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VOYAGE DES CHANOINES EN 1999

A LA VEILLE D’UN DEPART

Béni sois-Tu, Seigneur, pour la route… qui nous conduit plus loin, vers d’autres horizons, vers l’inconnu, où Tu as tant de choses à nous faire découvrir:

Ainsi donc, pour marquer le 50ème anniversaire du martyre du Bx Maurice Tornay et de son serviteur Doci – tombés sous les balles des lamas le 11 août 1949 – la communauté des chanoines du St-Bernard a formé ce beau projet: envoyer sur les lieux de notre ancienne mission une petite troupe de 9 confrères. Du
lundi 30 août au mardi 21 septembre, ils s’en iront marcher sur les traces de nos missionnaires: Taiwan-Yunnan-Yerkalo. Le P. Gabriel Délèze, pêché au passage dans le Pacifique, les accompagnera sur le continent chinois.

Le lecteur peut s’attendre à un reportage colorié, vu la palette des partants.

Mais voici quelques sentiments qui se font plus vifs à l’approche de ce grand voyage.

Nous voulons aller là-bas en pèlerins, même s’il faudra donner l’apparence de touristes à l’aventure. Une profonde émotion nous saisit à la pensée que nos prédécesseurs avaient résolu de se consacrer entièrement à porter l’évangile en ces régions qu’on pouvait bien alors considérer comme les limites du monde. Regardons ces jeunes hommes des années 30, et jusqu’en 1946, qui se sont laissé interpeller par l’immense souci du Christ de ramener au Père tous ses enfants dispersés. Pour eux ce fut petit à petit, lentement mûri, ou éblouissant comme l’éclair, l’impératif incontournable: “Comme le Père M’a envoyé…

Qui enverrai-je? quel sera notre messager? – Me voici, envoie-moi”. Nous avons davantage de peine à saisir aujourd’hui l’acui¬té de cette urgence, qui demeure pourtant. Une meilleure intelligence des cultures et des religions de l’âme humaine, ainsi que du coeur de Dieu Lui-même sans doute, incline l’esprit à être moins tranchant non pas tant sur la question du dessein universel de salut (“Dieu veut que tous les hommes soient sau¬vés et parviennent à la connaissance de la vérité”) – chose bien admise de nos jours – mais sur le point des innombrables manières secrètes, insoupçonnables par où le divin peut se dévoiler à qui le cherche avec droiture. Oui, bien sûr. Nous devons évidemment nous réjouir de cette mystérieuse attraction vers la vraie lumière, qui parait se lever comme une aurore.

Il n’empêche que les disciples du Christ ne sont pas libres de leur emploi du temps, de leur présence au monde. “Vous êtes le sel de la terre”. Cela n’est pas à bien plaire: “Si le sel perd sa saveur…” Peut-on entendre l’avertissement sans redou¬ter la suite: n’être plus bon à rien, être piétiné justement, comme du gravier, sous le pied des passants? Nos pèlerins atten¬dent de leur marche lointaine un remède à l’engourdissement de l’élan missionnaire.

Un autre aspect de cette expédition pacifique ce sera de voir de nos yeux des communautés chrétiennes bien vivantes, en dépit de tous les vents contraires qui se sont abattus contre elles. Déjà d’autres voyageurs ont rapporté des témoignages boulever¬sants sur leur persévérance à se réunir, à prier, à se soutenir dans des conditions de précarité et de dénuement qui nous rendent honteux de nos mille aises. Avouons, en effet, que nous sommes plus que gâtés en commodités de tous genres, matérielles et spirituelles, et il nous arrive d’en réclamer encore.

Une bonne rencontre de choc avec la foi levée en terre aride va ra¬nimer notre louange et notre action de grâce pour ce dont nous nous trouvons comblés, sans que nous nous soyons trop fatigués pour obtenir cet héritage. Tandis que là-bas nous touchons du doigt le fruit du sacrifice innombrable et inconnu del peines que fait oublier ce présent gonflé d’espérance.

A propos des labeurs dépensés par nos devanciers, nous entendons honorer tout particulièrement le total don de soi de nos martyrs, la preuve du plus grand amour. Pourrons-nous, autrement qu’en désir et en esprit, gravir les pentes du Choula où Maurice et Doci ont versé leur sang? Qu’importe, après tout, la manière
de notre vénération? Le fait est là, irrécusable: la croix du Christ a été plantée là-haut.

La vieille parole de Tertullien, passée au cours des siècles en joli dicton, crie à nouveau son actualité: “Le sang des chrétiens, c’est une semence: Le répandre, c’est les multiplier…” Ainsi l’histoire sainte se répète, ainsi progresse le Royaume, depuis la première et magistrale erreur commise à son sujet:

“Si les princes de ce monde avaient connu la sagesse de Dieu, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire”. Mais ils l’ont fait, par bonheur pour le monde, et pour nous. Et Maurice et Doci ont été massacrés: bonheur pour le Tibet: Nous pousse¬rons presque certainement jusqu’à Yerkalo – l’unique poste mis¬sionnaire en Tibet interdit: – pour voir le lieu où leurs corps ont été déposés.

Nos lecteurs l’ont appris en son temps: nos deux martyrs reçurent une première sépulture, par les soins de notre valeureux P. Alphonse Savioz, dans le jardin de la Mission d’Atundzé. Mais voici qu’en 1986 quelques chrétiens de Yerkalo réussirent ce véritable exploit: la translation des restes de nos martyrs à
Yerkalo précisément, la terre qui les refusait de leur vivant, fécondée maintenant comme malgré elle par le mystérieux ensemencement.

Prendre la route, en définitive, c’est prendre le Christ (“Je suis la Route…”), c’est marcher avec Lui, c’est marcher pour Lui, c’est Le porter aussi là où I1 désire se rendre aujourd’ hui pour visiter Ses frères et soeurs de là-bas.

Un défi reste pour nous à relever: Sous nos fringues de touristes européens, laisserons-nous transparaître quelque reflet de Sa présence? “C’est à ce signe que tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à l’amour que vous aurez les uns pour les autres”. Il faudra que nous nous en souvenions.

Et qui sait si demain d’autres confrères du St-Bernard ne pour¬ront pas partir à nouveau, non sous les dehors de voyageurs curieux, mais en vrais missionnaires de l’évangile, comme ceux dont nous allons retrouver les traces de lumière. Il se pour¬rait en effet que,bientôt,quelque jeune confrère, comme autre¬fois saint Paul à Troas entendit en vision l’appel au secours d’un Macédonien, soit persuadé que Dieu nous demande d’aller reprendre au Tibet notre place, notre tâche à peine commencée, ou plutôt commencée avec tant de peine.

Si seulement:

Hilaire alias Tchouai – le tordu

 dmc