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MARTYRE DUBERNARD par Théodore MONBEIG

RECIT DU MARTYRE DU PERE DUBERNARD 25 OU 26 JUILLET 1905

Nous espérions tous que l’orage se calmerait;

malheureusement, il n’en devait pas être ainsi, et nos stations du Yunnan devaient avoir le même sort que celles du pays Bathang. Notre vénéré supérieur et M.Bourclonnec étaient les victimes choisies par Dieu dans les desseins insondables de sa miséricorde. Les lamas des bonzeries d’Atentsé et de Hampou voulurent en finir une bonne fois avec la religion catholique et ses ministres. Ils eurent de la peine à faire marcher le peuple à leur suite, mais le siège de l’armée chinoise dans Atentse fut le signal de la levée en masse.

Cependant, si à ce moment nos confrères avaient fui; ils auraient pu échapper Mais ils furent trompés par le maire du pays qui a déjoué ainsi leur prévoyance. Le 19 juillet, les Pères avertis du danger se réfugient avec un Anglais et leurs chrétiens dans les montagnes au nord de Tsékou. Le lendemain, les lamas et leurs thibétains furieux de ne pas les trouver chez eux, les pourchassent à travers monts et vaux. M Bourdonnec, plus agile que le Père Dubernard, put suivre les bords du fleuve avec quelques chrétiens sans être arrêté. Il était arrivé près de Yetché et il était sauvé, quand des indigènes vendus aux lamas le conduisirent dans une embuscade où il meurt sous les balles des thibétains, le 22 juillet 1905. Sa tête, son coeur et son foie sont apportés aux chefs de la révolte. L’Anglais après avoir erré huit jours dans les montagnes, réussit à passer les lignesennemies et arriva à Yetché, sain et sauf.

A la première poursuite des lamas, le bon M.Dubernard était avec quelques chrétiens qui le traînaient par la main à travers les montagnes. Quand ils voient les soldats, les chrétiens abandonnent le Père, qui d’ailleurs, les suppliait de le laisser tout seul. Il s’agenouille auprès d’un arbre pour attendre la mort; mais les soldats ne le virent pas. Le lendemain quelques chrétiens lui apportent un peu d’eau et de nourriture, puis trois lyssous qui rôdaient pour dévaliser les chrétiens le conduisirent dans leur village où ils le firent coucher une nuit. Craignant la venue des Thibétains, ils le transportèrent dans une grotte sur la lisière de la forêt. Là, durant deux jours, le vénérable vieillard consolait les chrétiens qui venaient auprès de lui, leur distribuait le peu d’argent qu’il avait sur lui et les renvoyait après une dernière absolution  Lui seul voulait porter la croix et y mourir s’il le fallait. Oh! Quelle ne dut pas être l’angoisse de ce bon Père au coeur si sensible en voyant ses pauvres enfants s ‘éloigner tout en larmes! Quels ne furent pas aussi ses ardents désirs de donner son sang pour eux, pourvu qu’ils sauvent leurs âmes et leurs corps.

Après le massacre de M. Bourdonnec et de deux chrétiens, les Thibétains s’étaient réunis à Tsedjrong pour consulter et connaître la retraite du Père Dubernard. Ils en furent instruits probablement par un chrétien apostat et aussitôt se mirent en route pour Lumelo. Arrivés à une centaine de pas du lieu où se trouvait le missionnaire, la fitsillade commence. A la première décharge, un chrétien est atteint légèrement à la main. Le Père dit à tous ses chrétiens de prendre la fuite et de le laisser tout seul, et tombe à genoux. Raymond avec sa famille reste quand même et un de ses enfants est blessé au pied par une balle. Alors les Thibétains se précipitent sur Raymond et le tuent à coup de sabre. Ils se saisissent également du Père et l’enchaînent après l’avoir frappé en proférant des menaces de mort.

Jusque là notre vénéré Père Supérieur avait souffert à cause des chrétiens dispersés. En ce moment il rentre dans la voie douloureuse du Calvaire : les bourreaux l’accablent de coups. Les insultes, les quolibets et les blasphèmes contre Dieu pour lequel il souffre ne lui sont pas ménagés. On le force à marcher pieds et tête nus. Pendant que les cailloux et les épines lui meurtrissent les pieds, les bourreaux ne cessent de lancer sur sa tête vénérable de petites pierres qui font jaillir le sang à chaque fois. Ne pouvant marcher, on le porte, car il faut qu’il vive jusqu’à Atentse où il doit être tué devant tout le peuple; il y a lieu pour cela de repasser le fleuve; mais arrivé au bord du fleuve On s’aperçoit que la corde de bambou qui aide à le traverser a été coupé.

Le père est alors lié à un poteau au milieu d’un champ, entouré de ses ennemis; la femme de Raymond, emmenée par les Thibétains, parvient à lui procurer une tasse de thé. Toute la nuit, lamas et thiétains ne cessent de se jouer de lui: ils lui demandent où est son Dieu qu’il disait si puissant, à quoi pouvaient lui servir ses longues prières. Ils lui proposent plusieurs fois l’apostasie « Récite avec nous « Om Mané pedmi houm » (formule de prière rappelant les principaux articles de la croyance bouddhique, que les thibétains répètent sans cesse sur leur chapelet) et nous te ferons notre chef »; le vieil apôtre indigné leur présentait sa tête blanche, les priant de la trancher car jamais il ne renierait son Dieu. La conversation suit au cours de laquelle le vénéré Père prêche tous les points de religion à ses bourreaux. Après avoir confessé humblement son Dieu, le vieillard demeure en prière au pied de son poteau, tandis que les Thibétains s’endorment autour de lui. Quel spectacle admirable! D’un côté la force brutale et sanguinaire insultant Dieu et son témoin, de l’autre un vieillard faible, meurtri de coups et cependant fort dans la foi, refusant de racheter sa vie par une ignominie, prêchant à ses bourreaux la foi éternelle du Dieu pour lequel il est enchaîné et en témoignage duquel il va verser son sang. Cette scène ne rappelle-t-elle pas les « Actes des Martyrs » de la primitive Eglise? Et ne voit-on pas se réaliser encore la sublime parole de saint Paul « Verbum Dei non est alligatum» (La parole de Dieu ne connaît pas de liens).

Le lendemain, jour du sacrifice, les Thibétains remontent la rive droite du Mékong, ils font porter le Père par des lyssous car ils tiennent absolument à le conduire à la lamaserie d’Atentsé. Mais au bout d’une vingtaine de lys, les porteurs refusent d’ aller plus loin. On était sur la rive droite d’un torrent qui se jette dans le fleuve à cet endroit la dernière heure de notre bien aimé père est arrivée. Deux hommes aiguisent leur sabre tandis que les autres dépouillent le martyr et lui attachent les mains derrière le dos. M.Dubernard tombe à genoux et fait sa dernière prière, il supplie ses bourreaux de lui laisser sur le corps sa chemise et son pantalon, et il tend son cou au sabre qui doit lui ouvrir les portes du Ciel. Cependant avant le coup fatal. les lamas lui proposent encore l’apostasie. Il répond en demandant sa croix qu’on lui a enlevée la veille. Pour toute réponse sa tête roule au troisième coup de sabre. Les Thibétains recueillent le sang, arrachent le coeur et le foie qu’avec la tête, ils portent à Atentsé: Les lyssous creusent une petite fosse sur la rive du fleuve et y déposent les restes du martyr qu’ils recouvrent d’une légère couche de terre »…

dmc en la fête de Saint Etienne 2016