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CHINE VERSUS USA

LA CHINE S’EMPARE OFFICIELLEMENT DU PACIFIQUE

La visite de Donald Trump à Pékin restera-t-elle dans l’histoire comme le baroud d’honneur des États-Unis avant la cession de la suprématie géopolitique au géant chinois — dans le Pacifique à tout le moins?

Si l’on s’en tient à la couverture proposée par la grande presse, le bilan de la tournée de Trump en Asie, du 4 au 14 novembre derniers, est plus que mitigé. Il en est certes revenu avec 253,4 milliards de dollars d’accords commerciaux. Mais on s’empresse de rappeler que nombre d’entre eux relèvent de simples promesses sans engagement, voire d’engagement sans contenu encore chiffrable. Tel est le cas notamment de l’accord de coopération stratégique sur cinq ans, signé entre Caterpillar et le nouveau numéro 1 mondial de l’énergie qu’est devenu, l’été dernier, China Energy. On précise également que d’autres contrats étaient acquis du temps d’Obama, comme la vente de 300 Boeing, négociée en fait dès 2015, contre l’implantation d’une usine de l’avionneur américain en Chine.

Quant aux investissements chinois aux États-Unis, certains sont envisagés à tellement long terme que beaucoup de choses pourront interférer dans le futur, comme par exemple les 43 milliards promis pour extraire du gaz naturel liquéfié d’Alaska. Cela étant, même si cette moisson de contrats ne couvre qu’un petit semestre de l’excédent commercial chinois vis-à-vis des États-Unis, qui est de 223 milliards de dollars, il va donner du travail à des dizaines de milliers d’Américains sur plusieurs années. Cette promesse, Trump l’aura au moins tenue.

Mais qu’à cela ne tienne, ce qui compte pour la grande presse c’est que Trump personnifie à lui seul le déclin de la puissance américaine face à la Chine et qu’il en soit responsable.

Pour autant, Trump n’est en rien coupable de la formidable montée en puissance de la Chine depuis 45 ans. N’est-ce pas Nixon qui a le premier offert le marché américain en pâture à la Chine dès 1972, avec comme premier objectif d’affaiblir l’URSS et de disqualifier le système communiste du parti unique?

Si l’URSS a certes disparu, le parti communiste chinois (PCC) se porte encore à merveille et le récent remaniement gouvernemental chinois du 25 octobre s’est passé en douceur. Lorsqu’il recevait Trump, le Secrétaire général du PCC venait non seulement d’être reconduit dans cette fonction suprême pour cinq ans, mais voyait son dogme inscrit dans la charte du parti de son vivant. Un honneur dont seul Mao Zedong avait bénéficié jusque-là. A quand l’effigie de «Xi Dada» (sobriquet officiel de Xi Jinping) sur les billets de renminbi?

Le langage très éloquent des missiles

Le Secrétaire général ne s’est d’ailleurs pas privé de rappeler qu’il est aussi le chef de l’armée chinoise, plus exactement, l’armée du parti. ( Rappelons en effet qu’en Chine, l’Armée populaire de Libération est d’abord au service du parti et que sa première mission est de «maintenir le parti au pouvoir)». En sa qualité de président fraîchement réélu de la Commission militaire centrale, Xi Jinping a par exemple ordonné le tir d’au moins un missile balistique intercontinental (ICBM) sur le désert de Gobi, deux jours avant l’arrivée de Trump. Avec sa portée de 12 000 km et sa vitesse de mach 25, ce missile DF-41 dernier cri (pour Dong Feng-41, c’est-à-dire «Vent d’Est»), pourrait atteindre n’importe quelle cible aux États-Unis (et en Europe) en une vingtaine de minutes. Un tel coup de semonce, dont personne ne parle dans nos régions, porte évidemment à réfléchir dans le contexte belliqueux qui se développe autour de la Corée du Nord. Il signifie assurément que la Chine ne cédera pas ce pays aux caprices du Pentagone.

A propos de Taïwan, comme chat sur braises…

Très peu de commentateurs mettent par ailleurs en perspective l’obtention des accords commerciaux précités avec la position de Trump à l’égard de Taïwan. Ce sujet fut le grand absent des déclarations officielles des deux chefs d’État, ce qui témoigne a contrario de toute son importance. Mais le ministère chinois des Affaires étrangères n’a pu s’empêcher de savourer sa puissance, au détour d’un communiqué laconique, rappelant que «la question de Taïwan est centrale. C’est la plus importante et la plus sensible dans les relations sino-américaines. Elle constitue la base politique des relations sino-américaines». Autrement dit, sans un alignement de Trump sur cette question, il n’y aurait eu aucun contrat. Point final.

On s’accorde alors à penser que le grand tapage de Trump en faveur d’une Taïwan indépendante, durant sa campagne et au lendemain de son élection, n’était qu’une monnaie d’échange pour avancer sur la Corée. L’envoi d’un émissaire chinois de haut rang en Corée du Nord, sitôt que Trump eut terminé sa tournée asiatique, en serait la confirmation. Le fait qu’au lieu du général des forces balistiques stratégiques Wei Fenghe, pressenti au poste de vice président de la Commission Militaire du parti, Xi Jinping ait promu pour la première fois un général des forces aériennes à ce poste (le général Xu Qiliang), est très significatif à cet égard. Au-delà de la force de projection internationale qu’elle symbolise, l’armée de l’air chinoise a multiplié les exercices autour de Taïwan ces derniers mois et Xi Jinping s’est promis d’entrer dans l’histoire comme celui qui aura fait revenir l’ile dans le giron continental. Il y a de fortes chances que Trump le laisse avancer, à condition que les choses se fassent en douceur et que les États-Unis puissent poursuivre leur rééquilibrage des échanges. Trump pourra compter sur l’Inde pour titiller l’empire au cas où les choses s’envenimeraient, sans compter la déstabilisation de la Birmanie déjà en cours.

Inventaire du désastre

Trump aurait bien aimé s’appuyer sur une meilleure relation avec la Russie pour contrebalancer la puissance chinoise mais on sait ce qu’il en est. Personne ne se demande d’ailleurs si le lobby chinois n’y est pas non plus pour quelque chose. En tout cas, l’impossibilité pour Trump d’imposer l’organisation d’un véritable entretien politique avec Vladimir Poutine en marge du sommet de l’APEC rappelle à quel point la fonction présidentielle a perdu de son pouvoir au sein du régime américain.
Ce n’est pas le genre d’obstacle que rencontre Xi Jinping. La forte reprise en main doctrinale qui se produit en Chine depuis son arrivée au pouvoir en 2012, est connue de tous. En ces périodes troublées, elle permet surtout de préparer le pays à se défendre contre toute tentative subversive à l’encontre du régime communiste en place. La sanctification du dogme communiste s’est encore amplifiée dès le renouvellement du directoire chinois, le 25 octobre dernier. Après le lessivage anticorruption, le parti s’attaque maintenant à la religion de ses 90 millions de membres. C’est Chen Xi, un autre proche de Xi Jinping, qu’il vient tout juste de faire entrer au sein du politburo, qui se charge de le rappeler: «Les membres du parti doivent être athées, ne croire ni aux esprits ni aux dieux, mais seulement en Marx et Lénine.»

Cette référence aux fausses croyances n’est pas anodine: elle fut l’un des arguments déclencheurs de la révolution culturelle sous Mao et signifie qu’en cas de trouble intérieur, la réaction sera très ferme. Le «changement de régime» n’est-il pas l’une des armes de subversion préférée des États-Unis? Car Trump n’a sans doute pas dit son dernier mot. Au «rêve chinois» inscrit aujourd’hui comme «pensée de Xi Jinping » dans la charte du PCC, et à sa nouvelle route de la soie — «one road one belt » —, il a opposé l’avertissement suivant: «N’oublions jamais que le monde a beaucoup d’endroits, de rêves et de routes.» En résumé, le bilan de ce voyage démontre l’ampleur des dégâts que quarante-cinq ans de commerce avec la Chine ont causés à la puissance américaine, ne parlons même pas de l’Europe. Les atermoiements de Trump ne sont finalement que le reflet de cet héritage mais il est bien le premier président à vouloir en inverser la tendance. A croire que les grands médias américains travaillent pour le «fils du ciel» (天子)..

ANGLE MORT par Fernand Le Pic  (ANTIPRESSE du 19.11.2017)  

dmc