Skip to main content

VIE RELIGIEUSE FEMININE EN CHINE (2/3)

II. NAISSANCE ET RENAISSANCE DES CONGREGATIONS DIOCESAINES

La forme de vie religieuse féminine désormais la plus répandue en Chine est celle

des congrégations apostoliques diocésaines. Ce type de communauté existe un peu partout en Chine. C’est la forme de vie consacrée la plus visible et stable aujourd’hui. Si leur taille et les modalités de leur existence peuvent être très variées, dans cet article, Pascale Sidi-Brette et Michel Chambon proposent de distinguer deux sous-types parmi elles : les congrégations avec un fort ancrage historique et diocésain et celles fondées plus récemment après la réouverture politique dans les années 80.

Les sœurs du Cœur de Marie sont un exemple des congrégations à fort encrage historique et diocésain. Leur histoire remonte au XIXème siècle, période pendant laquelle des religieuses catholiques occidentales venaient s’implanter un peu partout en Chine pour évangéliser, tout en recrutant de jeunes novices parmi les jeunes catholiques locales. Dans le cas de ce qui deviendra les sœurs du Cœur de Marie, les jeunes femmes prononçaient leurs vœux directement dans les mains de l’évêque et devenaient des vierges consacrées envoyées deux par deux dans les missions pour assurer catéchisme, soins médicaux et éducation. Par des actions très diverses, ces vierges consacrées étaient engagées à la fois dans le développement de l’Eglise locale mais aussi dans le service des populations. En plus du service des paroisses naissantes et des petites écoles, les sœurs ouvraient des orphelinats, des refuges pour les vieillards et les malades, tous en exécutant quelques travaux d’imprimerie. Dans un contexte de guerre civile, les réseaux catholiques qui se développaient alors rapidement offraient des outils d’entraide et de service concret. La vie religieuse répondait à un vide administratif et à des besoins sociaux importants. Le développement conséquent de leur mouvement et de leur nombre a abouti en 1932 à la fondation d’une congrégation canoniquement reconnue par le Saint-Siège qui prendra le nom de congrégation des Sœurs du Cœur de Marie. En 1940, elle comptait une centaine de religieuses.

Les soeurs du Coeur de Marie, une congrégation à fort ancrage historique et diocésain

A la fin de septembre 1948, à la suite à l’effondrement de l’Empire du Japon et à la victoire désormais certaine des communistes, les religieuses décidèrent de faire prendre la route du Sud aux plus jeunes d’entre elles. Sur les 62 qui quittèrent leur maison-mère, vingt se regroupèrent plus tard à Taiwan pour y poursuivre l’œuvre missionnaire de la congrégation. Les sœurs qui restèrent dans le nord durent quant à elles retourner vivre dans leur famille, où risquer de se retrouver en camps de travail. Durant la révolution culturelle (1966-1976), la congrégation – tout comme l’ensemble des corps religieux constitués – disparut. Mais les sœurs d’aujourd’hui insistent : ces sœurs ainées même si elles ne vivaient plus en communauté, continuèrent à prier assidûment, à travailler généreusement là où elles étaient, et à témoigner abondamment de l’amitié évangélique quelles que soient les circonstances. Elles maintenaient de la sorte – de manière non officielle mais effective – la vie de leur communauté religieuse.

Après les réformes engagées par Deng Xiaoping en 1979, la vie des communautés catholiques put progressivement reprendre forme. Dix ans plus tard, en mai 1989, le nouvel évêque officiel du lieu et plusieurs fidèles décidèrent de régénérer la congrégation des sœurs dans sa forme visible. Une dizaine de sœurs âgées qui vivaient encore dans la région purent se regrouper et recommencer une vie religieuse commune, au service de l’Eglise locale. Ainsi, en 1993, lorsqu’un second groupe de 39 regardantes furent admises, la communauté comptait déjà 16 jeunes sœurs et 3 sœurs âgées. Sur les 39 qui vinrent alors découvrir la vie religieuse, 24 prononcèrent plus tard leurs vœux. Aujourd’hui, la communauté compte 95 sœurs et 3 novices.

La croissance de la communauté fut telle qu’en 2008 les sœurs furent capables, grâce à leurs économies et à des dons de l’étranger, de construire une nouvelle et grande maison-mère. Aujourd’hui, cette imposante maison en centre-ville est pleine de vie. En plus d’accueillir une maison de retraite pour une cinquantaine de personnes âgées, la maison offre aussi dans une de ses ailes un centre spirituel pour les catholiques du diocèse qui peuvent y venir en formation. De manière générale, les sœurs du Cœur de Marie demeurent surtout engagées dans le service pastoral en paroisse, aidant avec les multiples tâches que compte une paroisse chinoise aujourd’hui (catéchisme ; chapelet ; chant). Les sœurs tiennent aussi un petit dispensaire où des soins pour les très pauvres et les sidéens sont disponibles. Ces multiples activités n’empêchent pas les sœurs de rester fermes dans la prière : en plus de la messe quotidienne et des offices réguliers, les sœurs assurent depuis 2004 l’adoration perpétuelle en réponse à la demande d’un généreux donateur.

Mais au-delà du cas des sœurs du Cœur de Marie qui présente assez bien la situation des congrégations à fort encrage historique et diocésain, la Chine dénombre des congrégations plus récentes et moins soutenues par leur diocèse local. Ces congrégations sont essentielles pour une compréhension plus large de la vie religieuse en Chine. Nous prendrons ici l’exemple d’une congrégation d’une province côtière de la Chine, comptant une quarantaine de religieuses et qui reçoit actuellement quatre jeunes femmes qui préparent leurs vœux. Certes quatre novices pour un pays comme la Chine peut sembler bien peu, mais comparer au tarissement soudain des vocations féminines du côté des vierges consacrées et des congrégations diocésaines, cela demeure significatif. Le profil et les attentes de ces jeunes novices peuvent nous apprendre un certain nombre de choses sur la vie consacrée en Chine du XXIème siècle.

La congrégation des soeurs de Saint Joseph, une congrégation plus récente et moins soutenue

Cette congrégation des sœurs de Saint Joseph a été initiée en 1983 par deux religieuses âgées venues de Shanghai à la demande de l’évêque. Mais la greffe n’a pas pris et les vieilles sœurs sont reparties rapidement, dès lors remplacées par les jeunes religieuses formées dans l’urgence. Les premières sœurs qui prononcèrent leurs vœux jouèrent alors le rôle de fondatrices du fait de leurs fortes personnalités et de leur implantation dans la communauté locale. Ces femmes reflétaient la communauté des croyants des années 80 dans leurs aspirations locales. A l’instar des religieuses et des vierges consacrées, après une courte formation dans une maison-couvent, elles partaient en binôme, une « ancienne et une plus jeune » rejoindre le service des paroissiens dans les très nombreuses églises non enregistrées du diocèse. Riche d’une douzaine de postulantes dans les années 1980-1990, la communauté s’est peu à peu agrandie et compte aujourd’hui 42 religieuses dont la moyenne d’âge est de 45 ans. Elles sont représentatives de l’élan de foi qui s’est manifestée au cours des années 1980-1990 au moment où la possibilité de vivre à nouveau sa foi de manière plus ou moins publique à entraîner la restructuration des paroisses et de nombreuses vocations masculines et féminines. Du point de vue matériel, les sœurs vivent grâce aux dons. Elles ont reçu, il y a déjà une dizaine d’années, une petite maison à la campagne qui fait office de maison-mère à coté de laquelle elles ont ouvert un « home » qui reçoit quelques personnes handicapées ou abandonnées. Un peu plus loin dans le village, elles accueillent dans un foyer des personnes âgées. Ce service est payant et ce sont les familles qui contribuent pour les soins donnés à leurs parents. En effet, dans cette région de forte migration, les enfants sont souvent partis travailler à l’étranger ou dans une mégalopole chinoise. L’histoire des sœurs de Saint Joseph est en bien des points comparables à celle de la plupart des congrégations diocésaines contemporaines tant d’un point de vue matériel que spirituel. Parties de peu, avec souvent comme seul bagage une formation élémentaire, les religieuses ont dû trouver leur place dans une Chine en pleine mutation sociale.

Dans ce contexte, la question de leur formation est devenue centrale et au fil des années. Grâce à des contacts avec les congrégations internationales ou avec des prêtres missionnaires et malgré les difficultés rencontrées, elles ont envoyé quelques sœurs se former à l’étranger ou participer à des sessions en Chine. Avec l’apprentissage d’une langue étrangère, la mise à niveau académique mais aussi théologique, elles ont misé sur ces apports pour insuffler un nouvel élan à leur vie communautaire. S’attachant à permettre à chacune de connaître un développement personnel au sein du groupe, elles ont peu à peu élargi leur pratique religieuse et spirituelle, repensant leur charisme à la lumière de l’évolution de la communauté catholique locale. En trois décennies, elles ont modernisé et adapté leur mode d’existence à l’écoute de l’évolution de catholiques dans leur ensemble : citadins de plus en plus détachés de leurs paroisses rurales d’origine et pour certains à la recherche d’une vie spirituelle plus riche. Cette petite congrégation à fort ancrage local mais résolument moderne propose donc une forme contemporaine de la vie consacrée en offrant à la fois, une vie communautaire très soutenue, une forte présence auprès des paroissiens notamment par le soutien moral et psychologique des jeunes étudiants ou des couples, et par le développement d’une spiritualité approfondie.

Alors que les vocations se sont taries depuis les années 2010, aujourd’hui, quatre jeunes novices ont choisi les sœurs de Saint Joseph. Elles ont entre 26 et 32 ans, trois sur quatre ont suivi des études universitaires, et ont donc connu une vie en dehors du monde catholique. Dans leurs témoignages, elles disent avoir tenu secret leur appartenance à la foi catholique et pour deux d’entre elles, de l’avoir perdu à certains moments de leur vie. Elles ont aussi connu une expérience amoureuse qui ne les a pas comblées. Elles recherchent toutes les quatre dans leur vie de novices un équilibre subtil entre les temps de silence (adoration), prières communautaires, et recherche de l’épanouissement personnel dans le quotidien de leur vie communautaire. Contrairement à leurs aînées qui se formaient pour le service de la paroisse, elles n’envisagent plus de quitter les sœurs par deux pour vivre éloignées de la communauté même si leurs relations avec les paroissiens sont souvent très affectueuses et profondes. Elles envisagent plutôt leur rôle comme celui de conseillères bienveillantes et pour cela se forment à la psychologie pour être capables de mieux répondre aux demandes des membres de la communauté. La question matérielle de leur existence ne semble pas d’après leurs témoignages beaucoup les inquiéter : Dieu et leurs aînées y pourvoiront… Nées au milieu des années 90, elles ont grandi dans une Chine développée et choisissent ainsi de renoncer à l’hyper consommation environnante. Se préparant à la pauvreté et au dénuement, elles sont en cela très éloignées des attentes de leur génération. Les aspirations de ces jeunes femmes sont totalement soutenues par leurs aïnées.

EDA du 23.11.2017 

dmc