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PRIERE DU VOYAGEUR

Seigneur, il y a une prière

Que je n’ose jamais faire,

Car, il ne faut pas demander

Des choses n’étant que vanité.

Pourtant, du fond de mon vieux coeur,

Je voudrais pouvoir dire: Seigneur,

Laissez-moi, avant de mourir

Encore une seule fois parcourir
La piste sous le soleil chaud

Quand les sabots de nos chevaux

Font se lever en nuages bas
La poussière grise à chaque pas.

Trotter sur la route en chantant

Ou rêver, en me balançant
Au rythme de mon étalon,
De voyages toujours plus longs.

Jouir du plaisir sans égal
De faire galoper mon cheval.

De faire flotter les bannières

De sa queue, de sa crinière.
Laissez-moi, encore un seul soir

Au feu de camp venir m’asseoir.

Mon bol de bois, doublé d’argent,

Rempli de thé beurré fumant,

Avec mes amis tibétains
Evoquer nos voyages anciens,

L’alcool de riz nous faisant rire.

Enfin m’étendre pour dormir

Sous la grande voûte étoilée,

Ma selle me servant d’oreiller.
Vigilant comme nos chiens poilus,

Conscient de chaque bruit incongru.
Reprendre la route avant
Que ne rougisse le firmament.

Chantant nia prière du malin

Tout comme mes amis tibétains,

A haute voix, comme il le faut,

Pour être entendu d’en haut.

Traverser de beaux villages
Aux maisons à deux étages.
Les chiens hurlant sur les toits plats,
Les hommes me saluant très bas.

Jeter aux filles un mot taquin
Et des sous aux petits bambins.

M’arrêter pour un bol de thé,

Simple prétexte à galoper,
Pour aller rattraper plus loin

La caravane en chemin.

Affronter un de ces hasards

Que l’on rencontre tôt ou tard.

Un danger pour hommes et bêtes,
L’orage, la neige, la tempête,

Qui n’ont pu porter ombrage

A ma passion des voyages.

Si votre Précieux Sang, Seigneur
Rachète le pauvre pécheur

Et, qu’à la fin de cette vie
Je puisse aller en Paradis.
Je voudrais pouvoir y aller

A travers toute l’immensité,

Par une Grâce très spéciale,

En caravane, à cheval.
Quelques braves Caravaniers

Viendraient volontiers me chercher.

Comme jadis, lors de mes retours

Après des voyages au long cours.

Seigneur, et si nous lambinions,

Cette fois plus que de raison,

C’est que nous aurions, grâce à vous,

Toute l’éternité devant nous.
Et qu’il faudrait sûrement prévoir,

Un long campement au Purgatoire.
Et nous chaulerions en chemin
De beaux cantiques tibétains,

D’action de grâce et d’amour,

En marchant, tout au long du jour.
Nous, caravaniers bienheureux,

Sauvés, élus et poussiéreux,
Des bottes jusqu’au bonnet à poil,
De lumineuse poussière d’étoiles.

Robert Chappelet 1993