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Famille Morse

01.- EXODE VERS HIDDEN VALLEY

Eugène Morse, auteur du livre, est né en 1921 dans une famille de missionnaires protestants.

Ses parents, J. Russell et Gertrude Morse, s’étaient mariés en 1920. Eugène et son frère Robert (1923) ont tous deux épousé des femmes américaines, en 1949, Helen et Betty. Ils ont chacun trois fils et trois filles dont, chez Eugène, David, Tom, Magaret, Ron, Marylin, Jeanette et, chez Robert, Joni, Stevie, Bobby, Geneviève. Drema Esther est la soeur adoptive tibétaine de Robert et Eugène. Elle est mariée avec Jesse et a une fille, Lucy, et un garçon, Michael Timothy. Le cadet de la famille Morse est LaVerne (1929).

En 1965, suite au coup d’Etat en Birmanie, la famille reçut l’ordre de quitter le pays, où elle était en mission protestante à Putao depuis 15 ans. Il leur fallut attendre 1972 pour obtenir le visa d’accueil d’un autre pays. Entre temps, la famille, accompagnée de la tribu des Lisous, dut se cacher des autorités tout en survivant sur un territoire hostile. Ils trouvèrent refuge dans la jungle, au lieu bien nommé de Hidden Valley (la Vallée Cachée).

02.- ORDRE D’EXPULSION

Alors, [les Égyptiens] réduisirent les enfants d’Israël à une dure servitude. Ils leur rendirent la vie amère par de rudes travaux en argile et en brique et par tous les ouvrages des champs : et c’était avec cruauté qu’ils leur imposaient toutes ces charges. Exode 1, 13-14

Comme il arrive tellement souvent dans la vie, notre grande aventure vient à nous sans que nous ne l’ayons cherchée. Ma famille et moi aimions beaucoup travailler et vivre dans les plaines fertiles de Putao, au Nord de la Birmanie. Nous y avons passé plus de quinze ans. C’était devenu un paradis pour les tribus locales et pour nous.

Nous n’envisagions pas de partir, jusqu’à ce fameux trois décembre 1965. Ce jour-là, mon frère Robert alla chercher le courrier hebdomadaire à l’office postal de Putao et il trouva un ordre du gouvernement.

Sujet : Ordre présidentiel et instruction de quitter le pays.

Par la présente, le gouvernement révolutionnaire de l’Union du Birmanie ordonne Mr, Mme, Melle (liste de nos noms) de quitter le pays par air ou par mer, avant minuit, vendredi 31 décembre 1965. Signé : Office de l’Immigration de Rangoon.

Nous étions atterrés. Mais la lettre semblait bien réelle. Alors, nous nous souvînmes du Roi Ezéchias de l’Ancien Testament qui, ayant reçu une lettre de ses ennemis, l’avait prise dans le temple et l’avait dépliée devant le Seigneur pour demander son aide en ce temps de détresse. Mon frère Robert, mes parents, mon épouse et moi-même fîmes la même chose. Nous prîmes la lettre d’expulsion à l’église et elle fut dépliée devant le Seigneur pour demander sa sagesse et sa force dans cette situation difficile.

Malgré que la réalité de l’expulsion fût un choc, elle n’était pas survenue sans avertissement. Trois ans plus tôt, le général Ne Win avait pris le contrôle du gouvernement de Birmanie par un coup d’état et, depuis, le pays avait glissé de plus en plus à gauche vers un socialisme dont les méthodes de discipline étaient les mêmes que nous avions connues en Chine vers la fin des années 40. Les tribus nomades habituées à se déplacer à leur gré avaient soudain vu leur liberté réduite : elles avaient désormais besoin d’un passeport pour se rendre dans des villages à moins de dix miles.

Dans la plaine de Putao vivaient deux tribus nomades Kachins, les Lisus et les Rawangs, comptant quelques quinze milles membres, dont la plupart étaient chrétiens. En tout, deux millions de Kachins vivent dans les montagnes de l’Etat du Kachin, au nord de la Birmanie, en Inde et en Chine. Du temps de l’Empire britannique, ils avaient réussi à garder leur indépendance et, en 1948, lorsque la Birmanie devint une république, ils reçurent une grande d’autonomie. Mais au fil des années, l’Etat du Kachin s’était senti oppressé et avait formé l’Armée d’Indépendance du Kachin (KIA).

La population parmi laquelle nous vivions était très prospère. Elle se trouva prise en étau entre la KIA et l’armée birmane. Le gouvernement suspectait bien sûr la population tribale de Putao de venir en aide à leurs cousins Kachin vivant dans les collines et, ainsi, la forçait finalement à se rendre dans les collines comme espions. La pression sur les chrétiens devenait aussi de plus en plus palpable et, souvent, l’office religieux du dimanche dégénérait en réunion politique. Comme missionnaires, nous devions rester neutres mais nous commencions aussi à rencontrer des ennuis personnels. Mon frère Robert en fit les frais lorsque le quatre juillet 1965 — date significative de la fête nationale américaine — on mit le feu à sa maison. Sa famille put sortir mais toutes ses notes furent en proie aux flammes.

Le temps était venu pour nous de quitter la Birmanie. Le plus dur était de le dire à nos amis. Cette tâche incomba à mon père qui le fit lors du service du dimanche dans notre “cathédrale”. Mon père avait vraiment l’aspect d’un patriarche à 69 ans avec ses cheveux gris. Il choisit le texte qui était devenu notre fil rouge depuis plus de quarante ans de persécutions politiques d’une partie à l’autre de l’Asie : Lorsque vous serez persécutés dans une ville, fuyez dans la suivante… (Mat 10,23). Après le service, la population s’attarda pour nous offrir leur aide. Un groupe était particulièrement insistant et disait que, si nous quittions Putao, ils viendraient avec nous.

L’après-midi, nous eûmes le rassemblement familial. Nous étions assis en paix parmi les magnifiques arbres fruitiers, dont mon père avait fait venir les boutures de Floride et de Californie. De plus en plus de familles avaient ainsi appris à faire pousser leurs propres arbres. Robert et son épouse Betty traduisaient le Nouveau Testament en Rawang. Moi, j’étais ingénieur et, ironiquement, j’avais fait améliorer la voie aérienne par laquelle nous allions probablement devoir partir. Nous allons devoir partir à Rangoon en avion, dis-je, Drema Esther est enceinte de 8 mois, sa fille Lucy a la varicelle. Bien sûr nous pourrions les laisser jusqu’à ce que le bébé arrive et…

Mon père rugit : L’abandonner ici ? Et Lesse ? Jamais ! Ce que nous ferons, nous le ferons tous ensemble. Chacun était plongé dans ses pensées puis mon père prit la parole : Nous cherchons la volonté de Dieu. Nous avons demandé de partir en avion mais je pense que nous devrions prier pour un signe. Le signe ne tarda pas à venir. On nous fit savoir que le règlement international de vol interdisait les femmes à un stade de grossesse avancée et les passagers souffrant de maladies contagieuses. Nous fîmes donc la demande aux autorités de retarder notre départ jusqu’à ce que le bébé soit né et l’enfant rétabli. Un membre proéminent du conseil, un docteur marxiste très arrogant, usa de son influence pour que la demande soit refusée.

Nous commençâmes à préparer nos bagages. Ce ne fut pas une mince affaire car il fallait nos affaires personnelles mais aussi de quoi survivre dans la jungle. Nous avions décidé de partir en grand secret pour plusieurs raisons. La plus importante était que si le gouvernement apprenait que nous partions vers la frontière de l’Inde par les montagnes, il penserait que nous essayions de joindre les membres du KIA et nous mettrait en prison.

03.- CHEMIN A PARCOURIR

Moïse répondit « Nous irons avec nos enfants et nos vieillards, avec nos fils et nos filles… »  Exode 10 ,9

Entre Putao et la frontière de l’Inde, il y a environ 70 miles d’une topographie extraordinaire. Cette région était la butte tellement redoutée des pilotes américains de la deuxième guerre mondiale : les avions ne pouvant pas monter au-dessus des sommets de 13 000 pieds, ils devaient trouver les rares passages sous 9 000 pieds.

Beaucoup s’écrasèrent dans les montagnes. Cette région est aussi une forêt vierge extrêmement dense avec énormément d’animaux. Et c’était dans cette jungle que nous planifions d’emmener nos familles.

Les origines et les quinze années à Putao

Toute l’assemblée des fils d’Israël partit par étapes du désert du Sinaï, selon ce que le Seigneur avait ordonné.   Exode 17, 1

Mes deux parents viennent de familles de missionnaires. Ils se sont rencontrés à l’université et se marièrent en 1920 aux Etats-Unis. En 1921, lorsque j’avais quatre mois, ils partirent en mission en Chine, à la frontière du Tibet, avec le Dr. Shelton, missionnaire de renom. Ce dernier fut assassiné par des bandits six semaines plus tard, laissant mes parents dans une grande tristesse et une grande solitude.

Ils étudièrent la langue pendant deux ans puis travaillèrent dans la vallée environnante. Mon père enseignait et prêchait à tous ceux qui voulaient l’entendre. Mes parents étaient encore à leur premier poste à la frontière sino-tibétaine lorsque mon frère Robert naquit en 1923. Leur dernier enfant, LaVerne naquit en 1929 et devint professeur à l’Institut biblique de Cincinnati. Nous avons tous trois été éduqués principalement par notre mère. En 1927, la guerre civile éclata et le Consulat américain de Kumming ordonna à tous ses ressortissants de quitter le pays. Deux ans plus tard, nous pûmes retourner à notre mission. Depuis 1929, pendant la guerre sino-japonaise, nous pûmes travailler avec les tribus Lisu et Rawang des deux côtés de la frontière sino-birmane.

Durant la seconde guerre mondiale, les japonais prirent la Birmanie, excepté la pointe extrême nord où nous travaillions. En 1943, mes deux frères et moi allâmes au nord de la Birmanie pour visiter et enseigner des congrégations là-bas. Lorsque nous étions à la frontière de la Birmanie, nous reçûmes une lettre du commandant de la garnison britannique, nous enjoignant de nous rendre au quartier général. On nous y demanda de mettre au point un plan pour récupérer les aviateurs qui s’étaient écrasés dans la jungle et la montagne.

Nous leur remettions une lettre en anglais, les assurant de nos bonnes intentions, puis les aidions à regagner leur base. Par nos efforts, des dizaines d’aviateurs furent ainsi sauvés et, lorsqu’il n’y avait pas de survivant, nous pûmes identifier les corps et leur donner un enterrement chrétien.

Bien avant que la guerre ne se termine, Robert et moi avions décidé de devenir missionnaires, comme nos parents. Nous avions épousé tous les deux des femmes américaines en janvier 1949 et les avions emmenées avec nous en Chine. C’était une belle période mais cela ne dura pas.

Les batailles sanglantes entre les communistes chinois de Mao-Tsé-Tung et les forces nationalistes sous Chiang Kaishek arrivèrent dans notre région. Les actions contre les étrangers s’intensifiaient aussi. Nous savions que nous devrions bientôt fuir. Ma famille — à ce moment-là il n’y avait qu’Helen, mon fils David et moi-même — avait essayé de rejoindre sans succès la vallée de la Salouen à travers le nord de la Birmanie mais nous dûmes retourner à Kumming forcés par les communistes. Avec Drema Esther, ma soeur tibétaine adoptée par mes parents, nous prîmes alors une route plus détournée, de Kumming à Hong Kong puis Rangoon pour atteindre la vallée de Putao, dans le nord de la Birmanie. En juin 1952, après quinze mois d’emprisonnement et de torture pour mon père, il retrouva par miracle ma mère et mon frère LaVerne à Hong Kong, c’était une preuve de l’amour de Dieu pour eux. Finalement, nous nous retrouvâmes tous à Putao. Nous y eûmes quinze magnifiques années. Mais, une fois de plus, nous, la famille Morse, étions en chemin.

Le six janvier 1966, la grossesse de Drema Esther arriva à son terme. Jesse courut chercher Helen et, 1/4 d’heure plus tard, Helen apparut en tenant dans ses bras Michael Timothy. Ma soeur adoptive ne partageait pas seulement notre foi depuis qu’elle était petite mais aussi cette vie incertaine qui nous donnait de solides bases pour cette foi. Le 24 janvier, nous nous dirigeâmes vers l’est, plein de confiance dans l’idée que nous arriverions en Inde avant la saison des pluies, à la fin mai.

04.- S’INSTALLER A HIDDEN VALLEY

Mais le Seigneur avait endurci le coeur de Pharaon et ainsi il ne laissa pas partir les enfants d’Israël.   Exode 10, 20

La première partie du voyage ne fut pas trop difficile ; le sentier était bien défini. L’annonce de notre venue s’était répandue et le restant de la famille qui avait voyagé avant nous, vint nous voir. Les garçons avaient déjà préparé un gîte où faire la cuisine et se reposer. Robert nous appris que la situation était incertaine. Il était en train de négocier avec un Sikh, une autorité de l’immigration que les Lisus appelaient Moo-Bee (Barbe Noire) ; quiconque passait la frontière indienne sans autorisation risquait la prison. Quand Robert posait une question, il agitait lentement sa barbe en guise de réponse. Robert faisait de gros effort pour garder son tempérament sous contrôle.

J’ai envoyé une lettre au gouverneur, l’a-t-il reçue ? Moo Bee remua la tête. Quelle est sa réponse ?, continua Robert. Moo Bee sourit et remua à nouveau. En d’autres termes, vous n’avez rien à nous dire. Nous aimerions entrer en Inde et planter la terre avant que les pluies d’avril ne commencent. Moo Bee sourit à nouveau : Je suggère que vous descendiez et que vous essayez de passer par Ledo Road. C’est la manière normale d’entrer en Inde. Robert demanda : Et comment proposez-vous que nous l’atteignions ? Moo Bee déplia une carte et pointa du doigt : Vous traversez ces deux rangées de montagnes, vous marchez le long de la rivière Tarung et vous descendez Ledo Road vers l’Inde. Cela ne devrait pas prendre plus de trois semaines. Robert explosa. Quoi ! Et vous pensez que nous allons entreprendre ce voyage avec des personnes âgées et de jeunes enfants ? Dans des régions inhabitées où nous ne pouvons pas obtenir de nourriture ? » Moo Bee sourit et indiqua qu’il devait se retirer.

Le manque de nourriture dans le camp n’était pas le seul problème. Tant de personnes concentrées sur une si petite surface et l’insalubrité provoquèrent une grave épidémie de dysenterie. Betty et Helen étaient débordées par les soins à donner, les naissances prématurées et les mourants à accompagner.

Une diversion bienvenue parmi toutes ces difficultés arriva sous la forme d’une roussette (renard volant) audacieuse. Elle apparaissait à 6h10 chaque soir pendant une minute ou deux, amusant beaucoup les enfants. Les adultes prenaient leur arc ou leur carabine mais ne l’atteignait pas. Ce fut  juste après l’apparition quotidienne de la roussette qu’un groupe d’homme se réunit pour décider de la marche à suivre car la nourriture et l’eau potable se faisaient rares. La discussion alla bon train.

− Une chose est sûre. Nous ne voulons pas retourner à Putao car nous y avons eu assez de combats et de problèmes. La vie dans la jungle peut être dure mais au moins nous sommes libres d’y faire ce que nous voulons. La seule chose que nous aimerions trouver serait une bonne vallée avec suffisamment de nourriture venant de la jungle, du gibier et une bonne terre pour y cultiver le riz. Un murmure d’approbation suivit ces quelques phrases.

− Pourquoi ne pas essayer Empty Valley [Vallée Vide] ? Cela semble être un bel endroit giboyeux. – Que pensez-vous de Hidden Valley [Vallée Cachée] ? Ce n’est pas trop loin d’ici et il semble y avoir beaucoup de poissons.

− Ne sait-il pas que cette vallée est maudite ? Il y a quelques années, cinquante chasseurs y sont partis car il semblait y avoir beaucoup de gibier, mais seulement deux sont revenus vivants.

− Nous, les chrétiens, ne croyons pas à ces malédictions.

Après maintes prières, méditations et discussions familiales, nous prîmes la décision qu’il était trop tard pour essayer de quitter la Birmanie avant la fin de la prochaine saison des pluies, six mois plus tard. Durant ce temps, nous nous installerions à Hidden Valley, à côté de la frontière indienne. Si la permission de la traverser était donnée, nous serions alors en mesure de recevoir le message du sikh Moo-Bee.

Cette décision fut confirmée le jour suivant par l’arrivée d’une invitation inattendue. Hidden Valley était très peu habitée, à cause de la malédiction et des tribus qui y séjournaient. Il y avait tout de même Binuzu, hameau de chrétiens lisus. Ces derniers s’étaient rappelés de mes parents qu’ils avaient rencontrés bien des années avant à Salween Valley en Chine. Ils invitaient J. Russell Morse, mon père, à venir vivre dans leur village.

Le dimanche d’après, Robert et moi devions prêcher à nos familles et aux Lisus qui étaient venus avec nous. Je me référai à un passage de l’Exode : pour réussir notre entreprise, nous devions être purs de coeur comme les enfants d’Israël et nous remettre à la volonté de Dieu. Robert se référa aussi à l’histoire de Moïse, dans le livre de l’Exode sont mentionnées aussi des règles d’hygiène strictes auxquelles il faudrait s’astreindre dans la charité et l’amour du prochain et que ceux qui ne voudraient pas adhérer à des principes chrétiens devraient partir maintenant.

Lorsque nous eûmes fini nos sermons, nous aperçûmes un tumulte aux abords de la foule : deux coureurs apportaient un message de Moo-Bee. Croyant qu’il s’agissait de la permission de passer la frontière, ou non, je déchirai l’enveloppe avec hâte et lu le contenu à haute voix. Une fois de plus ce message était ambigu, ne disait rien de concret et Moo-Bee nous faisait savoir qu’il nous recontacterait. Bien des années après, nous apprîmes que Moo-Bee n’avait en fait entrepris aucune négociation… Pourtant à ce moment-là, nous trouvions son étrange comportement plus risible qu’exaspérant.

05.- ARRIVEE ?!?

Mais Dieu fit faire au peuple un détour par le chemin du désert, vers la mer Rouge. Exode 13, 18

Les Lisous avaient une raison de trouver Hidden Valley de plus en plus attractive : selon une rumeur, l’approvisionnement en nourriture y était constant. C’est un peuple très enclin aux rumeurs. Dans les contrées plus civilisées de Chine et de la Birmanie, ils sont considérés comme un peuple sauvage. Leur nom, Lisou, les décrit très expressifs, énergiques et ils aiment parler. C’est probablement la raison pour laquelle les Lisous sont attirés par le christianisme.Ils aiment les grands rassemblements à Pâques et à Noël où Von prêche et l’on chante beaucoup. La personne avec la langue la plus inventive sera la plus appréciée dans un rassemblement populaire.

Comme auparavant, nous fûmes obligés de partir par groupes à cause du chargement. Drema Esther et Jesse nous quittèrent en premier, puis mes parents, puis ma famille. Robert et sa famille restèrent encore une semaine dans l’espoir d’avoir des nouvelles positives de l’Inde. Après maintes aventures, nous nous approchions lentement de Hidden Valley, tout en prêchant, chantant des cantiques et prêchant encore.

La rumeur d’une aide venant d’Inde n’était pas encore enterrée, malgré nos efforts. Tous ces gens (nos familles et les lisus qui étaient venus avec nous) se pressaient vers Hidden Valley comme si c’était la terre promise. Mais nous, malgré nos espoirs, ne pensions pas qu’il y aurait de la nourriture et des approvisionnements. Ainsi mes sermons exhortaient à nouveau à croire en Dieu et à faire confiance en Lui seul. Cela signifiait qu’il faudrait couper des arbres, brûler la terre, planter des champs, chercher du gibier, du poisson et des plantes dans la jungle.

Dans les jours qui suivirent notre arrivée dans la clairière à côté de Binuzu, quelques familles plus en quête d’aventure avaient déjà commencé à avancer plus loin à l’ouest. Bien que le territoire fût complètement inexploré, il y avait, de l’autre côté de la frontière indienne, une communauté de Lisus qui avait prospéré au cours des années. Evidemment, les réfugiés espéraient obtenir de l’aide de leur parenté en Inde, bien que la frontière fût fermée.

La famille Yangmi qui était arrivée quelques jours plus tôt et cela donna lieu à de joyeuses retrouvailles. Mais je craignais de faire le rabat-joie.

− Ces personnes vont mourir de faim, dis-je, ces tout petits champs ne donneront qu’une poignée de riz en été. lis pensent encore obtenir de l’aide de l’Inde et moi je suis sûr que cela n’arrivera pas.

− Pourquoi ne pourrait-on pas vivre juste de la jungle ?, demanda Robert. Je suppose que tu n’as pas eu le temps d’explorer ce pays comme nous. Il y coule le lait et le miel, comme dans la Bible. Ce vieux renard de Timotsu a remarqué que toutes les falaises environnantes étaient pleines d’abeilles et nous avons tous bu un merveilleux miel d’abeilles de falaise.

− 0k, mais nous ne pouvons pas vivre seulement de miel, où est le lait ?

− Tout autour de nous, dit Robert, la jungle est très giboyeuse et cette rivière grouille de poissons. Nous décidâmes de rester un peu plus de deux semaines pour découvrir si ce pays était vraiment un bon territoire où s’installer. Environ une semaine après, rentrés d’une exploration, nous apprîmes — selon les exagérations lisous — l’armée de Birmanie avaient lancé tout un bataillon à notre recherche.

06.- VIE QUOTIDIENNE

Et le Seigneur endurcit le coeur de Pharaon, Roi d’Egypte, et il se lança à la poursuite des enfants d’Israël.   Exode 14, 8

Pendant cette première saison à Hidden Valley, la maison de Robert est devenue un véritable zoo. Betty était une véritable herpétologue, surtout les serpents plus mortels. À Putao, elle gardait toutes sortes de serpents dans des cages. Mais dans la jungle, elle avait trouvé d’autres animaux « domestiques » moins mortels mais plus gênants : des bébés tigres. Ils jouaient comme des chattons. Beaucoup plus gros, ils rendaient la vie presque intolérable aux habitants de la seule pièce de la maison. Mais ces bébés tigres enseignèrent aussi bien des leçons à Robert et sa famille comme les sons gutturaux qu’ils émettent lorsqu’ils sont fatigués de jouer. Utilisant le même son dans la jungle, on trouva une manière effective de tenir les tigres à distance.

Une bestiole littéralement détestée dans la jungle, d’autant plus qu’il n’y a pas d’arme efficace pour la combattre est la sangsue. Elle s’infiltre partout et, lorsqu’elle s’attache au corps humain, elle injecte un anticoagulant de sorte que, lorsqu’elle se détache, vous continuez à saigner jusqu’à souffrir réellement de perte de sang. Une fois, Betty s’était promenée seulement cinq minutes et Robert avait dû l’aider à retirer 102 sangsues de l’une de ses jambes. Il fallait aussi évidemment construire les maisons et les latrines les plus imperméables possible aux sangsues.

Le premier acte de routine le matin était de faire du feu, c’est-à-dire découvrir les braises, souffler sur la cendre et ajouter du bois. Ensuite, chacun prenait son tour pour la vaisselle. Après cela venait les dévotions, prières et lecture de la Bible, puis le petit déjeuner, incontournable. Celui-ci consistait en du thé et de l’atu. L’atu est une sorte de fougère qui requiert plusieurs semaines de préparation avant de pouvoir le manger. Il était préparé en pressant la substance pâteuse dans une passoire pour retirer les fibres de cellulose et écraser les vers et les insectes qui apportaient les protéines dont nous avions besoin. Nous le grillons sous forme de boulettes dans la cendre chaude. Quand il y en avait, nous utilisions aussi du sagou, fécule alimentaire extraite de la pulpe du tronc du sagoutier, préparé soit comme une sorte de pudding, sucré avec du miel, soit mélangé à un peu d’eau, sous forme de crêpes.

Malgré sa saveur peu inspirante, le petit déjeuner était copieux et nous permettait de tenir jusqu’à cinq heures de l’après-midi. Là, nous prenions notre second et dernier repas de la journée. Celui-ci consistait en de la viande, du poisson ou des oeufs, selon le succès des garçons à la chasse et à la pêche. La journée, nous entretenions des outils ou des armes pour le jour suivant, écoutions les nouvelles à la radio sur notre petit poste à piles et, moins fréquemment, nous nous occupions aussi à la lecture. Il fallait aussi couper du bois pour le feu et sortir préparer de l’atu ou du sagou. Les femmes étaient aussi très occupées même si elles avaient l’aide de filles lisus. Elles surveillaient les maigres réserves de nourriture, vérifiaient que les habits soient propres et reprisés, enseignaient à lire et à écrire aux jeunes enfants avec les quelques livres que nous avions.

Ainsi, jours après jours, mai, juin et juillet s’écoulèrent. Un petit miracle survint : la poignée de riz que nous avions plantée avait mûri. Nous grillâmes le grain sur l’épi et nous rendîmes grâce au Seigneur car finalement la jungle a donné du fruit, un symbole que cette  …   

07.- SURVIVRE DANS LA JUNGLE

Les enfants d’Israël leur dirent : « Que ne sommes-nous morts par la main de l’Eternel dans le pays d’Egypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ? Car vous nous avez menés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude.   Exode 16, 3

Il devenait de plus en plus clair que s’aventurer en Inde pour chercher l’aide de parents lisus était très risqué, car les sentiers établis étaient très surveillés et celui qui était pris allait en prison.

Nous avions appris à avoir constamment faim mais, après les six premiers mois, nous savions que nous pourrions survivre. Lorsque des personnes venaient demander des soins médicaux à mon père, elles amenaient souvent un petit panier d’atu, des légumes venant de la jungle ou des champignons, plus tard elles amenèrent aussi du grain, des concombres et des courges.

Un jour, Joni revint tellement affamé d’une expédition de chasse qu’il prit sur une table, où se trouvaient différents végétaux, quelque chose qui ressemblait à une racine. Il commença à le manger cru. Une petite bouchée et il se rendit vite compte qu’il avait commis une épouvantable erreur car il sentit dans sa gorge comme des aiguilles piquer dans toutes les directions. Il n’y avait pas d’antidote disponible et la seule chose que l’on pouvait faire était prier. Fort heureusement, il en avait avalé très peu et ne souffrit pas longtemps.

Comme nous n’avions pas de source de sucre, nous ne misions que sur le miel pour sucrer et pour obtenir rapidement de l’énergie. Les larves d’abeilles aussi constituaient un apport de vitamines au sein d’une alimentation qui manquait dangereusement de certains nutriments. Pour récolter ce miel tellement prisé, la gelée royale (considérée comme une délicatesse), la cire d’abeille pour les bougies et les larves, les chasseurs doivent faire preuve de beaucoup d’ingéniosité car ces abeilles vicieuses mesurent plus de deux centimètres et ont l’épaisseur du petit doigt.

Stevie et Sammy eurent une aventure à couper le souffle avec un tigre. Les tigres ont la curiosité des chats et sont assez méchants lorsqu’ils veulent la satisfaire. Les garçons avaient chassé depuis l’aube sur un nouveau territoire et, vers la fin de l’après-midi, se trouvaient encore loin de chez eux. Ils décidèrent de camper sur place. Après un maigre souper composé de riz, de viande séchée et de thé, se mettant sous leurs couvertures, ils entendirent le bruit suspect d’une grosse branche qui craque… L’animal n’était plus qu’à 25 mètres, lorsqu’ils entendirent le son caractéristique de pattes félines, ce qui ne pouvait signifier qu’une chose. La profonde appréhension des garçons les empêchaient de mettre un nom sur cette « chose ». Comme tous les animaux de la jungle, les tigres ont peur du feu. En chasseurs prudents, Stevie et Sammy avaient allumé des feux en carré pour dormir au milieu. Les pas se firent entendre environ une heure encore. Le lendemain, il y avait des traces fraîches de tigre à 20 mètres du campement. Les garçons rentrèrent le plus vite possible.

La jungle étant un enchevêtrement de labyrinthes et très vallonnée, les Lisus communiquaient avec l’écho des collines en convertissant leur langage en une sorte de yoddel. C’est assez comique d’entendre deux femmes conversant en yoddel d’un versant à l’autre des collines.

Vers la mi-octobre 1966, David et moi fîmes une expédition de deux jours à la colonie de Chinquapin Hill pour participer à un congrès. Il y avait 150 personnes présentes pour les offices. Nous trouvâmes que la colonie faisait de grands progrès. Elle planifiait de se rassembler en un ou deux villages plutôt que d’être dispersé. Beaucoup voulaient que des missionnaires viennent vivre dans la région pour continuer à avoir des centres bibliques. Je promis d’en parler à nos familles mais ne donnai pas de réponse. Il s’avéra que Robert devait aller prêcher pour les offices de Noël à Chinquaquin Hill. Il avait déjà beaucoup apprécié la région en octobre. A présent, voyant les nouveaux progrès, il l’appréciait encore plus. Entre-temps, il avait été décidé avec sa famille irait s’établir là-bas. Par contre mes parents sentaient qu’ils étaient encore utiles à Ab-deh-di, village voisin.

08.- DEMENAGEMENT

Le déménagement vers le village de Zi-yu-di dans la Hidden Valley

Voici, je ferai venir demain des sauterelles dans toute l’étendue de ton pays. Elles couvriront la surface de la terre, et l’on ne pourra plus voir la terre ; elles dévoreront le reste de ce qui est échappé, ce que vous a laissé la grêle, elles dévoreront tous les arbres qui croissent dans vos champs. Exode 10, 4-5

Robert et sa famille furent les premiers à bouger de Ab-Deh-Di vers l’ouest, vers le Mupah et le village de Zi-yu-di (Hidden Valley).

Comme Betty avait de l’arthrite, ils espéraient un climat plus sec. Elle était enceinte et nous fîmes la promesse que nous serions là à temps pour qu’Helen puisse l’aider à accoucher.

Le 27 février 1967, Betty donna naissance à une petite Geneviève et nous rendîmes grâce à Dieu. Ainsi, Robert et moi avions tous les deux six enfants, trois fils et trois filles. Nous avions prié pour obtenir une abondante moisson.

Nous étions particulièrement excités parce que les villageois avaient planté des champs pour la première fois et nous étions très impatients du résultat. Un jour, le chef du village de Zi-yu-di vit des chenilles dans ses champs. Au début, il ne s’inquiéta pas pensant qu’elles partiraient mais elles se multiplièrent et prirent du volume.

Nous priâmes devant les champs et suppliâmes le Seigneur de nous délivrer de la plaie des chenilles. Mais le Seigneur nous mit à l’épreuve pour nous montrer comme nos efforts sont vains sans son soutien. Nous décidâmes qu’une personne par famille, si pas plus, s’arrêterait devant chaque champ en priant et chantant. Le Seigneur, par sa main puissante, non seulement nous délivra des chenilles mais nous aurions aussi assez de grain pour semer l’année suivante.

09.- MON PERE ET MON FILS DAVID

Si tu écoutes attentivement la voix de l’Eternel, ton Dieu, si tu fais ce qui est droit à ses yeux, si tu prêtes l’oreille à ses commandements et si tu observes toutes ses lois, je ne te frapperai d’aucune des maladies dont j’ai frappé les Égyptiens…  Exode 15, 26

Mon père rêvait d’être médecin mais il ne le put jamais par manque d’argent. Néanmoins, il étudia beaucoup de livres de médecine.

Lors de ses missions, la première chose qu’il introduisait était l’hygiène élémentaire : confiner les cochons dans un enclos, installer une latrine par famille. Lorsque nous quittâmes Putao, la malaria était pratiquement éradiquée et la mortalité infantile était passée de 4/5 à 1/10 enfants décédant avant l’âge de 7 ans. Mon père avait une grande soif d’apprendre et avait découvert aussi des remèdes provenant de la jungle. Evidemment, les Lisus aiment prendre des médicaments autant qu’ils aiment parler.

Son autre grande passion, à part l’instruction religieuse et la médecine, était l’horticulture. Les arbres fruitiers ont le grand avantage de faire avancer à pas de géant tant la santé que le statut économique de toute la communauté.

En plus de la culture des fruits, une autre réalisation allait avoir un effet durable sur toute la vallée et particulièrement sur notre fils aîné, David : la récupération d’épaves d’avion de la seconde guerre mondiale.

David était malvoyant et se sentait inutile pour pister et chasser. Il se plongea alors dans des livres d’électronique que j’avais pris en quittant Putao. Il développa une grande compréhension de l’électronique et de la mécanique. David suspecta, à juste titre, que les Lisous détruisaient les moteurs et générateurs des avions pour en tirer un peu d’aluminium et de cuivre…

Lorsque c’était possible, il visitait les épaves lui-même et en retirait les visses et les valves de soupapes. Sa grande trouvaille fut les aimants grâce auxquels il mit au point un système hydroélectrique.

10.- INSTALLATION DEFINITIVE A ZI-YU-DI


L’Eternel dit à Moïse : « Pharaon ne vous écoutera point, afin que mes miracles se multiplient dans le pays d’Egypte. » Exode 11, 9

L’année 1968 fut celle où nous nous installâmes définitivement à Zi-yu-di (Hidden Valley).

Mes parents arrivèrent avec Drema Esther et Jesse vers la fin janvier. Toutes nos maisons étaient construites en bambou comme celles de nos frères Lisous. En 1968, les intempéries et la neige furent tellement inhabituelles que les cerfs porte-musc et les Takins descendirent des montagnes au plus bas niveau jamais atteint de mémoire de Lisou.

Les chasseurs furent forcés de trouver refuge contre le froid dans les villages. L’un d’eux nous raconta ses aventures avec un animal étrange qui s’apparente au yéti.

Nous pensons que ce genre d’animal existe même si ce sujet a été beaucoup exagéré. Malgré ces récits, aucun d’entre nous n’était réellement inquiet à l’idée de rencontrer un yéti. Par contre, pour les tigres, c’était différent. Ils sont rapides comme l’éclair pour saisir leur proie et disparaître ensuite dans les buissons, de plus, une fois goûté au sang humain, ce dernier devient, pour ainsi dire, leur bouchée favorite.

Comme les enfants d’Israël, nous devons constamment nous tourner vers Dieu et son intervention, lorsque nous sommes confrontés à des situations que nous ne contrôlons pas, comme lorsque mon neveu Bobby fut touché par une balle juste sous la ceinture. Il saignait abondamment et nous fîmes appel à Drema Esther et Helen qui étaient toutes deux infirmières. Mais nous savions que Bobby était dans les mains de Dieu et qu’il vivrait ou mourrait selon sa volonté. Grâce à la prière de guérison, Bobby survécut. A plusieurs occasions, on nous appela pour expulser des esprits mauvais de personnes infestées.

11.- L’ECOLE


Tu lui parleras, et tu mettras les paroles dans sa bouche ; et moi, je serai avec ta bouche et avec sa bouche, et je vous enseignerai ce que vous aurez à faire.       Exode 4, 15

Vers la fin du mois de janvier 1968, nous eûmes la visite Heh-ah-tsah, chef Lisou de la communauté de Zi-yu-di : Réalises-tu, commença-t-il, que depuis deux ans que nous avons quitté Putao, nos enfants grandissent sans instruction ? Nous devons les instruire et construire une école. Il avait déjà parlé à Jesse de cette nécessité. Ce dernier avait étudié à la mission de l’école gouvernementale et il parlait très bien l’anglais, l’améliorant en écoutant la radio et en nous parlant en anglais.

Plusieurs familles coopérèrent en apportant du riz à Jesse et Drema Esther qui, en échange, mirent sur pied un programme scolaire. L’école commencerait en mars lorsque les pluies rendraient le travail extérieur impossible. Comme le bâtiment scolaire était encore en construction, les premiers cours eurent lieu dans l’église, qui n’était bien sûr pas équipée pour recevoir des élèves. Ce n’était pas le seul souci.

Les connaissances des enfants étaient complètement hétéroclites : certains savaient lire et écrire à sept ans tandis que d’autres étaient illettrés à seize ans… Il n’y avait assez ni de professeurs ni de livres ni de matériel scolaire. Jesse enseignait l’anglais dans une classe et Drema Esther, les études bibliques dans l’autre. Heh-ah-tsah revint dans ma maison et demanda à voir mon fils David.

Après quelques jours d’effort, il le convainquit d’enseigner les rudiments de l’arithmétique et l’ABC. Avec l’avancée de l’école, la nécessité d’obtenir des livres devint évidente et il fallait aussi des ardoises pour les devoirs. Pour les livres, Helen les écrivit et tapa des modèles pour que je les imprime. David ne fut pas le seul membre de la famille impliqué dans l’école.

Mon second fils, Tommy, installa des équipements sportifs. Lorsque Jesse et Drema Esther partirent, mon plus jeune fils Ron reprit les cours d’études bibliques. Mes trois filles et la fille la plus âgée de Robert participèrent à l’école comme étudiantes et réussirent très bien.

David mit aussi au point un système très ingénieux de générateur qui produisait du courant alternatif. Ainsi, nous pûmes entre autre écouter à la radio les nouvelles de la BBC et les programmes australiens.

Finalement, plus personne ne croyait que Hidden Valley était une sorte d’horizon perdu lorsque le son des voix d’enfants jouant à leurs jeux résonnaient au crépuscule.

12.- LA JUNGLE

L’Eternel dit à Moïse: « Voici„ je ferai pleuvoir pour vous du pain, du haut des cieux… » Exode 16, 4

La Birmanie est connue pour ses pierres précieuses comme le rubis, le jade et le saphir. Beaucoup en portent sous forme de bagues ou de colliers sauf lorsqu’ils nagent dans les courants des montagnes. Il est dangereux d’y nager à cause du Burin, gigantesque serpent des eaux, sorte de monstre du Loch Ness asiatique.

L’éclat des pierres précieuses attire le Burin. Mais s’il donne lieu à beaucoup de légendes, il existe et est mortel. Il ressemble au python sauf que le mâle porte une crête. Les corps de ses victimes retrouvés bien plus tard portent la marque de nombreuses piqûres, ce qui signifie que le Burin a aussi des crochets venimeux.

En général, les Lisus considèrent les champignons comme des plantes suspectes et ne les utilisent pas dans leur alimentation. Nous, par contre, lors de nos deux premières années dans la jungle où notre diète monotone se composait de sago et d’atu, nous essayâmes de varier un peu et surpassâmes nos scrupules quant aux champignons.

Le tsumu, que nous aimons beaucoup, a de nombreuses qualités qui le distinguent des autres espèces, comme son goût qui fait penser à du poulet. Le champignon que les chinois appellent oreille de vieux monsieur a aussi une valeur commerciale. De couleur noire, il est tellement facile à identifier que même les enfants peuvent le ramasser. Du coup, bon nombre d’étudiants purent en vendre assez pour payer leur école et leurs livres pour l’année.

Un autre produit qui a beaucoup de valeur est le musc pour son parfum. Cet ingrédient précieux se trouve sous la peau de l’abdomen du cerf porte-musc. Cet animal, chassé presque jusqu’à extinction, est très difficile à pister. Steve, le second fils de Robert, l’a appris à ses dépens lors d’une expédition de chasse. L’équipe était très chargée et la montée jusqu’à la limite des arbres éreintante. Le second jour, Steve commença à se sentir faible. Il ressentait alternativement de la fièvre et des frissons et avait la diarrhée. Il pensa que c’était la malaria et pris de la Nivaquine mais n’allait pas mieux. Plus tard, il sut que c’était la dengue hémorragique. Il crut mourir.

Pour faire ses besoins, il devait se suspendre aux racines au bord d’un précipice de 200 ou 300 pieds. Il raconte : J’avais dit aux autres d’aller de l’avant et d’accomplir la mission. Une personne resta avec moi : Ah-Pu. Jusqu’à présent, j’avais pensé qu’il était le plus laid que je n’avais jamais rencontré. Eh bien, pendant une semaine, il cuisina — bien que je ne mangeais pas beaucoup -, m’aida à me soulager – même lorsque je me sentais trop faible pour me suspendre aux racines -, me chanta des chansons. Une chose très intéressante arriva alors : il semblait transformé et devint l’un des plus beaux hommes que j’ai connu. Je ne savais pas que de telles expériences pouvaient arriver. A partir de ce moment-là, Steve commença à se sentir mieux et revint fort d’une expérience bien plus riche que du musc et des herbes.

13.- ANNEE 1969


Vous conserverez le souvenir de ce jour, et vous le célébrerez par une fête en l’honneur de l’Eternel ; vous le célébrerez comme une loi perpétuelle pour vos descendants. Exode 12, 14

Le grand rassemblement de Noël ne se tenait pas toujours le 25 décembre mais le week-end le plus proche de la date et de la pleine lune. Pour celui qui marquait la fin de l’année 1968 et le début de 1969, on essaya de rassembler les 2 000 personnes qui habitaient Hidden Valley. Le long du chemin, on avait mis une pancarte : Bienvenue au 1968ème rassemblement d’anniversaire de Jésus.

Selon la nature des Lisus, ces rassemblements étaient bien plus sociaux que religieux. La musique jouait un rôle important autant dans la religion que la vie sociale à Hidden Valley. En 1968, chaque village vint avec son propre choeur et les chansons exercées pour cette occasion. Il était aussi convenu que directement après, la famille de Robert déménagerait dans une nouvelle maison plus spacieuse avec un mobilier très simple et fonctionnel.

Si l’élevage des poulets voyait une forte augmentation, celui des cochons s’avérait plus difficile. Il fallait trois ans pour qu’un cochon puisse être abattu pour devenir du lard et du jambon. Il fallait aussi être très soigneux pour mettre la viande en quartiers et la conserver. En plus, l’abattage des cochons posait des problèmes psychologiques car ils étaient aussi des animaux de compagnie. Les Lisus s’en servaient parfois comme bouillottes pendant l’hiver à l’intérieur de la maison. Les filles avaient pris l’habitude de considérer comme mature un garçon qui savait abattre et mettre en quartiers un cochon.

La conservation des aliments et les vêtements étaient problème de femmes. Lorsque les habits apportés de Putao tombèrent en morceaux, il fallut les remplacer. Helen avait un semblant d’aide mécanique sous forme d’une vieille machine à coudre à manivelle mais cela l’agaçait terriblement de devoir coudre des vêtements lourds avec une seule main. Tommy s’intéressa de près à la question et trouva le moyen de prendre les mesures et fit des pantalons. Il dut en coudre 70 ou 80 paires.


C’est Robert, notre linguiste et diplomate, qui commença à suspecter les commerçants qui venaient à Hidden Valley de n’avoir pas toujours de bonnes intentions. A contre coeur, il en vint à la conclusion que ces hommes qui semblaient avoir beaucoup d’intérêt à nos affaires étaient en fait des espions à la solde du gouvernement birman. Malgré ces pensées troublantes, nous n’avions rien d’autre à faire que de continuer à aller de l’avant.

Les Lisous utilisent les courants de vent ascendants lorsqu’ils brûlent leurs champs. Le cinq avril 1969, une grosse braise atterrit sur la nouvelle maison de Robert et elle brûla comme une torche. Cet accident fut particulièrement dur pour Betty. De plus, au même moment, on avait décidé à contrecoeur que plusieurs enfants de Robert, qui souffraient de graves problèmes dentaires, devaient aller se faire soigner en Inde ou en Thaïlande. Ils furent faits prisonniers pendant six semaines puis on les relâcha et les déporta. Ils purent s’établir en Thaïlande.

Une fois que la famille de Robert fut saine et sauve en dehors de Hidden Valley, nous commençâmes à penser au futur de la famille de Jesse et Drema Esther. Jesse voulait poursuivre ses études bibliques pour avoir un plus grand bagage et passer sa vie comme missionnaire au service des populations tribales. Finalement, en 1970, Jesse, Drema Esther et leurs enfants purent partir aux USA via l’Inde.

14.- DENONCIATION AUX AUTORITES


Choisis parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes intègres, ennemis de la cupidité ; établis-les sur eux comme chefs de mille, chefs de cent, chefs de cinquante et chefs de dix.   Exode 18, 21

L’hiver 1970 était déjà très avancé lorsque nous décidâmes de construire le grand village auquel nous pensions depuis si longtemps. Quelques expéditions furent conduites par des hommes expérimentés qui connaissaient la contrée.

Leurs rapports furent examinés sous tous les angles et nous décidâmes que le meilleur lieu était Zi-yu-di. A l’aide de mes outils, nous construisîmes une allée centrale pour le village et, pour environ cent familles, des parcelles de terrain rectangulaires comme à Putao. Les travaux pour l’irrigation des rizières commencèrent. Malheureusement et ironiquement, nous ne vîmes jamais ce village car ce fut justement ce canal d’irrigation qui amena les soldats du gouvernement à notre porte.

La situation était très controversée et nombreux étaient les avis. Fallait-il à nouveau accepter le joug birman ou encore tenter de s’échapper ? Ou bien défendre la liberté que nous venions d’acquérir ? Comme toujours dans de telles occasions, il y avait des partisans éloquents des deux côtés.

Finalement, on arriva à un compromis : un groupe d’anciens irait à Namling discuter de l’affaire avec les autorités civiles. Selon cette dernière, la population tribale et la famille Morse n’auraient rien à craindre de l’armée cette année, d’autant plus que les pluies de la mousson allaient arriver.

Vers la fin décembre, les soldats du gouvernement entrèrent dans notre vallée et tout se passa paisiblement jusqu’à un certain point. Cependant, le nouveau commandant birman estima nous avoir découverts et fit un rapport qui alla à Rangoon. Les officiers de Namling furent châtiés de ne pas nous avoir dénoncés plus tôt… Et nous reçûmes l’ordre d’expulsion de tout le territoire birman.

EXTRAIT traduit et résumé d’un livre écrit en anglais par Eugène MORSE, intitulé « EXODUS TO HIDDEN VALLEY », le tout, grâce à l’aide précieuse de Priscilla, laquelle est vivement remerciée.

DMC Jour de la fête des Saints Pierre et Paul 2015