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LES TETES DE L’HYDRE

La révolution sexuelle. La révolution, disions-nous dans la précédente livraison de Choisir la Vie, est un tout, dont les parties sont si bien liées les unes aux autres qu’elles tiennent ou tombent ensemble. Le mal est ainsi toujours partie prenante d’un réseau de maux qui se renforcent et se soutiennent mutuellement. de sorte qu’il est illusoire de combattre seulement tel ou tel d’entre eux, en considérant les autres comme négligeables ou même, qui pis est, acceptables. Un petit détour mythologique permettra de mieux s’en convaincre, si l’on se rappelle les fameux douze Travaux imposés par le roi Eurysthée à Hercule. Il y avait, nous dit-on, un marais en Argolide, dans le Péloponnèse, où demeurait une créature serpentine aux multiples têtes,

la fatale hydre de Lerne, que nourrit Junon aux bras d’albâtre
pour assouvir son implacable haine contre Hercule.    (Hésiode, Théogonie, y. 313-15, trad. Bignan)

Le héros reçut pour mission d’éliminer l’Hydre, mais ses têtes tranchées repoussaient chaque fois, et deux têtes venaient remplacer chacune de celles qu’Hercule abattait. Le monstre chtonien demeurait invincible, immortel aussi longtemps qu’il conservait au moins l’une de ses têtes. Le combat paraissait désespéré. Appelant à la rescousse Iolaos, Hercule parvint cependant à tuer l’Hydre en confiant à son compagnon d’armes le soin de brûler systématiquement le moignon de chaque membre coupé, afin que la cautérisation ne permît pas à de nouvelles gueules avides de sortir du cou de la bête. Quand toutes les têtes eurent enfin été tranchées et que chacune des plaies eut été brûlée, la victoire revint à Hercule.

Suivant le poète grec Hésiode, l’Hydre de Lerne était l’engeance née des amours monstrueuses du redoutable Typhon et d’Echidna, sa partenaire hybride. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une nouvelle hydre née de l’union entre la Révolution française et le marxisme, tous deux engagés dans une guerre totale contre l’ordre de la création ; et le fruit empoisonné de leur conjonction impie est la révolution sexuelle, dont les différentes têtes sont l’avortement, la contraception, l’homosexualité et la pornographie et autres formes de libertinage. Le Marquis de Sade appelait de ses voeux une perversion systématique de toute moralité, et les disciples de Karl Marx soutenaient et soutiennent encore que ce qu’ils appellent la « répression sexuelle » est tout ensemble le produit et le ciment de la société bourgeoise dont ils ont juré la perte.

Ce n’est donc pas une surprise si les pionniers de la Révolution bolchevique en Russie, il y a tout juste un siècle, s’empressèrent de légiférer en faveur du divorce et de l’inconduite sexuelle. Ils étaient à juste titre convaincus que la liquidation de la religion et de la foi en Dieu entraînerait la destruction complète de la civilisation occidentale. Pragmatiques, ils avaient compris qu’un assaut direct contre la religion était voué à l’échec, et qu’un travail de sape serait nécessaire pour parvenir à leurs fins. Ainsi donc, plutôt que de prendre la religion elle-même pour cible, ils dirigèrent leur effort contre son pilier central dans l’ordre naturel, la famille. C’est la famille, en effet, l’époux et l’épouse s’unissant pour devenir parents, c’est la famille qui forme le berceau de la société et le lieu où se transmet la foi d’une génération à l’autre. La Révolution s’en prit donc à la famille, mettant tout en oeuvre pour la détruire et trouvant dans l’affirmation désordonnée de la sexualité le levier capable de défaire tous les liens de la société.

“La Révolution s’en prit donc à la famille, mettant tout en oeuvre pour la détruire et trouvant dans l’affirmation désordonnée de la sexualité le levier capable de défaire tous les liens de la société.»

Le résultat était si effrayant de déliquescence que les dirigeants de l’Union Soviétique durent prendre des mesures afin d’éviter l’effondrement complet de leur propre « paradis » socialiste. Alors qu’un anarchiste comme Trotski prônait une fuite en avant dans la révolution, Staline, plus décidément pragmatique, comprit que l’URSS ne survivrait pas longtemps à son propre programme révolutionnaire, dont la puissance subversive fut exportée afin de briser l’échine des pays occidentaux. Un juste retour des choses, en quelque sorte : Lénine n’avait-il pas été envoyé à Saint- Pétersbourg dans le fameux wagon plombé parti de Zürich ? Non pas scellé de plomb au sens propre, bien sûr, mais parce que personne ne pouvait y entrer, et que l’on veilla bien à ce que les révolutionnaires parvinssent en Russie pour y répandre leur idéologie destructrice : métaphore suggestive toutefois, car elle évoque les précautions que l’on prend en transportant une arme biologique. L’Occident a donc inoculé à la Russie le virus mortel du bolchevisme, et la Russie soviétique, en retour, a contaminé ensuite l’Occident en répandant dans le monde ses erreurs, selon la prédiction de Notre- Dame de Fatima.

Le psychanalyste marxiste Wilhelm Reich, exilé aux Etats-Unis, se désolait certes d’un retour à l’ordre moral en Russie stalinienne, au rebours des « idéaux » de la Révolution à outrance, mais il fondait de grands espoirs sur l’influence subversive de l’idéologie soviétique exportée vers l’Occident par la volonté perverse du petit père des peuples ». Reich ne vécut pas pour le voir, mais l’Histoire, hélas ! devait lui donner raison, quand la révolution sexuelle prit un essor spectaculaire à l’Ouest autour des événements de mai 68. Un demi siècle plus tard, loin d’être sortis de l’impasse, nous assistons au contraire à la liquidation des derniers reliquats de la civilisation occidentale au profit d’une barbarie entraînée, dans une bacchanale hallucinée, par les désordres sexuels comme par une hydre aux têtes multiples. Homosexualité, contraception, pornographie, avortement et, plus récemment, théorie du genre, sont autant de têtes d’une même hydre morale qui, sous prétexte d’amour libre, s’oppose à la nature créée par Dieu comme l’existence d’un monstre, dans le marais de Lerne, insultait à l’ordre du monde en déparant le kosmos (qui, en grec, est le nom même du monde, caractérisé par l’ordre et la beauté).

Ce sont bien les têtes d’une même aberration qui, sous les oripeaux flatteurs de l’émancipation, répand l’idée que la liberté est d’autant plus grande que l’individu peut assouvir ses pulsions sexuelles sans subir de contrainte d’aucune sorte. La recherche de la gratification sexuelle devient ainsi un droit, un devoir même pour quiconque veut affirmer sa liberté en se détachant des soi-disant « pesanteurs » de la tradition, de la règle, de la norme. La liberté, dans ce contexte révolutionnaire, ne signifie donc pas autre chose que l’affranchissement de toute contrariété comme aussi des conséquences les plus naturelles de l’exercice de la sexualité, considérées comme autant de fardeaux intolérables.

L’hydre libertaire vous déclare libre si la morsure infligée par chacune de ses têtes réduit à rien le sens de la mesure, la maîtrise de soi, la retenue et toutes les vertus qui rendent possible l’épanouissement d’une civilisation digne de ce nom. On voit ainsi quel lien de perversion réunit les désordres mentionnés ci-dessus et qui, tous, reviennent à dire que l’expression sexuelle peut être désolidarisée de sa fin naturelle, qui est la conception : la théorie du genre nie l’ordre de la nature, l’amour prétendument libre nie la responsabilité impliquée par la rencontre physique, l’homosexualité nie l’altérité entre l’homme la femme, la pornographie nie l’humanité du partenaire réduit à un pur objet de consommation, la contraception nie la continuité qui va de la rencontre intime à la naissance d’une nouvelle vie, et l’avortement nie en le tuant l’être humain conçu quand la contraception a échoué à biaiser avec la nature.

Et si quelqu’un vous dit que l’expression sexuelle ne doit pas être essentiellement liée à une conception possible, renvoyez-le donc à un cours fondamental de biologie où les organes concernés sont appelés «génitaux » précisément parce qu’ils sont identifiés d’après leur fonction propre et première : la génération. Ce n’est pas qu’ils doivent servir exclusivement à la génération, mais les employer en opposition avec leur nature propre et au mépris de cette fonction première comme s’il était permis de la remiser dans le cas où elle n’aurait pas l’heur de nous plaire, c’est aller à l’encontre de leur signification, c’est adopter un comportement fondamentalement désordonné, vicieux et contre-nature.

« On ne lutte pas efficacement contre l’avortement si on ne rejette pas l’homosexualité, la théorie du genre, la pornographie, l’amour « libre » et lacontraception. »

Bien sûr, il s’agit de manières distinctes de contredire la nature, mais toutes se retrouvent, par-delà leurs différences, dans une commune opposition à l’ordre des choses. Or qui peut prétendre s’accomplir en. refusant les choses telles qu’elles sont ? qui peut considérer le déni de réalité comme un progrès ? qui peut se targuer d’être libre, s’il refuse de reconnaître que le réel a d’autres lois que les caprices immatures de sa propre imagination égoïste ?

Il y a donc un lien intrinsèque entre les perversions énumérées précédemment ; et ce lien les rassemble à la manière des têtes de l’Hydre, qui ne meurt qu’à condition qu’on. ne laisse subsister aucune d’elles. On comprend ainsi qu’il serait vain de concentrer tous nos efforts d’un côté, en négligeant les autres. Représentons-nous un général chargé de défendre une citadelle menacée de toutes parts, et pensant qu’il suffira de garantir une tour en dégarnissant les autres de leurs défenseurs, ou même qu’il triomphera si seulement il a soin de faire garder la plupart des bastions, n’en négligeant « que » quelques-uns.

N’est-ce pas le comble de l’incompétence que d’imaginer un ennemi assez sot pour ne pas tirer parti du champ laissé libre pour investir la place sans coup férir ? Il en va de même quand nous combattons l’hydre de la révolution sexuelle, qui se propose de démanteler notre civilisation : si nous concentrons nos efforts sur une tête du monstre, nous nous épuiserons sans profit. De même si, négligeant seulement une de ses têtes quand nous tâchons de briser l’élan des autres, nous nous privons de toute possibilité de victoire. puisqu’aussi bien le monstre ne meurt qu’à la condition d’être privé de toutes ses têtes sans exception. Il en va de même dans la vie spirituelle, où il faut « poursuivre la lutte avec un coeur magnanime jusqu’à destruction totale de nos ennemis », comme l’écrit le théatin Scupoli dans son Combat spirituel si estimé de saint François de Sales. Et l’auteur de poursuivre : « Si vous en laissiez un seul en vie, il serait comme une paille en votre oeil et une lance à votre flanc, et il vous empêcherait de suivre le cours d’une si glorieuse victoire » (chapitre 61, trad. Fitte).

Il est assurément juste et bon de lutter contre l’avortement, mais négliger d’engager en même temps le combat contre les autres désordres sexuels, c’est d’entrée de jeu accorder à l’ennemi la victoire. Toutes les têtes doivent tomber pour qu’enfin la bête périsse : on ne lutte pas efficacement contre l’avortement si on ne rejette pas l’homosexualité, la théorie du genre, la pornographie, l’amour «libre » et la contraception. Même la contraception ? Sujet délicat, dira-t-on : les statistiques, en effet, font état de ce que, même parmi les chrétiens qui refusent l’avortement, beaucoup cèdent aux sirènes de la contraception et je parle ici de contraception artificielle, non des méthodes naturelles, dont la plus naturelle, rappelons-le tout de même, est l’abstinence.

Voulez-vous savoir où cela mène ? Les sirènes de la mythologie dévoraient ceux que leur chant avait ensorcelés pour les conduire de vie à trépas. La contraception conduit à l’avortement, c’est-à-dire à la mort, au meurtre de l’innocent. Non pas au sens où quiconque recourt à la contraception en viendrait nécessairement à avorter, mais au sens où la mentalité contraceptive n’a d’autre issue logique qu’un avortement possible.

Prenons une autre métaphore militaire, et supposons un général plus compétent que ne l’était celui du précédent exemple : que faire quand l’ennemi qu’on s’est efforcé de garder hors de la cité parvient à y pénétrer ? Le général avisé met tout en oeuvre pour repousser l’ennemi partout où il est parvenu à faire irruption dans la place, n’est-ce pas ?

Si l’ennemi est combattu aussi longtemps qu’il tente d’investir la citadelle, à plus forte raison on redouble d’effort pour le bouter dehors quand on le voit déjà parvenu à
ses fins et qu’on est soi-même aux abois. Appliquons à présent cette comparaison à la contraception et à l’avortement : l’enfant, dans les deux cas, est l’ennemi dont la présence paraît intolérable. Si donc il n’a pas été possible de parer à la venue d’un enfant, perçu comme un danger, par l’emploi d’un contraceptif, on ne manquera pas d’envisager l’avortement une fois que la menace s’est concrétisée dans le sein de la femme.

L’avortement et la contraception, tout en se distinguant évidemment, considèrent toutefois ensemble l’enfant à naître comme un ennemi et une menace. Et si vous n’êtes pas convaincu, consultez donc la rhétorique des promoteurs de la contraception, dont le mantra sans cesse repris et répété est qu’il faut se « protéger ».

Se protéger ? Serait-ce donc, Monsieur, que votre épouse est une ennemie dont vous devez vous protéger ? Ou bien l’ennemi, Madame, n’est-ce pas l’enfant à naître,
dont la possibilité vous fait à ce point horreur que vous le traitez comme une maladie dont il faudrait à tout prix vous prémunir ? Et si l’enfant seulement possible (avant la rencontre sexuelle) est cet ennemi, la conclusion logique est qu’il ne cessera pas d’être perçu comme un être hostile après qu’il aura été conçu. La mentalité contraceptive entend se passer de génération ; en bonne logique, elle ne peut cependant pas manquer de donner naissance au crime révoltant que constitue
l’avortement : son seul fruit est donc un fruit de mort. 

Sur toutes ces questions, il faut être ferme et refuser toute concession. Être ferme, ce n’est pas, comme on veut sottement nous le faire croire aujourd’hui, être rigide. Personne n’accuse de rigidité celui qui, à très juste titre, condamne fermement le viol comme une atteinte intolérable à la personne d’autrui. Le refus de la concession, en l’espèce, n’est pas gage d’héroïsme : c’est plutôt la moindre des choses. Quiconque manque de fermeté quand il en va de l’honneur de Dieu ou de la dignité de l’homme, créé à l’image de Dieu et à sa ressemblance (cf. Gn 1, 26), se compromet avec les ennemis de Dieu qui sont aussi les véritables ennemis de l’homme, même s’ils ne se présentent bien sûr pas sous ce nom. Manquer de fermeté, c’est donc être complice du mal auquel on n’a pas le courage de s’opposer, c’est favoriser le crime en encourageant le criminel, c’est faire défaut à l’humble et au faible en ne le protégeant pas contre les exactions des forts, qui sont en vérité les esclaves de leur propre égoïsme.

« Manquer de fermeté, c’est donc être complice du mal auquel on n’a pas le courage de s’opposer »

MERCIER STEPHANE Ph. D. – CLV – CHOISIR LA VIE N°22 – octobre – novembre 2018

DMC