peut me faciliter les moyens de faire connaître des idées qui me sont chères. Tu es, mon très cher, la seule raison qui m’attache au monde. »

Lettre du 27 mars 1914 (Gangtok) : « Ce n’est pas, mon grand cher, que je manque d’affection pour toi. Je t’aime mieux et plus profondément que jamais, non seulement mue par la reconnaissance que je te dois mais parce que je te comprends mieux qu’autrefois. »

Lettre du 27 avril 1914 (Gangtok) : « Tu me juges sévérement mon ami. Tu dis : « Ton indifférence au besoin d’affection tient à ce que tu la remplaces par le plaisir d’être adulée, vénérée, de jouer au saint, à l’apôtre. Si respect et admiration venaient à te manquer, alors tu sentirais le vide. » Je crois que tu te trompes, Mouchy. »

Lettre du 1er juin 1914 (Gangtok) : « J’avoue que je me suis méprise sur les mobiles de ta conduite depuis mon départ pour ce voyage. Je croyais qu’avec le temps, avec l’âge, la réflexion t’était venue, que tu avais enfin compris l’abîme de tortures morales que tu m’avais jetée autrefois, que tu avais songé à ces quatre années passées à la Goulette et durant lesquelles ma raison avait presque sombré. Je croyais que tu t’étais resouvenu des humiliations calculée, abusant de la situation difficile où je me trouvais alors. »

Lettre du 31 octobre 1917 (Pekin) : « Ce qui rend la vie en commun odieuse, c’est que les gens se gênent mutuellement. Il faut se voir lorsqu’on le désire et s’isoler quand on le souhaite, mais non la corvée de faire, l’un et l’autre, exactement la même chose à la même heure dite. Mais nous avons du temps devant nous pour parler de tout cela. »

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Lettre du 28 septembre 1923 (Likiang) : « Je repars demain pour Tzedjrong, un hameau situé sur la rive droite du Mékong où réside l’abbé Ouvrard. Dans son voisinage demeurent deux autres prêtres français : l’abbé André et l’abbé Ginestier (recte Genestier). Comme compensation pour le meurtre de deux prêtres à Atunze ( ?!?) il y a une dizaine d’années( ?!?), la Mission française a obtenu un vaste territoire( ?!?). Les indigènes du pays sont des Loutzés et des tibétains ; la région est située entre la frontière de la Birmanie et celle du Tibet au nord. Je compte arriver à Tsedjrong dans une dizaine de jours si rien ne me retarde en route. »

Lettre du 23 octobre 1923 (Tsedjrong) : « Je me suis abrité pendant deux jours dans la maison en cours de construction, que les protestants font bâtir à Weishi. Il y avait tout juste le toit et les murs. On m’a trouvé d’autres porteurs et je suis repartie avec ceux-ci qui m’ont emmenée à Hsiao Weishi (le petit Weishi). Là, je me suis arrêtée chez un prêtre catholique chinois qui a cherché à me procurer de nouveaux porteurs, les miens n’allant pas plus loin. » (…) « Le lendemain de mon arrivée chez le P. Ouvrard (un Vendéen voisin de la famille de Clemenceau) est arrivé un botaniste américain que j’avais déjà rencontré à Likang ( il s’agit, elle ne le dit pas et pour cause, de Joseph F. ROCK). Sa venue m’a retardée car je ne voulais pas partir avant lui afin de ne pas risquer de recevoir l’offre embarassante d’excursionner avec lui. Le monsieur est au service du gouvernement américain pour des recherches de plantes à acclimater aux Etats-Unis. Il touche un salaire princier et, en même temps, photographe pour la société de Géographie de Washington. Il m’a assurée que cette société serait heureuse de publier des articles de moi sur le Tibet et m’a donné deux lettres d’introduction pour son président et vice-président. Je verrai, au printemps prochain, à les utiliser. J’ai appris par le P. Ouvrard que le dollar était revenu au taux de 18 F – ne se trompe-t-il pas ? Notre franc est d’après lui, plus déprécié qu’il ne l’a jamais été (…) »

Lettre du 28 février 1924 (date approximative)(Lhassa) : « Je compte quitter Lhassa à bref délai. La ville est sans grand intérêt. Je suis rassasiée des visites aux lamaseries ; j’en ai tant vu ! … Le fameux temple du Djo-o n’a rien de merveilleux. Le palais du Dalaï Lama dont la décoration intérieure, très riche en certains endroits est entièrement de style chinois mais n’a rien de très particulier. En ville, les boutiquiers, en fait d’objets exotiques, étalent des piles de casseroles en aluminium … c’est plutôt déconcertant. Mais je n’avais aucune curiosité au sujet de Lhassa. J’y suis allée parce que la ville se trouvait sur ma route et aussi parce que c’était une plaisanterie bien parisienne à faire à ceux qui en interdisent l’accès. »

DMC en la fête de St Nicolas 2013