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TEMOIGNAGE DE NICOLAS BUTTET

Les Marche tibétaines, une région en pleine croissance spirituelle et économique

«Dites-moi, n’aimeriez-vous pas descendre dans le vallon d’Allo, noir de forêts, sauvage comme un désert, parcourir les rives escarpées de la Salouen, grimper les rochers, la tête lourde comme du plomb, la bouche chauffée comme un brasier, éreintés jusqu’à marcher à quatre pattes, oui, mais aussi de ces pointes et de ces creux, faire surgir des clochers, cou¬vrir le tonnerre des fleuves par celui des cantiques et mourir inconnus et ridicules, dans la nuit d’un village, au milieu des sauvages, à genoux. Voilà le pain qui nous attend. Qui en veut? Je n’ai pas encore bien goûté son aigre saveur, mais je n’en sais pas non plus de préférable. Ou bien, il pourrait se faire aussi que l’on courre sans résul¬tat, sans voir les clochers, sans entendre les cantiques; mais il me semble que courir pour Dieu est une oeuvre morale assez grande et assez belle en elle-même, pour se passer de résultat, si la chose était possible»1  (Bienheureux Maurice Tornay, lettre 69 à ses confrères, Ecrits valaisans et tibétains, Brepols 1993, p. 112)

Les cloches sonnent et les cantiques résonnent!

Le Bhx Maurice espérait entendre les cloches et les cantiques capables de couvrir le rugissement des fleuves, du Mékong (Làncâng Jiâng en chinois ou rDza-chu en tibétain) et de la Salouen (Nù jiâng en chinois et rGva mo dNGul chu en tibétain). Les fleuves rugissent toujours mais les cloches sonnent et les cantiques résonnent dans les vallées et les coteaux! L’espérance exprimée par Bhx Maurice est réalisée: la vie de foi est établie dans cette région du Yun¬nan. Le Sang des martyrs est semence de chrétiens, disait un Père de l’Eglise, Tertullien. Cette sentence est une fois encore attestée dans cette région si attachante par la qualité de ses habi¬tants et la beauté de ses paysages.

L’oeuvre missionnaire des MEP (Missions étrangères de Paris) et des chanoines du Grand Saint-Bernard a donc porté son fruit. Des milliers de catholiques (environ 12 000) — sans compter les milliers de protestants (majoritairement évangéliques) -habitent cette région et font rayonner l’Evangile dans ces contreforts de l’Himalaya.
Pendant plus de 50 ans, Le miracle fut sans aucun doute celui du maintien de la foi parmi les populations locales, malgré les persécutions, les difficultés multiples rencontrées par les croyants et les contrariétés administratives. Malgré aussi l’absence de prêtres… les plus «tordus» diraient: grâce à l’absence de prêtres! il est clair que les laïcs ont dû prendre sérieusement en charge la prière et l’évangélisation, la catéchèse et l’annonce du mystère chrétien. Ils l’ont fait de façon admirable et parfois héroïque. Ce qui les a tenus, ce fut une fidélité indéfectible à l’Eglise ainsi qu’à la prière personnelle et commune. On pense bien sûr à Zacharie et à toute sa famille que l’on rencontre partout dans la région. Mais il faut ajouter tant d’autres hommes et femmes qui gardèrent le trésor de la foi catholique apporté par les missionnaires et qui surent le transmettre aux nouvelles générations. On pense bien sûr au Père Che Kuang-Yong qui a été ordonné prêtre en 1987, à l’âge de 62 ans, après 20 ans de camp de travaux forcés.

Un renouveau de la foi

Les choses ont changé. Le tournant en Chine a eu lieu durant les années de pouvoir de Deng Xiaoping. La région compte désormais 5 jeunes prêtres autochtones. Si je disais que les laïcs avaient assumé seuls la garde du dépôt de la foi durant des décennies, aujourd’hui, ceux-ci se réjouissent tellement que des enfants de leurs propres communautés soient désor¬mais habilités à leur apporter les sacre¬ments de l’Eglise.

Le Père Ding Ampoloshou. le plus chinois des Tibétains ou plutôt des Nus! Il fut ordonné prêtre en 2005 par Monseigneur Li du diocèse de Xian. Il réside dans un petit village, Alulaka, où il prêche avec parfois un accent un peu janséniste! Le Père Hu François, dominicain ordonné à Hong Kong mais appartenant à la Province dominicaine des Philippines. Ce fut le premier prêtre vraiment missionnaire de la région. Il est parti de Manille voilà 5 ans et s’est installé discrètement à Gongshan tout en rayonnant dans toutes les paroisses. C’est un petit-fils de Zacharie.

Je l’ai connu lors d’un camp de jeunes qu’il organisait dans les montagnes pour éviter les problèmes avec les autorités. Ce camp durait 15 jours. Il attendait 15 jeunes… ils furent plus de 60 à y participer! Quand je l’ai croisé sur le lieu du camp. je lui ai demandé s’il avait besoin de quelque chose. Il me répondit humblement et paisiblement: «Oui de nourriture, nos réserves arrivent à bout et il nous reste encore 10 jours de camp!» On s’organisa donc pour nourritr toute cette jeunesse affamée!

Ordination des trois prêtres

Trois autres jeunes prêtres ont été ordonnés en 2015. Le Père Guo Joseph, le Père Ma Joseph et le Père Chen Jean. L’ordination a eu lieu dans le Nord de la Chine, à Qiqihaer par Monseigneur Wei du diocèse de Qiqihaer, un évêque en lien avec le Saint-Père. Il faut souligner que la situation locale est difficile dans son lien avec l’Eglise universelle.

Le père Laurent Zhang Wen-Chang était administrateur apostolique pour les diocèses de Kunming, Dali et Zhaotong depuis 2000, après avoir passé 20 ans dans des camps de travaux forcés (1962-1982) pour «activités contre-révolutionnaires». Le père Laurent Zhang est décédé à l’âge de 92 ans en 2012.

Après sa libération, il a vécu comme ouvrier pendant 7 ans. Il a été placé sous surveillance constante de la police, vivant toutes ces épreuves avec un courage extraordinaire et une joie rayonnante et communicative. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, je vou¬lais concélébrer la messe avec lui dans son petit appartement d’un immeuble pauvre de Kunming. Je me suis rendu compte, en arrivant sur place, que la police m’avait repéré, ce que je me suis empressé de lui dire après les saluta¬tions d’usage. Il a alors éclaté de rire, m’a conduit à la fenêtre et m’a montré plusieurs personnes en me disant, dans un excellent français appris 50 ans plus tôt avec les MEP: «là, la police, ici police, partout police!» Puis voyant mon inquiétude, il me demanda sérieu¬sement: «vous avez peur?» Je luis répondis: «non, pas tant pour moi… mais pour vous». il éclata encore de rire et me dit: «que voulez-vous qu’ils me fassent? Qu’ils me mettent en prison? Ils ont essayé de me rééduquer pendant 20 ans, ils n’ont pas réussi. Ils peuvent continuer s’ils le veulent… Je suis… comment dit-on en français… têtu? Oui c’est cela je suis têtu! Ils ne me change¬ront pas!» Cela s’appelle la fidélité dans la confession de la foi! A sa mort, les catholiques du Yunnan se trouvèrent orphelins d’un vrai père attentionné. Ils avaient aussi perdu un témoin crédible et courageux, une référence morale et spirituelle.

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LAURENT ZHENG WENCHAN

Le 30 avril 2006 un évêque «gouvernemental» avait été ordonné, le R Joseph Ma Yinglin. Il fut donc immédiatement excommunié par Rome. La cohabitation avec Mgr Laurent Zhang fut difficile, on s’en doute. Mais l’autorité de Mgr Zhang étant alors incontestée parmi les fidèles, Ma Yinglin ne pouvait rien faire. A la mort de Mgr
Zhang en 2012, Ma Yinglin a essayé d’asseoir son pouvoir. Il faut dire que Ma Yinglin est vice-président de l’Association patriotique des catholiques de Chine, l’institution gouvernementale qui essaie de diriger l’Eglise «officielle» chinoise. Le statut de Ma Yin¬glin demeure un des grands points de discorde entre Beijing et le Vatican. Le 24 mai 2016, Ma Yinglin a ordonné neuf prêtres. Il l’avait déjà ordonné 6 prêtres en 2012. 4 des diacres présentés pour l’ordination à cette époque ne voulaient pas être ordonnés par Ma Yinglin. Il furent alors amenés par la police à la cathédrale pour la célébration!

Un esprit missionnaire.

Les 4 prêtres les plus jeunes — François, les deux «Joseph» et Jean — ont une activité missionnaire extraordinaire! Durant ce même camp de jeunes dont je parlais précédemment. P. François qui était dans le petit village d’Alolaka avec le camp des jeunes. Un soir, vers19.00, il m’annonce qu’il doit aller trouver une personne mourante. Il devait descendre à pied (2 heures) puis un voyage en moto (1 heure) afin de rejoindre le village de cette personne. Après cette mission, il devait remonter la nuit (1 heure de moto et 3 heures de marche) pour être présent à 06.30 le matin afin de rejoindre les jeunes du camp pour la prière!

Tous ont le souci de transmettre la foi. Leur effort est donc mis sur la catéchèse, le renouvellement de la liturgie et la vie intérieure. Les fidèles de la région ont gardé une pratique de piété admirable. Aujourd’hui les jeunes qui font plus d’études et sont confrontés au monde extérieur ont besoin de bases plus solides pour rendre raison de l’espérance qui les habite. Je me souviens des heures de discussion avec un haut fonctionnaire de la région automne du Tibet, lui-même catholique ayant épousé une femme bouddhiste. Il me faisait part de son inconfort devant le peu d’approfondissement de sa foi catholique, notamment face à son admirable épouse très engagée dans le bouddhisme.

Leur mission commence à porter du fruit. Dans la région de la Salouen, il y a une dizaine de baptême d’adultes par an et une vingtaine de baptême de nouveau-nés. Ce nombre augmente d’année en année. Ces prêtres desservent 16 églises avec souvent plu¬sieurs heures de voyage d’une paroisse à l’autre. Ils se rendent régu¬lièrement à Yerkalo, dans le Tibet politique, la paroisse du Bhx Maurice Tornay. Leur mission les conduit occasionnellement à Lhassa, la capitale du Tibet. 3 jours de route pour aller rencontrer les quelques catholiques qui s’y trouvent et célébrer avec eux les sacrements.

Plusieurs églises ont été recons¬truites ou sont en reconstruction. La grande église de Dimaluo (Chuni) dont nous avons pu assisté à la bénédiction. Deux mille personnes étaient présentes avec leurs costumes traditionnels. L’église de Kienatong est en pleine construction. Nous avons eu la joie de participer deux jours aux travaux avec les villageois qui ne ménagent pas leurs efforts pour cette construction, car tous les travaux sont effectués par les fidèles eux-mêmes.

L’ancienne église en bois de Bai¬hanlu (Bahang-dmc) a été entièrement rénovée avec beaucoup de finesse et de goût. Des travaux vont commencer pour d’autres églises. Grâce à un généreux donateur valaisan. les communautés locales ont pu acheter une grande retro qui leur permet d’effectuer tous les travaux de terrassement.

De nouveaux chantiers missionnaires

Guy, le fils de Zacharie, qui était le responsable laïc dans la région de Gongshan, parla un jour à son frère Adam au sujet d’une région voisine dans la vallée de la Dulong, à la frontière entre la Chine et la Birmanie/ Myanmar. Une ethnie — les Derung ou Dulong — vit dans cette région coupée de la Birmanie par une frontière politique stricte et du Yunnan par une bar¬rière de neige de 4 à 6 mois par an. Guy voulait que son frère — marié et père de famille — aille apporter la joie de ‘Evangile à ces personnes. Adam quitta donc sa ferme et partit pour cette mission. Il apprit la langue des Dulong et annonça Jésus. 5 ans après, dans la nuit de Pâque, il eut la joie de célébrer lui-même le baptême de 30 personnes, tous des paysans pauvres. Une petite grange transfor¬mée en chapelle leur sert d’église et de lieu de prière. J’ai rencontré ces personnes aujourd’hui si fières de leur foi chrétienne.

Les jeunes prêtres envisagent maintenant de poursuivre ces mis¬sions de première évangélisation auprès d’autres minorités ethniques.

Le développement des infrastructures.

Depuis mon premier voyage en 2001, le développement des infras¬tructures a été prodigieux. Nous voyagions alors sur des pistes sou¬vent coupées par des chutes de pierre ou des éboulements. A chaque nouvelle pluie il fallait s’attendre à des interruptions de voyage pour déga¬ger la route à coup de rétros ou de dynamite! Plusieurs fois au cours d’un trajet, nous descendions du bus pour prévenir quelque accident possible ou le glissement du véhicule en direction du Mékong ou de la Salouen. Actuellement presque toutes les routes sont goudronnées. Des tunnels ont été creusés dans les endroits les plus dangereux. De nouvelles routes ont été construites qui réduisent considérablement la durée des déplacements. Rejoindre les val¬lées de la Salouen et du Mékong à l’époque, c’était deux longues jour¬nées de bus ou deux à trois jours à pieds. Un nouveau col a été ouvert à la circulation. Il suffit dorénavant de quelques heures pour ce déplacement.

On se souvient des grands débats qui précèdent le choix de bâtir l’hospice sur le col du Latsa plutôt que sur celui du Sila. «Ce passage est suivi par de nombreuses caravanes: plus de trente mille porteurs l’utilisent chaque année» disait le P. Nussbaum. Le Latsa était une étape de la route du thé qui relie commercialement la Chine et le Tibet, et ses usagers pâtissaient fréquemment des cruautés de l’hiver et des assauts renouvellés des brigands.

Aujourd’hui, une route part du Mékong et arrive juste au-dessous de l’hospice du Latsa. Elle aboutit à une mine de cuivre qui fut exploitée durant quelques années et qui est aujourd’hui à l’abandon. Du côté de la «vertigineuse vallée de la Salouen» (Bhx Maurice), une route est aussi en construction. Dans un an et demi, elle arrivera au col du Latsa. L’hospice retrouverait alors toute sa mission et son importance devant ce nouvel axe routier. Il apparaît donc urgent de songer à en reprendre la construction. Un petit clin d’oeil: «Qui habet aures audiendi audiat»!

Du côté de col du Sila et des Bambous jaunes qui font aussi la liaison entre les vallées de la Salouen et du Mékong, une route est également en construction. Dans la vallée qui sépare les cols du Sila et des Bambous jaunes, les autorités prévoient de construire une station de ski! Nos amis de Baihanluo ont bâtit une magnifique et grande cabane pour accueillir les marcheurs. Le lieu sert comme lieu de retraite spirituelle.

Pour l’instant, seul le Choula, lieu du martyre du Bhx Maurice Tornay, est resté préservé de cette frénésie de construction. Le chemin qui y monte de 2000 à 4850 mètres d’altitude est bien aménagé. Il se trouve sur la route du grand pèlerinage bouddhiste du Khawakarpo (6750 mètres). On y trouve donc de nombreux drapeaux de prière et une buvette d’altitude à 4300 mètres!

Pour accéder à Alulaka, lieu d’origine de Zacharie — le grand évangélisateur de la région — on empruntait, il y a deux ans encore, un petit sentier muletier assez escarpé.  Le village situé sur la crête qui sépare Dimaluo et la vallée de la Salouen est charmant. Les paroissiens ont construit, au sommet de la crête, une chemin de croix géant avec une croix gigantesque (15 mètres de haut) qui surplombe toute la région. Aujourd’hui, une piste carrossable rejoint le village. Sur cette belle colline de champs et de fougères, le gouvernement prévoit de construire un aéroport! Les plans sont terminés. Ce sera un peu leur «Croix-de-Coeur» mais à la mode chinoise et donc compiétement bétonné!

Les sentiers du ciel

Avec quelques amis français, nous avons créé une ONG sous forme d’association, les sentiers du ciel. Cette ONG a pour but d’aider les populations locales à prendre en main leur développement écono¬mique. Il faut dire que le revenu moyen par personnes jugé comme décent par le gouvernement est de CHF 500 par an, soit CHF 2 000. — pour- une famille avec deux enfants. Avec l’extension des infrastructures, du tourisme et du commerce, on voit de plus en plus de Chinois Hans venir dans cette région pour y faire du business. Il ne faudrait donc pas que les bénéfices de la croissance économique échappent aux popula¬tions autochtones.

Nous avons également créé une société commerciale à Hong Kong, la HIMALAYA DEVELOPMENT GROUP LIMITED, dont l’objectif est principalement de développer la viti viniculture. Le centre de cette activité se situe à Tsekou, village où se trouve la tombe de plusieurs missionnaires, dont le P. Jules-Etienne Dubernard assassiné le 26 juillet 1905 et celle du Père Bourdonnec, décédé (de manière violente-dmc) le 23 juillet 1905, ancien responsable de la mission de Yerkalo.

En cave, la vinification se fait en jarre de terre cuite de 250 à 400 litres. Après une macération d’une quinzaine de jours, l’élevage du vin se poursuit, pour partie en fût de chêne à Cizhong, là où Mgr Angelin Lovey a été vicaire avec le P. Francis Goré des MEP. Une entreprise valaisanne a apporté un grand soutien technique et financier à ce projet.

Le vin produit par les Sentiers du ciel a obtenu en 2014 une médaille d’or au CWSA (China Wine & Spirits Awards) qui est la plus grande et la plus prestigieuse compétition de vins en Chine et Hong Kong. Cette médaillea été obtenue grâce aux efforts d’un oenologue valaisan, Yves Roduit. Yves Roduit poursuit actuellement ses activités vini — viticole dans cette région avec des ambitieux projets d’extension du domaine cultivable.

Le lieu s’y prête à merveille. Moët Hennessy, pôle «vins et spiritueux» du groupe de luxe français LVMH s’est installé dans la région. Elle dispose d’un vignoble d’environ 30 hectares qu’elle entend étendre à 200 ha à brève échéance, ayant reconnu cette région comme la plus propice à la fabrication du vin en Chine.

Les sentiers du Ciel on construit également un refuge de montagne sur le col du Sila destiné aux guides locaux pour leurs passages avec des touristes.
A Dimaluo, Aluo et son épouse Joanna, ainsi que leur fils Johan ont développé une auberge et un service de guide pour traverser les cols. Les sentiers du ciel ont soutenu cette ini¬tiative locale. Ce genre de prestations par les villageois tend à augmenter. Nous nous retrouvons dans le Valais de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle, au temps de la naissance du tourisme et des paysans-guides de montagne.

A côté du vin, plusieurs projets sont en cours de préparation et du tourisme, notamment l’apiculture et le formage de Yaks.

La joie des rencontres

Je termine par une anecdote qui m’a profondément marqué. Après Cizkou (Tsekou), au-dessus Cizhong (Tsé-Tchang — la mission où résida le Chne Angelin Lovey) deux hommes viennent me chercher. Leur mère, Agatha, était aveugle depuis 5 ans et attendait avec impatience un prêtre pour lui conférer l’onction des malades, la confesser et lui donner le Corps du Christ. Les gens de Cizkou me dissuadèrent de m’y rendre étant donné l’état de la route qui mène à ce petit village. Devant ma détermination, ils me proposèrent même de leur signer une décharge juridique en cas de chute dans le précipice! Effectivement, la route est aérienne et dans un état assez lamentable! Une heure de voiture avec un chauffeur expert, et nous étions rendus à destination.

Les gens du coin appellent ce lieu, «le lieu des singes». . . Il me dirent que si je voulais y rester, je pouvais le faire sans autre: jamais la police ne montait jusqu’au village! Dans leur petite et belle église, il y a un calendrier avec des dizaines de photos de notre cher pape François!

Agatha attendait… depuis un an, me dit-elle. Elle avait su, en effet, l’année précédente, qu’un prêtre étranger venait dans la région et elle voulait absolument se préparer à la Rencontre avec Dieu. Un an de prière pour que cela puisse se faire! Après la confession, je fis venir ses fils pour l’onction des malades et la communion. Lorsqu’elle les entendit entrer dans l’unique petite pièce de la maison elle leur dit avec un grand sourire et toute jubilante: «mon âme est toute propre, je peux partir!»

Agatha a été à l’école avec les missionnaires de l’âge de  7 ans à 12 ans. Elle me disait que ce qu’elle avait appris à l’école des missionnaires et ensuite et pratiqué toute sa vie c’était, selon mes mots, «l’oraison jaculatoire». Selon ses mots à elle, cela signifiait qu’il fallait toujours remplir son coeur de la présence de Jésus et ne jamais se laisser trou¬bler par des soucis ou envahir par d’autres pensées que celles de Jésus. C’est ce qu’elle avait fait durant toute sa vie et les fruits de cette atti-tude spirituelle étaient tellement visible: une paix et une joie pro¬fonde! A craquer!

Je me suis dit que l’Eglise leur avait appris l’essentiel, la théologie qui fait bien vivre! Et cela se voyait tellement sur son visage de lumière! Elle ajouta que, depuis qu’elle était aveugle, il ne lui restait plus qu’à prier. Alors son visage s’illumina encore plus. Dès que je lui parlais de quelque chose, elle me disait: «je vais prier». Une image du Bhx Maurice Tornay était placée au-dessus de son lit; petit clin d’oeil de la tendresse de Dieu.

Je n’étais pas monté que pour Agatha. Une autre personne vint me chercher pour m’inviter à visiter sa mère malade. C’était donc le tour de Anna qui vivait dans une maison voisine. Anna ne s’attendait pas à la venue d’un prêtre. Alitée, très âgée, elle fut toute surprise de cette visite. Lorsqu’elle appris que j’étais prêtre, elle se dressa de toutes ses forces dans son lit pour essayer de s’asseoir et se mit à dire en boucle: «c’est la grâce de Dieu» «C’est la grâce de Dieu!» «C’est la grâce de Dieu!»

NICOLAS BUTTET – modérateur de la Fraternité Eucharistein   (Mission du Grand Saint Bernard 1/18)

DMC