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LA REVANCHE DU PETIT LISSOU

LA REVANCHE DU PETIT LISSOU Au début de juin … , je reçois un message de monsieur Yan-Appa, le plus riche marchand du district de Kung-Shan dans la Haute Salouen. Il m’invite, ainsi que tous les notables de la vallée, à venir assister aux obsèques de son frère. Je n’hésite pas ! D’abord Appa est une vieille connaissance, presque un copain… et puis une petite semaine de banquets me changera agréablement de mon maïs quotidien !  J’atteins Sekkim en deux jours de cheval, le long du fleuve. Je vais saluer le maître de céans et je me rends au salon pour les trois révérences habituelles devant le cercueil laqué de rouge, gardé par des parents vêtus de blanc. Dans la cour je m’arrête un moment pour observer les hommes de la religion venus s’occuper de l’âme du défunt. 

Au rez-de-chaussée, dix lamas rouges, les voisins de mon village du Peu-Djrong, font un vacarme qui fait trembler les murs du bâtiment. Bien qu’il n’y ait pas la toute grosse caisse, ni les toutes longues trompes, ils développent un nombre impressionnant de décibels.  Au premier étage, des bonzes taoïstes, en gris, ont beau agiter leurs clochettes et taper sur leurs gongs, on ne les entend que lorsque les lamas arrêtent la musique pour réciter des prières.  

Je médite sur l’embarras du défunt que les lamas poussent avec beaucoup de bruit vers une réincarnation avantageuse, tandis que les bonzes cherchent fermement à la décider à dépenser au Paradis de l’Ouest les lingots d’or et d’argent — en papier — qu’on brûlera pour lui. Mon neveu Aqui et son maître d’école Perdu dans mes réflexions il me faut un moment avant de m’apercevoir que quelqu’un est cramponné à ma main gauche. Je baisse la tête et je vois un élève de l’école officielle, en uniforme bleu à boutons dorés, la visière de la casquette plate m’empêche de distinguer le visage… alors de la main droite je soulève le menton et reste stupéfait : c’est mon neveu Aqui, le fils de Toa Bo, mon frère «de sang».  Je suis aussi profondément choqué : ce n’est pas la figure joyeuse, les yeux pétillants de gaieté, mais un regard terne dans un visage de gosse malheureux. Je l’entraîne vers mon logis — une maison qui appartient à la Mission — et lui demande: «Que diable fais-tu dans cette école de malheur?» — «Après le nouvel-an chinois, le mandarin a convaincu mon père, qu’en tant que chef, il se devait de m’envoyer à l’école». — «Et tu n’y es pas bien?» — «Non… et moi peut-être moins que les autres parce que je suis fils de chef». — «Et pourquoi ne prends-tu pas le large?» (la moitié des gamins sont en fuite)… — «Mon père a dit qu’un fils de chef ne doit pas s’enfuir». Nous y voilà. Ma première impulsion c’est d’aller chercher des habits pour le gamin, de jeter l’uniforme au fleuve et de l’emmener chez moi, dans le Nord. Oh ce n’est pas que j’aie peur du mandarin ou d’une accusation de kidnappage d’un élève de l’école officielle, mais, à la réflexion, je pense que ce serait faire perdre la face à Toa Bo.  Alors, en désespoir de cause, je fais la chose la plus stupide que je pouvais faire en l’occurrence. Je n’ai jamais compris, après, comment j’ai pu le faire… Je prends le gamin par la main et je pars à la recherche de l’instituteur.  Je le trouve attablé avec un groupe d’invités, buvant du vin de riz. Tâchant d’être aussi poli que possible, je le salue et lui dis: «Monsieur Lieou, ce garçon me touche de très près… c’est tout à fait normal que vous le punissiez s’il est méchant, s’il fait des bêtises, mais je vous prie de vous abstenir de toute punition corporelle injustifiée.  J’espère que vous m’éviterez d’avoir à intervenir». Il répond par un bredouillement incompréhensible, mais le regard furieux qu’il jette à Aqui me fait comprendre que je viens de commettre une gaffe énorme. Enfin, pour la durée des obsèques l’école est en congé. Je garde Aqui près de moi. Et tous les moments où je peux m’évader d’une hospitalité tant soit peu tyrannique, je prends mon fusil de chasse et emmène mon neveu à la recherche de canards sauvages dans les rochers au bord du fleuve.  Il retrouve un petit peu de gaieté, mais tous les deux nous sommes attristés à l’idée de séparation. Avant de monter à cheval pour retourner chez moi, je lui recommande de me faire savoir si monsieur Lieou continue à le maltraiter. Une semaine à peine après mon retour un élève tibétain en fuite vient m’apporter de mauvaises nouvelles. Loin d’avoir été intimidé par mon in-tervention, monsieur Lieou est plus méchant que jamais. «Ah, dit-il au gamin, tu as voulu mêler un étranger à mes affaires… ah, tu veux qu’un étranger me dise comment je dois conduire mon école… ah, tu crois que j’ai peur de ton étranger…» et à chaque exclamation ce sont des coups. Je suis pris d’une furieuse envie de monter à cheval et de foncer à Sekkim pour faire danser monsieur Lieou à coups de fouet. Mais le scandale serait un peu gros. Alors je décide de porter plainte au Ministère de l’Education à Kuen Ming, capitale de la province, sachant qu’il faudrait beaucoup de temps avant qu’un effet quelconque puisse se produire. La revanche Heureusement, peu de jours après arrive la nouvelle que monsieur Lieou a mis l’école en vacance et qu’il a quitté la Salouen pour aller voir sa famille à Li-Tchiang. Je suis rassuré: pour le moment au moins mon neveu est tranquille. Et peu de jours après encore, une nouvelle arrive qui doit être bonne, parce qu’elle a l’air de faire plaisir à tous les gens que je rencontre: pillé par des brigands au col de Latsa, monsieur Lieou est arrivé dans la vallée du Mé-kong ayant sur lui pour tout vêtement un tablier de feuilles de rhododendrons et le corps marbré de taches bleues et noires. Sûr qu’il ne reviendra pas volontiers dans la vallée de la Salouen, je suis tranquille. Quinze jours ou trois semaines plus tard, j’arrive chez Toa Bo, à Méta-Ka. Un coup d’oeil suffit à me rassurer : Aqui a retrouvé son joli visage joyeux et ses yeux étincelants. Comme lors de toutes mes visites, on prépare un festin.  Toa Bo et moi, plus nos voisins accourus, nous nous installons près du feu, nos bols de bière à la main. Je ne parle pas de monsieur Lieou.  Toa Bo est chef de la police et une attaque à Latsa fait tort à sa réputation. Je préfère ne pas en parler. A la fin de la soirée, lorsque je vais me coucher dans un coin de la pièce, où Aqui est déjà étendu à la place à côté de la mienne, je vois que ces dames m’ont préparé un lit très confortable : une couverture est étendue sur les bambous tressés du plancher, une pile de vêtements doit me servir d’oreiller.  Je me couche, je pose la tête sur l’oreiller… un objet dur, rond, me gêne considérablement, sous ma joue. Je me rassieds, j’enlève le vêtement du dessus, je le déplie : c’est une veste sur le devant de laquelle est fixé un gros insigne rond portant l’effigie de Sun Yat-Sen, fondateur et père de la République, comme beaucoup de fonctionnaires portent. Je regarde cette veste qui me dit quelque chose.  Je cherche à me rappeler où j’ai déjà pu l’apercevoir. Et soudain, dans mon esprit quelque peu embrouillé par le vin de sorgho, la lumière se fait : c’est sur monsieur Lieou, l’instituteur de l’école de Sekkim, que j’ai vu cette veste. Je vois qu’Aqui ne dort pas et que ses yeux sont fixés sur moi.  Je lui montre la veste et demande à voix basse :«Qu’est-ce que c’est ?» Alors, comme détendu par un ressort, il se jette contre moi, met les bras autour de mon cou, sa bouche contre mon oreille, et je sens dans sa voix une félicité totale lorsqu’il me souffle : «J’étais caché dans les buissons pendant qu’ils le battaient ». Nous y voilà. «C’est ton père? – Non, mes deux oncles et des amis». Me voilà donc complice moral d’un brigandage.  En tant que citoyen honnête, mon devoir consisterait à dénoncer les coupables aux autorités. Mais je replie le vêtement, je le mets au fond de la pile, je me recouche et à ma grande honte je dois dire que mon neveu et moi nous nous endormons en souriant. Le lendemain, ou le surlendemain, je monte au col inspecter mon chantier. Aqui m’accompagne, fièrement perché sur le cheval qui porte les bagages. Au col il me montre le lieu du crime. Et je peux voir sur lui combien ce souvenir lui fait plaisir.  Je ne lui demande pas comment cela se fait-il que l’attaque ayant été commise par ses oncles, et des amis, une partie du butin ait pu me servir d’oreiller dans la maison de son père !  Pourquoi poser des questions indiscrètes à un innocent petit Lissou? Je suis sûr que monsieur Lieou ne viendra plus battre les enfants de l’école gouvernementale de Sekkim. Et, en effet, jamais plus on n’entendra parler de lui dans la Haute Salouen. BOB CHAPPELET   (GSB 1987/3)  NOTA BENE : Pour mieux connaître une partie de la vie du seul laïc misssionnaire de la mission dite du Thibet dans le Yunnan, à savoir Robert CHAPPELET, dit Bob, vous devez absoluement vous référer au maître livre écrit par le journaliste (à ANIMAN), conteur, historien, Jean-louis Conne, intitulé « LA CROIX TIBETAINE » et paru aux éditions « MONDIALIS » www.editionsmondialis.com