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VOYAGE AU BOUT DE LA CHRETIENTE

Le postulant constatait d’abord que jusqu’à présent sa vie avait été remplie par ses études et qu’il n’avait guère visé qu’à l’ambition d’être en toutes matières le premier de ses camarades de cours. Mais, maintenant qu’il était arrivé à l’âge où il faut choisir,

il percevait parfaitement la vanité de tout cela ; c’est pourquoi il se décidait pour les missions si on voulait bien l’y admettre. Ses raisons ? Il énumérait d’abord les plus hautes : grandeur de la vocation missionnaire ; désir de sauver les âmes… Enfin, il ajoutait à peu près ceci, que je cite de mémoire : « Il y a encore un autre motif que j’ai un peu honte de vous avouer ; mais je crois qu’il est de mon devoir de le faire si je veux me présenter en toute loyauté : il y a chez moi un goût de l’aventure et du risque qui, se combinant avec le désir de servir Dieu, me fait regarder vers les missions lointaines… »

Les Missions Etrangères de Paris, mieux servies encore, ont dans leur immense secteur d’Extrême-Orient la terre mystérieuse et inaccessible par excellence : le Thibet, dans lequel il est toujours interdit de pénétrer.

En 1846, ce fut la tentative célèbre des deux lazaristes Gabet et Huc ; ce dernier en a laissé un inoubliable récit. En cette même année, la Propagande confiait l’évangélisation du Thibet aux Missions Etrangères de Paris.

Tandis que Renou et les siens essayaient de passer la frontière sino-thibétaine, ses deux confrères Krick et Bourry tentaient la percée par les Indes. Ils étaient bientôt massacrés tous deux, ouvrant ainsi le martyrologe de ceux qui voulurent malgré tout la pénétration par l’Evangile de la Terre des Esprits.

Il arriva qu’à la suite d’une rectification de frontières la chrétienté de Yerkalo se trouva englobée dans el Thibet indépendant. A la faveur de rivalités de lamasseries, le missionnaire de Yerkalo, le P. Nussbaum, parvint à s’y maintenir longtemps ; mais, en 1940, il était mis à mort. C’était le onzième missionnaire des Missions Etrangères qui payait de sa vie la volonté d’ouvrir au Christ les portes du Thibet interdit.

Un missionnaire de ces régions me racontera par la suite avoir entendu le dialogue suivant entre deux Chinois de Wei-Si : « Dis-donc, toi qui as tout vu (l’interpellé avait été une fois en Birmanie), pourrais-tu m’expliquer la différence qu’il y a entre le Père et le Pasteur ? – C’est bien simple, fut-il répondu ; le Pasteur a une femme, n’a pas de barbe, et ne fume pas ; le Père n’a pas de femme, a une barbe, et fume comme un incendie. »

« Qu’importe, me disait Mgr Derouineau, prenez ces vues en toute conscience, et ayez la foi. » En fait, sur soixante-quatre photographies prises, je n’en ai conservé que vingt-six, moi qui étais habitué à ne plus en manquer une seule !

Francis Goré (MEP), Robert (Bob) Chappelet, Christian Simonnet (MEP), Chanoine Angelin Maurice Lovey, frère Louis Duc

Je lui demandai comment il avait pu s’orienter dans ce pays énorme, sans personne pour le guider – en marchant la nuit, par surcroît ; comment il avait pu rejoindre ceux qui l’avaient sauvé. Alors, à son tour, il me demanda ceci : « Votre religion vous permet-elle de croire aux apparitions ? (Forrest était protestant) – Oui, lui répondis-je, mais avec la plus grande circonspection. – Eh bien ! dit-il, ce qu’il y a de certain, c’est que toutes les nuits, à la même heure, j’ai vu le P. Dubernard, debout à quelques pas de moi, qui, sans rien dire, me montrait une direction. Et c’est ainsi que j’ai été sauvé… »

Mais il y a encore un épilogue à l’affaire. Peu après ces tragiques événements, l’explorateur Jacques Bacot avait baptisé la passe de Latsa : col Dubernard, en souvenir du martyr. Or c’est précisément sur la passe de Latsa qu’après de minutieux examens de divers emplacements se fixa le choix des chanoines du Grand-Saint-Bernard pour la construction de leur hospice ; en sorte que le col Dubernard devient le col du Saint-Bernard du Thibet… Si e n’est qu’un hasard, c’est en tout cas un heureux hasard.

Et Bacot explique : « Les habitants de Long-Djre vont chaque année, après la fonte des neiges, visiter les gouffres de la Dokerla et dépouillent les morts de leurs bijoux d’argent. Ils sont chargés par Lhassa de la police de la frontière et doivent barrer la route aux étrangers. On leur laisse en échange leur sinistre droit d’épaves. Les gens de Long-Djre sont peu bienveillants et leurs maisons inhospitalière… »

Nous pouvons tenter la chance de reconnaître cet itinéraire plus court, car les bêtes marchent à vide et ne se fatigueront pas trop si la route est dure. A notre connaissance, en fait d’Européens, seuls l’explorateur autrichien Handel-Mazzetti et le chanoine Melly, premier supérieur du Saint-Bernard de Wei-Si, avaient jusqu’ici emprunté cette piste.

Extraits tirés de “THIBET – VOYAGE AU BOUT DE LA CHRETIENTE”  du père Christian Simonnet des Missions Etrangères de Paris paru aux Editions « Monde Nouveau » Paris – 1949

DMC  en la fête de Saint Benoit 2016