Le bienheureux Maurice, un saint en devenir !
Le curé d’Orsières célèbre son bienheureux paroissien.
«Notre Eglise est l’Eglise des saints. Qui ne voudrait avoir la force de courir cette admirable aventure? Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure.» Georges Bernanos
Nul n’est prophète en son pays: cette phrase de l’évangile, j’ai parfois l’impression que le bienheureux Maurice en fait l’expérience! Si vous cherchez des voix qui parlent avec enthousiasme du bienheureux, il vous faudra dépasser le cercle de la congrégation ou de nos paroisses du val d’Entremont. «Chez nous», on s’arrête parfois à ce que nous avons entendu de son caractère autoritaire et rugueux.
Peut-être y a-t-il derrière cela l’idée que pour devenir saint, il faut être une sorte de superman au caractère sans failles. Ou alors nous reproduisons l’attitude des contemporains de Jésus: de Nazareth (ou de l’Entremont!) que peut-il sortir de bon? Au fond, c’est difficile à croire que quelqu’un parmi nous ait vécu en grande intimité avec Jésus. Il est toujours plus facile de reconnaître un saint dans l’image idéalisée d’un vitrail que dans un être qui a vécu proche de nous et dont on a entendu parler des défauts.
Quoi qu’il en soit, deux expériences vécues récemment me convainquent un peu plus du rayonnement de notre bienheureux local.
La première est survenue lorsqu’un jeune confrère du diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg m’a téléphoné en me demandant d’accompagner quelques religieuses en pèlerinage à la Rosière. Une trentaine de soeurs, issues d’une congrégation nouvelle argentine et provenant de pays fort différents ont ainsi été enthousiasmées par le message du bienheureux… et par la beauté des lieux! Elles ont été touchées par l’exemple de vie de Maurice et elles en parleront certainement autour d’elles.
Deuxième expérience: pour préparer le pèlerinage du 12 août (fête du bienheureux), je me suis mis à rechercher quelques renseignements sur internet. Je constate que notre saint local est bien présent sur la toile. Parmi les sites qui parlent de lui figurent bien sûr celui de notre congrégation ou de nos paroisses, mais aussi des contributions plus lointaines ou inattendues. C’est aussi une belle preuve de la fécondité grandissante de ce saint.
Alors, qu’est-ce qui touche ceux qui deviennent amis du bienheureux? il me semble repérer plusieurs éléments qui font qu’on se sent proche de lui.
Son caractère
Certes, Maurice avait un fort caractère. Et bien. tant mieux! Ce qui pourrait être vu comme un empêchement à la sainteté me semble plutôt un beau signe du passage de la grâce divine dans son coeur. Quelle distance entre le tempérament un peu écrasant de ses jeunes années et celui du curé de Yerkalo qui réalise qu’il n’y a que la charité qui compte. Maurice se bonifie, s’adoucit, fait appel à sa famille et ses confrères pour que le Seigneur le transforme. Il garde sa fougue naturelle. mais elle s’équilibre dans la conscience que la bonté de Dieu fait tout le travail: convertir est l’oeuvre de Dieu seul. Etre saint, ce n’est pas être exempt de défauts (on le croit trop souvent!) mais c’est accepter de tremper sa nature blessé dans le torrent de la miséricorde divine.
Ce coté rugueux de Maurice est aussi un bel encouragement pour ceux qui n’ont pas au départ un caractère ripoliné. Si Maurice a été saint en dépit ou plutôt à travers ses travers de tempérament, je peux le devenir aussi.
Son don absolu
A travers les aspérités de la personne, c’est surtout sa détermination à tout donner qui affleure. Personnellement, c’est ce qui me touche chez le bienheu¬reux: il a résolument choisi de tout donner. Cela transparait si bien dans son expression déterminée: je veux courir pour Dieu. Il n’attend pas d’être parfait; il se lance dans la course, aimanté par le Christ. Il ne s’arrête pas aux fatigues de la route, il accepte de s’exténuer par pur amour de Dieu. Et c’est si beau de tra¬vailler pour le Seigneur que l’on pour¬rait même se passer de résultat.
Cette résolution est celle d’un passionné, d’un amoureux. Je me dis que le Seigneur a du être profondément touché par cet élan du coeur! Et nous sommes aussi émus en contemplant cette âme irrésistiblement entrainée par l’Amour. Maurice se montre fils de saint Augus¬tin, qui lui-même déclarait: «Mon poids, c’ est mon amour!(2)». Autrement dit: l’amour est le principe de tout. C’est cette brûlure qui entraîne Maurice sur les chemins de la Chine et du Tibet et jusqu’au martyre. Dans cette raison
ultime de sa vocation et du don de sa vie se retrouve le secret de toutes nos exis-tences: nous sommes faits pour être aimés et pour aimer infiniment. Recherche absolue incarnée dans un exemple de vie accessible et don de soi- même jusqu’au martyre: c’est cet idéal qui fait que beaucoup de jeunes voient en Maurice Tornay un grand frère, un guide, un ami.
Son sens de l’urgence
Maurice a une conscience très vive de l’urgence de la conversion: Il faut nous hâter, il faut nous dépêcher-, à nôtre âge, d’autres étaient saints écri¬ra-t-il à sa sœur. Cette conscience de l’urgence est constitutive de l’amour, qui est empressement, élan. Quand il s’agit de l’attachement au Christ, elle est encore plus forte: les chrétiens se pressent d’annoncer Jésus en attendant son retour. Elle éclate encore plus tra¬giquement dans la société actuelle qui fait mine de se passer de Dieu, alors qu’elle meurt de soif. Le bienheureux affirmait que les populations des Marches tibétaines étaient assoiffées de divin. On peut en dire au moins autant de notre monde contemporain! La seule urgence est donc celle de la sainteté. «Il n’y a qu’une tristesse, celle de ne pas être des saints» écrivait Léon Bloy.
Les jeunes d’aujourd’hui sont conscients de cette urgence des temps. L’insatisfaction que creuse le mode de vie contemporain l’aiguillonne encore davantage. L’empressement du bien¬heureux Maurice agit comme une antidote au manque d’idéal contemporain. Face à l’apathie résonne le désir de se lever, de tout donner et de partir en riant dans les creusets de l’amour et du sacrifice.
Sa trajectoire de vie
Maurice serait-il un looser’, dont l’objectif d’apporter Dieu au lointain aurait fait naufrage dans la poussière du col du Choula? Extérieurement, sa vie de pourrait sembler un échec: parti en fanfare, l’homme va connaître le dépouillement, la pauvreté, la famine la tentation du découragement, l’expulsion de sa paroisse et l’opposition de plus en plus violente jusqu’à la mort. Vu sous cet angle, sa vie s’est littéralement pas¬sée de résultat. Un regard intérieur per¬met toutefois de discerner dans son élan la fécondité du grain de blé dont parle Jésus dans l’évangile. Il y a dans son sacrifice un don merveilleux, à l’imita¬tion du Christ en croix, dont la mort sauve le monde et l’aspire dans la logique de la résurrection. Maurice donne sa vie pour ceux qu’il aime: J’aime beaucoup ces marches tibétaines, le temps venu je leur donnerai mon coeur et ma force car; avec la grâce de Dieu je veux bien tout m’user pour ramener à son Centre ces populations.
La vie du bienheureux suit donc une trajectoire de mort et de résurrection. L’amour est vainqueur. Souvent notre société idolâtre le succès mais ne sait pas que faire de l’échec. La vie de Mau¬rice est un évangile de grâce, un chant de gaité au milieu des difficultés: tout perdre mais pas la joie! le Bienheureux nous invite au don courageux. Toute épreuve vécue dans l’amour porte un fruit insoupçonnable. Prier Maurice, c’est retrouver des forces et de l’énergie pour sa vie quotidienne. Le tout est de commencer toujours, envers et contre tout. et de ne se décourager jamais. Alors, quand on meurt, on a vaincu.
La figure de Maurice Tornay se situe dans la perspective de ce qu’a voulu Jean-Paul II en nous donnant de nom¬breux exemples de sainteté. Le pape polonais a béatifié ou canonisé beaucoup de personnes. Il ne l’a pas fait pla¬cer le plus de monde possible sur le podium de la sainteté, mais pour nous donner à chaque pays et à chaque culture des exemples de sainteté concrets, accessibles et imitables. Les saints ne sont pas des surhommes inatteignables mais des grands frères et grandes soeurs qui ont partagé nos luttes, nos combats et ont été au bout de l’amour, par la grâce de Dieu. Pour notre région, c’est le bienheureux Maurice que Dieu nous a donnés en cadeau… alors profitons-en et devenons amis intimes avec lui!
«Très chers jeunes, soyez saints, car le manque de sainteté est ce qui rend le monde triste!» Saint Jean-Paul II
Joseph VOUTAZ C.R. SB (Mission du Grand Saint Bernard 1/2018)
DMC