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ZACHARIE par CHNE CYRILLE LATTION

Dans la lettre des Apprentis, il fut question d’un certain Zacharie. Vous vous demandez peut-être, et avec raison, qui est ce Zacharie et ce qu’il vient faire ici.

Ceux qui ont vécu pendant quelque temps aux confins de la Chine et du Thibet connaissent Zacharie, ou, pour le moins, ont entendu ce nom. Il. est en effet impossible de parler de la Mission du Thibet, région de la Salouen, sans prononcer le nom de Zacharie, un homme de Dieu.

Zacharie est né en 1904 de parents chrétiens, dans le petit hameau de Tsadong du district de Bahang, dans la Haute-Salouen. Il fut le troisième d’une famille de cinq enfants. Il fut baptisé quelques jours après sa naissance par le P. Tou (Jules Etienne Dubernard).

Après les années d’école primaire, dans les écoles de la Mission instituées par le P. Ly et le P. André, ce dernier l’envoie à Yerkalo pour y étudier le thibétain. Zacharie passe deux ans dans ce poste où il s’initie à la fois à la langue thibétaine, et à la doctrine catholique comprenant une étude prolongée des fins dernières. Il doit revenir en pays chinois à la suite de la révolte des Thibétains contre les Chinois et de la persécution contre l’Eglise qui s’ensuivit.

Il revient donc à Tsechung où il poursuit les mêmes études sous la direction du P. Ouvrard et passe quatre mois à Siao Weisi, où le P. Ly lui enseigne un peu de chinois ainsi que les prières du matin et du soir.

En 1928, le P. Genestier, qui revient de Hongkong, le ramène dans la vallée de la Salouen où il rejoint sa famille. Le P. Ly voudrait l’envoyer à Tatsienlou, au Centre de la Mission, mais les PP. André et Genestier s’y opposent formellement, car ils ont un besoin urgent d’un catéchiste aussi bien que d’un maître d’école capable d’enseigner aux jeunes «Loutzes» les éléments de la langue thibétaine aussi bien que de la doctrine chrétienne. Catéchiste, maître d’école, chef de chrétienté, des fonctions qu’il exercera jusqu’à l’expulsion du P. André par les Rouges en 1952.

En 1932, il s’unit par les liens du mariage à une jeune fille, Cécile Leang, d’origine chinoise. Son grand-père, ou son arrière-grand-père venait du Chansi et avait été amené dans la mission par un père français dont Zacharie ignore le nom. On l’appelait le P. Banjou, parce qu’il disait «Bonjour» aux personnes qu’il rencontrait. Le P. Genestier avait à son tour amené dans la vallée de la Salouen un descendant de ce M. Leang pour en faire son homme d’affaires. De cette union naquirent dix enfants, six garçons et quatre filles. La première des filles était mariée quand Zacharie dut s’expatrier et la dernière n’avait que trois mois. Son second fils José l’a suivi jusqu’à Formose. Il vient d’ailleurs de nous annoncer sa visite prochaine en compagnie d’un ancien séminariste du P. Tornay et ensuite apprenti cordonnier à la mission de Weisi. C’est tout un poème…

Le P. Burdin succéda au P. André à Bahang. Zacharie obtint de lui une année de congé qu’il employa à construire la maison familiale. Au début de la dernière guerre, coupés qu’ils étaient du reste du monde, les missionnaires se demandaient comment ils allaient survivre. Zacharie prit le bâton de pèlerin et à la demande du P. Burdin se dirigea vers la Birmanie pour essayer d’établir le contact avec l’Europe. Il tomba malade en route et revint à Bahang sans avoir pu remplir son mandat.

Sur ces entrefaites, le P. Nussbaum, curé de Yerkalo, avait été massacré par des brigands. Dès le lendemain du retour de Zacharie, le P. Burdin quittait Bahang pour rejoindre le poste thibétain rendu vacant par le martyre du titulaire. Et bientôt après le P. André rejoignait son poste de Bahang qu’il garda jusqu’en 1952. Les Rouges avaient proclamé la liberté de religion mais ne voulaient pas voir chez eux d’autres missionnaires que les leurs.

Zacharie continue de s’occuper de sa nombreuse famille sans négliger les besoins de l’Eglise et de la Mission. Après le départ des Pères, les Loutses jouissent d’une liberté de culte complète jusqu’en 1958. La chrétienté de Bahang se réunit journellement pour les prières et chaque dimanche la rencontre des fidèles et la récitation des longues prières du dimanche maintiennent la foi des chrétiens et l’espoir du retour de jours meilleurs.

En 1958, les portes de l’église sont scellées et les nouveaux maîtres occupent les bâtiments de la Mission. La vie de la tribu est bouleversée par la propagande insensée lancée par le nouveau régime. Les accusations commencent à pleuvoir et les jugements populaires fonctionnent sans arrêt. Le beau-frère de Zacharie est arrêté, puis son frère. Averti par sa soeur de son arrestation imminente, Zacharie décide de s’expatrier. Il emmène avec lui son second fils, José, et met le cap sur la Birmanie. Ils évitent les routes tracées et les chemins battus et pendant neuf longues journées, ils ne rencontrent pas âme qui vive.

Seul celui qui a vécu dans ces pays peut comprendre ce que signifie une telle fuite en dehors de tout chemin tracé. Ils apprendront, en Birmanie, que le frère arrêté a été fusillé.

La vie des exilés en Birmanie, leur incarcération, leur libération, leur arrivée à Formose, il y a là matière d’une nouvelle épopée que je vous raconterai peut-être un jour.

Je vous dirai pour terminer que Zacharie a retrouvé un peu de son pays auprès des Pères du Saint-Bernard.

A Hsincheng, il a ouvert un jardin qui nous fournit en légumes. Il passe des heures entières devant le Saint Sacrement. Il n’a qu’un désir: passer le reste de ses jours au service de l’Église. Les Taiwannais branlent la tête quand ils apprennent qu’il refuse tout salaire…

Hsincheng, le 11 juin 1976.

Cyrille Lattion, C.R.

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