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VII. Avec mon fils et quelques proches parents, nous partons vers le Tibet

Sous mes yeux, ceux qui avaient un peu d’influence et ceux qui avaient un peu plus de connaissances étaient arrêtés par les communistes, les uns après les autres. Le pays tombait dans un grand désordre, jamais vu auparavant. Nous n’avions plus le droit d’aller à l’église et d’observer les jours de fête. J’étais certain qu’un jour je serais arrêté et séparé de mes proches. Aussi en ai-je discuté avec ma femme qui, elle aussi avait la même impression que moi et me dit : « Je souhaite que tu quittes temporairement ton pays natal. J’espère que tu ne seras pas capturé par les communistes, car, en ce cas, il n’y aurait qu’une sortie : être mis à mort. Après ton départ, je passerai certainement en jugement populaire, mais je suis persuadée qu’ils n’iront pas jusqu’à me faire mourir. » A ce moment, je prends la décision définitive de m’enfuir vers le Tibet.

ANDREAS-JOSEPH-ANGELIN-MESSI-ZACHARIE à FORMOSE

Le lendemain matin, je me rends à l’église et y rencontre les deux Sœurs tibétaines, Mana et Boli. Je leur confie notre projet de nous enfuir du pays et je leur demande de prier pour que notre plan réussisse. Je retourne ensuite en montagne, là où on m’avait envoyé travailler. Afin d’être aptes à lutter, au besoin jusqu’au sang, contre les soldats communistes que nous pourrions rencontrer sur notre route, je vais chercher les armes et les munitions que nous avions cachées.

La situation politique empirait de jour en jour. Hier soir, Joseph m’avait dit : « Ces jours-ci ils vont arrêter Bene(dite) et Anessy. Aussi ont-ils décidé de quitter cette contrée demain soir. » Avec Joseph, nous avons discuté longtemps en cachette. Nous avons convenu de nous retrouver le lendemain soir, sur le chemin de Bahang. J’ai demandé à Joseph d’aller leur communiquer notre décision (l.).
Le soir, vers les huit heures, Léon, Dide, Anessy, Andréa (2.), mon fils et moi-même, nous nous rencontrons à l’endroit convenu. Nous fixons l’itinéraire à suivre pour nous enfuir vers le Tibet. Ensuite, les armes en mains, nous nous mettons en marche. Par malchance, le temps est exécrable : il pleut et il y a un épais brouillard. Nous ne progressons qu’avec beaucoup de difficultés. Ce n’est qu’à dix heures du soir que nous arrivons près de la rivière.

A partir de là, en suivant le chemin principal, on passe nécessairement devant la mairie. Là se sont établis les cadres du parti et la milice du peuple. Sur la gauche, on a creusé un canal et le sentier s’est écroulé. Il n’y a plus de chemin et la nuit est si sombre que, la main tendue, on ne voit plus le bout des doigts. Nous demandons à Dieu de nous protéger et à la Vierge Marie de nous aider à surmonter ces difficultés. Nous n’avons qu’une seule solution : remonter le canal à tâtons en marchant à contre courant, dans l’eau froide. A un endroit, l’eau coule dans des chenaux de bois (3.) précairement fixées dans des pentes abruptes. Comme ces chenaux viennent d’être posées, elles sont glissantes et branlantes. Au moindre faux mouvement, on risque de tomber dans la rivière. Tandis que nous avançons avec précaution, soudain se déclanche un éboulement de terre et de rochers. Naturellement, nous en sommes éclaboussés, mais aucun de nous n’est blessé et nous franchissons, sains et saufs, le passage le plus périlleux.

Peu après, nous rejoignons le chemin qui mène à Alulaka. Comme il pleut à ficelles, nous pensons qu’il est pratiquement impossible de rencontrer un mouchard et avançons en toute confiance en suivant le sentier. Au lever du jour, nous arrivons à Alulaka.

A ce moment, nous nous disons : « afin d’éviter toute mauvaise rencontre, il est préférable de ne pas suivre le chemin ». Aussi décidons-nous de monter vers les sommets en longeant la forêt. Tandis que nous grimpons, subitement le ciel s’assombrit et il se met à neiger à gros flocons. Nous sommes très inquiets : « Comment traverser une forêt si grande et si dense par un temps neigeux ? »

Tandis que nous prenons le repas, le ciel s’éclaircit à nouveau, le brouillard se dissipe et, finalement, le soleil apparaît. Débordants de joie, nous remercions notre Dieu : « Seigneur, tu es tout-puissant ! Tu es un Dieu miséricordieux ! Parce que tu nous aimes infiniment, tu nous permets de surmonter toutes les difficultés et, merveilleusement, tu nous combles de tes ferveurs ! Béni sois-tu ! »


l. Quelques années avant de s’enfuir, Joseph et son cousin Anessy étaient muletiers. Ils faisaient du transport de Lijiang à Kongshan ou de Lijiang à Deqin, – Atundze -. De retour à Kongshan, ils entendent dire que les communistes vont arrêter (Bene)dide. Aussi décident-ils de fuir. Ils montent à Dimaluo. Ils vont à Pawan et assistent à la réunion durant laquelle Mathias est arrêté. Là, Joseph rencontre Zacharie et ils décident de se retrouver le lendemain soir sur le chemin de Bahang, un peu au-dessous du village. Le lendemain, à l’aube, Joseph et Anessy montent sur les montagnes au-dessus de Bahang afin d’aller chercher les armes et les munitions du Père André qu’ils avaient cachées dans une grotte, près du sommet d’une montagne. Ils prennent toutes les armes : un pistolet, un fusil mitraillette et deux fusils de chasse ; mais ils ne peuvent emporter que quelques paquets de munitions. Ils redescendent ensuite vers Bahang.
2. Léon est frère de Cécile, femme de Zacharie.
Bene-Dide, Anessy et Andréa sont frères.
Ils quittèrent Bahang le douze du deuxième mois lunaire, soit le 3O mars l958.
3. Ces chenaux étaient de grosses billes de bois éventrées.