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I. Contraint de participer à une réunion organisée par les communistes

Journal d’un catholique thibétain

Mon récit commence en décembre 1957. J’étais en train de réparer une maison dans le village de Dimaluo. Un commissaire chinois, cadre du parti communiste, vint me trouver. Il me demanda d’arrêter immédiatement mon travail et de me rendre sans tarder à Bijiang (l.) afin de participer à l’assemblée des délégués du peuple. Comme c’était impossible de refuser, avec Ado de Bahang (2.) et Bene de Chuni (3.), nous nous rendîmes ensemble à Bijiang afin de prendre part à la réunion.

A Bijiang résidait un haut fonctionnaire appelé « gouverneur de la région ». Il avait cinq circonscriptions sous ses ordres. Deux à trois fois par année, il réunissait les délégués des diverses circonscriptions. Cette fois, le sujet de la réunion était : « comment résoudre les problèmes restés en suspens ? » Lorsque nous, les trois représentants de Kongshan, sommes arrivés à Bijiang, tous les autres délégués étaient déjà présents.

Il faut se laver le cerveau et, dorénavant, aller de l’avant selon les directives indiquées par Mao Zedong. Voici ce qu’il faut changer : les dimanches, catholiques et protestants doivent cesser de chômer et participer pleinement à l’effort de production.

Lors de la séance d’ouverture, le gouverneur de la région fit un rapport circonstancié sur le but de la réunion. Il dit : « Cette année, nous commençons à appliquer les principes communistes. Il faut rejeter tous les mauvais usages et coutumes des temps passés. Il faut se débarrasser de tout ce qu’a enseigné le Kuomintang, – Parti Nationaliste Chinois -, car il imite la façon de faire des étrangers. Il faut se laver le cerveau et, dorénavant, aller de l’avant selon les directives indiquées par Mao Zedong. Voici ce qu’il faut changer : les dimanches, catholiques et protestants doivent cesser de chômer et participer pleinement à l’effort de production. De même, les religions populaires doivent abandonner leurs fêtes qui durent trois à quatre jours. Il faut arrêter également d’organiser ces somptueux banquets de mariage qui ne sont que gaspillage d’argent, de nourriture et de temps de production. Les terrains cultivables et les animaux domestiques doivent être mis en commun afin de constituer des communes populaires. Simultanément, jours et nuits, il faut préparer des rizières et creuser des canaux. Quant aux vieillards et aux enfants, comme ils ne sont pas aptes à faire de lourds travaux, on leur demandera d’aménager des jardins près des habitations et d’y cultiver des légumes. Ils ramasseront également les crottes de mulets et les bouses de vaches pour en faire de l’engrais. Si quelqu’un prétend qu’après avoir institué les communes populaires on sera dans la misère et qu’on n’aura plus assez à manger et à boire, ou si quelqu’un parle en mal du communisme, ces réfractaires, il faut les arrêter et les soumettre au jugement populaire. Quant à ceux qui se révolteraient, les lois et les consignes reçues nous demandent de les fusiller. »

Alors, j’ai pensé en moi-même : En ce bas monde, y a-t-il quelqu’un qui serait d’accord, pour créer des coopératives de production, de mettre en commun ce qu’il a péniblement économisé en travaillant dur et en vivant simplement durant de nombreuses années ? Ces directives politiques des communistes consistent à mettre les agneaux devant la bouche des loups.

L’assemblée des délégués du peuple dura une dizaine de jours, mais aucune des questions soulevées par les délégués ne fut débattue. Il s’agissait uniquement d’absorber la propagande des communistes. Quelques députés protestants et nous trois délégués de Kongshan avons posé la question suivante : « ne serait-il pas mieux d’agir ainsi : le dimanche matin, nous nous réunissons pour la prière ; l’après-midi, nous participons aux travaux collectifs ? » Les communistes esquivèrent la question. Finalement, la séance de clôture se déroula le jour du nouvel an chinois.

Sur le chemin du retour, chaque jour nous rencontrions deux ou trois personnes qui avaient les bras liés comme des malfaiteurs et qui étaient emmenées par les gardes rouges. De même, dans les villages où nous nous arrêtions pour passer la nuit, nous voyions les villageois se réunir et accuser les habitants dont le niveau de vie était un peu meilleur. Dans chaque village, on n’entendait plus que la rumeur assourdissante des jugements populaires.

En arrivant au pont de corde de Pongdang, nous rencontrons Adjrou, – He Zhengxiang -, et Jean, le fils de Simon de Qiunatong, – Kionatong -. Liés comme des voleurs, ils étaient emmenés par les gardes rouges. J’ai pensé alors : « Adjrou est un brave homme. Habituellement, à Bahang, il enseigne le catéchisme aux enfants. Il a étudié au séminaire et désire devenir prêtre ; aussi a-t-il été enchaîné. A ma connaissance, il n’a jamais parlé en mal des communistes, cependant il a été arrêté ; c’est étrange !

En arrivant chez moi, on me dit que, quelques jours auparavant, Adjrou et quelques jeunes de Bahang ont été convoqués à Dara (4.) pour participer à une réunion. D’après les ouï-dire, ils devraient revenir ce soir même à Bahang.

COLOMBE DE LA PAIX

l. Bijiang est une localité située entre Liuku et Fugong, à une heure de marche au-dessus du pont sur le Salouen. C’était alors le chef-lieu de la région autonome du Nujiang. Pour aller de Dimaluo à Bijiang, il fallait une semaine de marche.
2. Ado était autrefois l’intendant du Père André à Bahang, – Baihanluo -.
3. Bene ou Dide, – Benedite, Benoît -, de Chuni près de Dimaluo, était un ancien élève du probatoire de Hualuopa.
4. Dara, – dala -, était alors le chef-lieu du district de Kongshan.