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UNE RANDONNEE DANS LES MARCHES THIBETAINES DU YUNANN

La pointe nord-ouest de la province du Yunnan, limitrophe de la Birmanie et du Thibet, relève de la Mission de Tatsienlu. C’est une région écartée, sauvage, accidentée entre des chaînes de montagnes aux sommets très élevés où coulent trois grands fleuves : le Mékong, la Salouen et celui qui, après avoir orienté son cours vers l’est, prendra le nom de Fleuve Bleu. C’est dans ce pays, trop peu connu, qu’a eu lieu le voyage que va nous raconter le missionnaire qui en fut le guide : les péripéties de cette randonnée ne manqueront pas d’intéresser nos lecteurs.

Deux explorateurs français, M. G. et M. L., hôtes de la mission de Bahang depuis deux mois et demi, avaient fixé leur départ pour le nord au 20 février. Ils me demandèrent de les accompagner jusqu’à Songtha et volontiers je me rendis à leur désir.

Le temps est à la neige ; un brouillard dense et froid attriste quelque peu les voyageurs ; ils sont décidés cependant, et nous partons.
Au col d’Alo, le brouillard s’est dissipé et, sous les rayons d’un soleil bientôt trop ardent, nous jouissons d’un coup d’oeil magnifique. C’est pour moi un coin des Alpes, une image, un souvenir qui se fond dans la réalité.

A la nuit tombante nous arrivons à Tchongtreu, où un prêtre chinois, M. Ly, nous a précédés de quelques heures. Le petit nombre des chrétiens, heureux de retrouver pour quelques instants un pasteur, se trouvent bientôt réunis : pauvres brebis perdues au milieu de tant de loups !

Le lendemain nous étions à Khionatong, où nous attendait l’hospitalité cordiale du pasteur de ce poste. A la veillée on ne parle que de rochers escarpés, d’échelles de bois transformées en sentiers, de descentes verticales, de parois abruptes, d’escaliers peu rassurants, de peuplades moins rassurantes encore, de fusils, de brigands, etc. Pourquoi de tels propos ? Parce que nous devons aller de Khionatong au Tsarong, c’est-à-dire franchir la porte du Thibet, du mystérieux Thibet. C’est l’inconnu qui s’ouvre devant nous avec sa provocante invitation, et les conversations de cette soirée de Khionatong ne font qu’aiguiser notre appétit du „ jamais vu”!

Pour se rendre de Khionatong, dernier village loutse, à Songtha, premier village thibétain, deux routes s’offrent au voyageur. L’une, celle du Solola, fort peu commode en été, est absolument impraticable en hiver, surtout à cause du danger des avalanches auxquelles on serait exposé sur le versant méridional de la montagne. Nous prendrons donc la deuxième voie, celle qui suit le fond de la vallée de la Salouen : encore ne faut-il s’y risquer que par un temps sec pour ne pas glisser sur des roches lisses qui surplombent des précipices, et nous sommes obligés d’attendre pendant 24 heures que la pluie cesse. Le lendemain, heureusement, s’annonce une journée magnifique, et, joyeux, nous nous mettons en route vers… le Thibet.

Les gorges inexplorées. — Première journée. Après avoir tourne le contrefort de Khionatong nous entrons, pour la remonter, dans la vallée de la Salouen. Nous apercevons la gorge sauvage d’où le fleuve semble sortir comme par enchantement. Jusqu’à présent cette section de la Salouen, de Khionatong à Songtha est restée inexplorée : aucun voyageur européen — sauf peut-être le P. Desgodins, — n’a osé se hasarder dans cet étroit couloir un sentier à peine tracé court en pente de plus en plus vertigineuse, aboutissant de distance en distance à une paroi de rochers taillés verticalement. Des rouleaux de pin attachés les uns aux autres par des liens végétaux et fixés par les mêmes liens aux anfractuosités du roc, permettent de rejoindre le sentier qui se continue de l’autre côté : pont tremblant qu’on franchit en rasant la paroi rocheuse et en essayant vainement d’y trouver quelque saillie. Puis ce sont des échelles faites de troncs de pins dans lesquels on a taillé dés marches ; certaines de ces échelles ont parfois plus de 30 degrés et plusieurs se font suite l’une à l’autre selon la hauteur à escalader : cette sorte de sport n’est sans danger que pour un pied sûr et une tête qui ne connaît pas le vertige.

Peu à peu, avec l’impression de nous enfoncer dans un trou immense, nous approchons du lit du fleuve. A 4 heures nous faisons halte en un lieu nommé Dotsong : nous avons effectué l’étape que les porteurs et les voyageurs peu pressés franchissent dans la première journée. Le fleuve coule à quelques pas au-dessous de nous et nous fournit l’eau nécessaire à notre cuisine de camp.

La gorge est très resserrée ; les parois, écartées seulement d’une centaine de mètres, laissent voir sur leurs flancs de curieux filons de granit et de calcaire superposés. Le courant est très rapide ; la Salouen semble avoir hâte de sortir de ce défilé aux parois gigantesques.

Deuxième journée. — La vallée tourne de plus en plus vers le nord ; la gorge se resserre encore, le fleuve se précipite avec un grondement effrayant; un nuage d’écume retient le regard, le fascine et semble l’attirer vers l’abîme. Vers midi nous arrivons à Khiwangthou : nom qui n’est pas celui d’un village ou d’un groupe de maisons, mais qui, comme d’autres que nous rencontrerons, rappelle quelque site caractéristique de l’endroit, une caverne, etc. Là, à une altitude de 1.740 mètres, nous sommes à la frontière qui sépare la Chine du Thibet : nous nous plaisons à cette pensée, et nous continuons notre route.

Vers le milieu de l’après-midi nous traversons un torrent qui se précipite en une belle cascade ; puis voici que le sentier aboutit encore à une paroi rocheuse verticale qu’il faut tourner en opérant une ascension d’une centaine de mètres, laquelle nous conduit sur une vaste plate-forme plantée de pins élancés. A notre droite, la rampe graniteuse, un instant interrompue par ce palier reposant, poursuit son ascension jusqu’à une hauteur vertigineuse, Ses flancs semblent sculptés de main d’homme, offrant à la vue tantôt des portails de cathédrales romanes, tantôt des arcs de triomphe de la Rome antique.

A un moment — est-ce une illusion ? — il me semble apercevoir sur la rive droite du fleuve une légère colonne de fumée qui monte tout droit dans le ciel. Ce lieu désert serait-il donc habité ? Et par qui ?… L’un de nos hommes m’explique que deux familles, l’une chinoise, l’autre lissoule, se sont récemment installées là, ont défriché un coin de la gorge et y ont construit leur hutte. Il s’agit, paraît-il, de débiteurs insolvables qui, pour échapper aux poursuites de leurs créanciers, sont venus s’établir dans cette retraite inaccessible.

Cependant la nuit approche ; nous n’avons pas atteint Rankha, étape habituelle des porteurs, mais la fatigue nous oblige à faite halte à Dzeinrau et je prévois qu’il nous faudra plus d’une journée pour arriver à Songtha.

Troisième journée. — Une heure après notre départ de Dzeinrau le sentier que nous suivons lutte avec une muraille rocheuse : une échelle de pin assez longue nous oblige à exécuter un exercice d’équilibre qui n’a rien d’agréable. Nous sommes à Regylé, en face d’une des plus grandes chutes de la Salouen, dont les eaux, comprimées entre deux parois à pic distantes de 12 mètres à peine, se précipitent dans le gouffre avec un grondement qui nous accompagne durant plusieurs kilomètres.

A midi nous arrivons à Rankha. Le fleuve, tout à l’heure si agité, est ici d’un calme qui repose à la fois et la vue et l’ouïe ; son lit s’est élargi, ses eaux limpides s’attardent comme si elles regrettaient de quitter bientôt ce beau pays thibétain qui les a vues naître. Et voici que nous devons abandonner la rive gauche pour passer sur la rive droite. Il y a deux barques à demeure, une sur chaque rive et la traversée se fait sans trop de peine. Une heure plus tard, après avoir tourné un nouvel escarpement, nous nous retrouvons dans le lit du fleuve. Nous sommes étonnés de rencontrer sur cette rive gauche un troupeau de neomo (produit du croisement du yack et de la vache) ; à la cabane des bergers qui les gardent nous avons le plaisir de boire une bonne tasse de lait. De là, après un quart d’heure de marche, nous nous arrêtons sous un immense rocher, nous allumons un grand feu et prenons notre repos de la nuit. Repos bien mérité, car il est impossible à qui ne les a pas éprouvées de se faire une idée des fatigues du trajet que nous venons d’effectuer. Il faut se rendre compte que, en moins de 2 kilomètres en ligne droite, de chaque côté du fleuve qui coule à une altitude de 1.750 mètres, se dressent des montagnes de plus de 4.000 mètres de hauteur : c’est la corne orientale de la chaîne de l’Himalaya que le fleuve coupe ainsi en deux. Avec la patience des siècles, il s’est taillé un passage au sein de la roche la plus dure.

Et ce soir nous couchons en terre thibétaine. Tout sent le Thibet et son mystère. Le Thibet, une des rares régions du monde que le pied de l’étranger ne peut fouler qu’en passant, et encore au prix de quelles difficultés et de quels dangers; terre où le missionnaire ne peut pas travailler. Quand donc sonnera l’heure de notre Dieu ? Lui seul le sait. A nous il ne reste qu’à souffrir en gardant des espérances que seuls la prière et le sacrifice pourront transformer en réalité. Telles sont les réflexions auxquelles je me livre ce soir, sous ce rocher sauvage, dans ce gouffre effrayant, au fond de ces montagnes inhabitées.

Quatrième journée. — Toute la nuit il a plu avec un acharnement inquiétant ; mais lorsque, vers dix heures du matin, nous quittons Rilang, lieu de notre étape, la pluie a cessé. Le soleil s’efforce à percer les nuages et ses pâles rayons réussissent à atteindre le fond de notre tranchée. Une demi-heure plus tard il nous faut exécuter une nouvelle escalade d’échelles de bois pourri ; puis c’est une descente en verticale.

Nous regagnons la rive du fleuve, où nous faisons la rencontre de deux Thibétains qui vont acheter du riz à Bankha. L’un d’eux nous prévient que nos deux explorateurs ne pourront pas entrer à Songtha, mais que le missionnaire sera autorisé à traverser le fleuve et à s’installer dans la maison du chef. Nous verrons.
Après quelques minutes de marche sautillante dans le lit du fleuve, nous faisons l’ascension d’un rocher qui en barre le cours ; du sommet nous sommes en vue de Songtha qui surgit tout à coup devant nous ; la vallée s’est élargie, les pentes sont plus douces, l’horizon s’agrandit ; les champs d’orge, en pleine verdure, reposent les regards : c’est une résurrection.

En quelques minutes nous nous transportons au petit hameau de Longkhy, lequel, sur la rive droite, fait face à Songtha. Les barques sont sur la rive gauche ; nous les attendons en vain et je décide les hommes à essayer d’entrer en relation avec Longkhy. En face de nous les maipons du village sont alignées le long de la berge. Tout paraît mort ; on nervoit âme qui vive. Pendant que nos gens sont sans doute en pourparlers, je me demande quel accueil nous r_serve le chef du village. Le missionnaire sera reçu, mais qu’en sera-t-il de nos deux explorateurs ?

La réponse que rapportent nos envoyés confirme mes suppositions. Le Père peut passer le fleuve, mais les deux a étrangers doivent rester sur la rive droite. Nous décidons alors d’offrir un petit présent au yunda (maire ?) de Songtha pour nous le rendre favorable et je me charge de la requête. Je monte dans la barque avec deux hommes et me rends tout droit à la maison du chef. Je n’oublierai jamais ces mines rébarbatives, cet air de méfiance mêlée d’indiscrète curiosité que produisit ma présence dans cette vaste cuisine où je fus reçu et qui fut bientôt envahie par une foule grossière accourue des maisons d’alentour pour voir l’étranger à la face barbue.

Après les formules protocolaires de bienvenue débitées de façon à peine intelligible par notre hôte à mine patibulaire, nous nous asseyons autour du foyer et, en silence, bourrons une pipe. Puis un de nos hommes, que j’avais préalablement instruit, entame la conversation. II s’agissait d’obtenir pour les étrangers l’autorisation de venir dans le village et d’y demeurer jusqu’à ce qu’ils aient reçu le passeport du sous-préfet. Ce n’est qu’après une discussion d’au moins une heure que la permission fut enfin accordée. Je présentai alors au chef le cadeau apporté : il en fut probablement satisfait, mais n’en manifesta pas le moindre signe. La barque alla de suite chercher les deux explorateurs, qui furent installés sur la terrasse de la maison, tandis qu’une chambre fut attribuée au missionnaire.

Cependant il était deux heures de l’après-midi, plus que temps de se réconforter. La maison du chef fut transformée en auberge et la baratte se mit à fonctionner sans arrêt jusqu’au soir. Jusqu’au soir aussi se prolongea le défilé des curieux et des curieuses, qui s’extasiaient devant mon briquet en poussant des cris inarticulés.
Ces pauvres gens sont vraiment répugnants : par leur saleté d’abord, par le désordre de leur chevelure et de leurs vêtements en loques, mais aussi par l’extrême laideur de leur visage. Est-ce là le type thibétain ? Non. Ces premiers villages sont encore Ioutseu, depuis le langage et l’habillement jusqu’à la religion et les coutumes. Il n’y a guère que la saleté crasseuse et le style des constructions qui rappellent le Thibet.

oieJang, sorte de grandes cruches de terre en .ne de bonbonnes où l’on conserve l’ara ou le I,,ftiong et que l’on voit régulièrement alignées dans un coin de la cuisine de toutes les maisons, là où l’on trouve aussi trs pots en terre cuite destinés à contenir le thé beurré.

Comme le fleuve est navigable à cette époque, je comptais couvrir en barque la distance qui nous séparait de Djranguein, ce qui, pensais-je, me procurerait économie de temps et épargne de fatigue. Pour avoir une I;arque, il fallait s’adresser au chef du village. J’allai le trouver et fus tees bien reçu : le khiong nous fut versé avec profusion, les cadeaux af3uèrent. mais un refus formel fut la réponse à notre demande. Une discussion de trois heures, tantôt vide de sens, tantôt violente, (finit par nous obtenir gain de cause. La barque fut choisie par le chef. Les hommes de corvée furent désignés par le sort.

Je m’installe de mon mieux dans le tronc d’arbre creux qui constitue notre barque et nous commençons à remonter le fleuve. Le trajet par eau est plus court et surtout moins fatigant. Les eaux sont calmes, à part quelques légers rapides qui demandent à nos trois rameurs efforts et adresse. De temps en temps la gorge qui enserre le fleuve s’entr’ouvre et nous laisse entrevoir un gracieux vallon au fond duquel coule un torrent impétueux ou une pente sur laquelle des cabanes sont échelonnées. Mais plus d’arbres touffus, plus de taillis inextricables, à peine quelques rares pins ou quelques buissons rompent la monotonie du paysage. C’est la sécheresse du Thibet qui commence. Après deux heures de navigation nous sommes en face de Djranguein qui cache ses maisons dans un étroit vallon de la rive droite du fleuve.

Tandis que nous prenons nos dispositions pour aborder, nous apercevons une barque qui vient d’accoster et sur la plage une caravane imposante qui se prépare à gravir la montagne. „ C’est le Chiengo qui arrive o, me disent les hommes. Quelle heureuse chance ! Je savais, en effet, que le sous-préfet était parti, il y a quatre mois, pour Khiamdo, où devait se règler un procès qu’il avait engagé contre son frère cadet demeurant à Menkong, mais je le croyais de retour depuis longtemps ; aussi je fus agréablement surpris en le voyant terminer son voyage juste à point pour me recevoir.

Après avoir débarqué, comme le seigneur et sa suite, nombreuse et armée jusqu’aux dents, s’étaient déjà engagés dans le sentier de la montagne, j’envoyai sur leurs pas un de mes hommes pour m’annoncer, puis j’attendis.

C’est un fort joli site qui nous accueille à Djranguein ; ce petit plateau est invisible de la vallée. II semble que la nature a voulu faire là un véritable repaire de brigands, garanti de trois côtés par des montagnes diftcilement praticables et du quatrième côté par l’étroit couloir du torrent, facilement défendable.

Le Chiengo, averti, me reçut avec un sourire quelque peu mystérieux .. Après les salutations protocolaires — moins compliquées qu’en Chine, — il me fit pénétrer dans
une chambre réservée aux hôtes honorables. Le sous-préfet est un type deThibétain comme je n’en avais pas encore vu. Dès le premier contact il m’intéressa fort. D’allure dégagée, l’air décidé,l’oil malin qui observe à la dérobée, la bouche toujours demi-souriante laissant voir une dent en or, un front qui pense, un menton volontaire, un habillement impeccable! j’avais devant moi un chef, un petit chef, il est vrai, mais un chef qui, me semble-t-il, doit savoir dire o oui quand il le faut et non » quand il le veut.

Aussitôt la table fut servie. Le thé beurré fuma dans mon nguji flanqué d’un panier d’oranges et d’une assiettée de gentils petits gâteaux thibétains. La conversation que, vu la différence de langage et mon peu d’expérience thibétaine, je ne pouvais soutenir qu’à grand’peine, roula sur des généralités banales. Après quelques instants le chef se retira et me fit servir un repas auquel rien ne manquait. Autour de moi les curieux étaient nombreux ; les esclaves-servantes m’apportaient plusieurs fois le même plat, moins par zèle que pour le plaisir de voir de plus près le grand « diable d’étranger » qui avait des poils sur le visage et des cheveux non noirs.

Le repas terminé, le Chiengo revint me voir. Je lui remis alors un cadeau que j’avais apporté à tout hasard, puis j’abordai la question de: deux explorateurs qui attendaient à Songtha la décision du chef. Celui-ei garda d’abord un silence prolongé, affectant une attitude indifférente, sifflotant même un air de danse, puis, avec un sourire, il prononça un non formel. — « Le Thibet est interdit aux étrangers. Pour aller à Tahakalo il faut traverser le territoire d’un autre chef, qui pourrait attirer sur moi les foudres du Préfet. » A quoi il ajouta : « Je pourrais permettre cela au Père, mais pas à deux inconnus qui viennent peut-être ici pour reconnaître les lieux et revenir ensuite avec des « barques volantes » pour détruire notre pays. » J’essayai vainement de le rassurer sur les intentions pacifiques de mes deux compatriotes : tout fut inutile. Changeant brusquement de conversation, il me demanda si j’ai apporté un appareil photographique. Sur ma réponse affirmative, il m’exprima son vif désir de faire photographier son château et sa famille ; je l’assurai que je serais heureux de lui faire ce plaisir, et nous en restâmes là. Avant de me quitter, Le Sous-Préfet et sa famille. il m’engagea à visiter son château, ce que je fis avec le plus curieux intérêt ; puis je regagnai mon intérieur, où le repas du soir était servi.

Le lendemain matin, après un copieux déjeuner, séance de photographie : une plaque fut réservée au sous-préfet, monté sur sa belle jument ; puis ce fut le tour de sa famille, lui, sa femme et ses trois enfants ; je pris aussi une vue du château en même temps que de tout le coquet village de Djranguein.

Rentré à la maison, je fais appeler le chef pour remettre encore sur le tapis la question des deux explorateurs, mais je me heurte toujours à un refus obstiné. Je lui demandai alors de permettre au moins le passage par le col du Dokerla, qui est de son ressort. Il finit par consentir à ce que mes deux compatriotes pussent monter jusqu’à Lakonra et de là franchir la passe du Dokerla (5.000 m.). En somme, j’avais obtenu, sinon tout ce que je désirais, du moins un résultat très appréciable.
Je pris alors congé de mon hôte, qui m’obligea à accepter un boisseau de farine d’orge grillée, plusieurs livres de beurre et la nourriture nécessaire à notre voyage de retour. De plus, il fit porter aux chefs des villages de Longpou et de Songtha l’ordre de mettre à ma disposition une grande barque et des rameurs. Ainsi protégé, je quittai Djranguein, et par les mêmes moyens de locomotion je regagnai Songtha, où m’attendaient impatiemment les deux explorateurs.

Le lendemain matin, avait lieu, non sans émotion, la séraration : eux allaient se lancer vers le nord ; moi, je m’enfonçais dans les gorges affreuses déjà parcourues, retrouvant le pénible sentier, les échelles, les roches. Le soir même de cc jour, un peu fourbu, il est vrai, je parvenais à la résidence de Khionatoog.
Mon voyage était terminé, mais je garde de cette pointe poussée subrepticement en pays thibétain le plus agréable souvenir.


Emile BURDIN, mep