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PIERRE et MAURICE – MEME COMBAT ?

Chers frères et soeurs,

Parfois des épisodes de notre vie passée nous reviennent en mémoire comme si, de notre coeur, remontait un besoin profond de comprendre leur pourquoi et leur comment. C’est souvent très émouvant. Car on y découvre des signes providentiels.

Il serait évidemment dangereux d’en faire une interprétation arbitraire, superstitieuse ou fatidique et déterministe. Les fatalistes, en effet, se résignent ainsi: «C’était écrit!» – Sous-entendu: «…écrit dans quelque horoscope aveugle.»

Pourtant le croyant connaît une méthode sûre pour interpréter sa vie passée, présente et future. C’est écrit! – en effet – mais pas dans les astres. C’est écrit dans l’Evangile, la Bonne Nouvelle apportée aux hommes par le Fils de Dieu en personne. Il suffit donc de s’y reporter.

Voyez l’expérience de Simon-Pierre. Il s’était un peu trop avancé en jurant sa fidélité au Seigneur, lors d’un dialogue spontané après le dernier repas. Imaginez donc son émotion, quelques heures plus tard lorsque le chant du coq lui rappellera les paroles de Jésus et éclairera sa conscience: «ll sortit et pleura amèrement»!

Ou bien encore, imaginez ce même apôtre après la Pentecôte en train de méditer sur son cheminement depuis le début de la prédication de Jésus en se rappelant qu’un jour sur le lac, le Seigneur lui avait dit en présence de Jacques et de Jean: «Désor¬mais tu seras pêcheur d’hommes».

Chers frères et soeurs, nous voici tout à la joie de célébrer l’un des nôtres que l’Eglise a reconnu officiellement parvenu au bonheur du Ciel, le Bienheureux Maurice. En son honneur, nous venons d’entendre cette hymne que le prophète Isaïe dédie aux missionnaires de la Bonne Nouvelle: «Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce le Salut».

Vous avez déjà relu quelques récits de la vie de Maurice Tornay. Ils nous racontent les péripéties d’un parcours commencé dans nos montagnes et achevé brutalement au Thibet. Ses parents, ses amis encore témoins oculaires parmi nous, et nous tous ses compatriotes, nous sommes en droit, humainement, de nous étonner et de nous émouvoir. Comment donc? Tel trait de son caractère, telle de ses lettres, tel autre comportement à La Rosière, sur les cols du Grand-Saint-Bernard ou du Choula, ces événements quotidiens ont-ils un sens ? – s’enchaînent-ils de façon à dessiner globalement une direction ?

Des païens pourraient y répondre: «Oui. C’était écrit! C’était son destin» Et ils per¬sonnifient quasiment la fatalité enchaînant l’homme comme esclave impuissant der¬rière un cheval aveugle.

Le croyant, au contraire, reconnaît la contribution que chacun de nous apporte librement à la découverte quotidienne d’un fil conducteur tracé dans l’Evangile. Oui, il y a un but défini d’avance: c’est la rentrée dans la Maison du Père. Si donc le jeune Maurice Tornay a plus d’une fois témoigné de son caractère volontaire, c’est sa manière à lui d’accueillir cette destinée finale: Non pas: «J’aimerais bien devenir prêtre», mais: «Je veux devenir prêtre.» «Je serai martyr.» Ou encore dans une let¬tre de 1927: «On arrive à bout de tout, n’est-ce-pas ainsi que l’on doit conquérir sa palme de l’au-delà?»

Oui, notre vie a un sens, une direction prévue, voulue par Dieu. Cependant non seulement nous sommes invités à y adhérer librement, mais nous devons demeurer fidèles à ce que nous sommes. Jamais Dieu ne nous demandera de singer d’autres hommes. Il nous respecte trop pour cela, Lui qui nous a créés et qui n’a pas désavoué sa Création. Nous sommes ses enfants. Donc, il faut à la fois nous débarrasser de ce qui nous défigure et cultiver ce qui nous fait à sa ressemblance.

C’est ainsi que Maurice Tornay nous est un modèle et un encouragement. Loin d’être parfait, il s’imposait parfois un peu trop, «n’ayant peur de rien ni de personne». Cet «esprit vif et batailleur» a suivi le fil rouge de la sainteté à ses débuts en contrôlant son tempérament pour le purifier de ce qui dans un enfant des hommes défigure l’enfant de Dieu. C’est le chemin normal de la conversion permanente à laquelle tous nous sommes conviés.

Mais n’imaginons pas que la conversion signifierait une sorte de temps d’arrêt pendant lequel on renonce à quelque chose avant de pouvoir choisir un autre visage. Non, instantanément, celui qui se convertit en se détournant de quelque chose embrasse le Père. Ou plutôt, c’est le Père qui l’embrasse, reconnaissant immédiatement en lui son enfant.

Considérons-le donc dans les bras du Père: c’est toujours un converti, certes, mais encore marqué de cicatrices qui en font finalement sa beauté et la fierté du Père. Rappelez-vous Simon-Pierre, ce n’est pas l’apôtre fanfaron du jardin des Oliviers qui nous est proposé en modèle. Mais le portrait édifiant d’un vantard converti, en larmes au chant du coq devant une servante. Voilà le premier évêque de Rome, un pêcheur dont les mains sont marquées par le travail sur les filets et qui regrette peut-être l’odeur du poisson de son enfance.

Autre portrait: la samaritaine au bord du puits, ce n’est pas une bigote, mais la femme aux cinq maris, stupéfiée par un Juif qui a pu lire dans sa vie et lui dire tout ce qu’elle avait fait. C’était donc écrit ? — oui, dans le coeur de Dieu qu’elle peut enfin reconnaître en confessant le Christ.

Frères et soeurs, l’enfant dans les bras du Père n’est ni un ange ni un portrait anonyme. C’est vous, c’est chacun de nous, chacun avec la figure que nous ont donnée nos parents et qui plaît à Dieu, débarrassée des erreurs et des infidélités. Inutile de chercher à en camoufler les traces par quelque crème de beauté. Les cosmétiques de l’ordre surnaturel s’appellent «Grâce divine». Les traces mêmes de nos con¬versions, éclairées par la Grâce de Dieu, constituent ce genre de beauté qui Lui plaît et qui nous comble.

Si donc nous relisons la vie de Maurice Tornay, nous découvrons avec émotion qu’effectivement «c’était écrit». C’est écrit dans l’Evangile que Dieu se donne des messagers de la Bonne Nouvelle. Dès l’Ancien Testament, on en décrit la beauté particulière. Mais c’est écrit aussi que l’arbre doit demeurer fidèle à sa nature: enraciné dans son terroir, il doit produire des fruits selon son espèce. Des figues sur le figuier, du raisin sur la vigne! — car les bons arbres produisent de bons fruits.
La conversion que Dieu nous demande est de porter du fruit.

C’est ainsi que comme une mère qui, le matin, tire ses enfants du sommeil et leur demande de faire leur toilette, Dieu sans cesse nous appelle à la conversion. Notre réaction devrait être joyeuse et rapide, selon ce refrain du temps du Carême, inspiré par l’Evangile, auquel la vie de Maurice Tornay me fait penser: «Oui, je me lèverai. Et j’irai vers mon Père». Et il s’en est allé vers le Père. Par les chemins les plus directs. Sans compromis ni compromission.

Il en devient exemplaire d’obéissance et de ténacité dans le persévérance. Donc d’autant plus entraînant qu’il nous est très proche: contemporain et compatriote. Issu de la même terre, ou pour être plus exact, des mêmes pentes.

Sa Béatification est un des plus beaux cadeaux que l’Eglise puisse nous faire: comme le portrait d’un être aimé que nous conservons pieusement dans nos appartements, la présence mystique de Maurice Tornay dans nos familles nous stimulera à nous battre.

Car il faut se lever et se battre pour remonter les pentes, les pentes physiques et les pentes temporelles où nos vocations propres nous mettent au travail dans ce monde. Les pentes du cœur et de l’esprit surtout, celles qui exigent les conversions, comme les pistes de ski quand on les remonte sans installations mécaniques.

Croyant en la Communion des Saints, nous savons que le Bienheureux Maurice Tornay a le pouvoir de nous aider et d’intercéder pour nous. C’est donc avec joie et reconnaissance que nous recevons du Saint-Père et de l’Eglise ce cadeau que Dieu avait patiemment préparé chez nous et pour nous.

N’était-ce pas un valaisan selon sa physionomie, sa race, son caractère ? et un enfant de Dieu attendu par le Père au terme de sa vocation ! C’est donc avec lui, notre Bienheureux à nous, que nous renouvelons notre volonté de marcher, de « nous lever et d’aller vers le Père».

AMEN

Homélie du Cardinal Henri Schwery à Rome le 18 mai 1993 

dmc en la fête du Bienheureux Maurice 2015