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XIX. Préparatif pour aller dans une cité birmane

Deux mois après leur arrivée à Myitkyina, Léon et Andréa m’écrivent une lettre disant : « Tout s’est bien passé. Nous avons présenté aux autorités un rapport détaillé sur tout ce qui nous concerne. Nous avons obtenu ce que nous désirons. Nous pouvons nous établir en Birmanie. Sous peu, nous retournerons à Putao. Ne vous faites pas de souci. » Tout heureux, j’espère que les deux reviendront le plus vite possible et j’attends avec impatience d’avoir des nouvelles plus précises.

Un mois plus tard, ils ne sont toujours pas de retour. Un jour, je reçois une lettre ainsi rédigée : « En ce qui nous concerne, il y a des changements: peut-être vont-ils nous remettre aux mains des communistes chinois ? Nous avons de nombreuses suspicions. Ici, avec nous, il y a de nombreux Lissou. Ils nous ont invités à nous enfuir avec eux de cet endroit. Si les gardes nous demandent de retourner à Putao, nous nous joignons aux Lissou et partons avec eux. » Cette missive m’inquiète. Cependant, le cœur troublé, j’espère toujours soit les revoir, soit recevoir de leurs nouvelles. Deux mois se passent, sans que je reçoive la moindre nouvelle les concernant (En fait, Léon et Andréa n’ont pas été livrés aux communistes chinois, mais ils ont été envoyés à Taiwan).

Du Tibet, n’arrivent que des mauvaises nouvelles : mon fils Joseph et les deux frères Anessy et Dide ont, paraît-il, été tué par les communistes (Les trois étaient de retour au Tibet depuis peu de temps, lorsque les troupes communistes chinoises qui avaient encerclé le Tsarong lancèrent l’offensive finale. Anessy fut tué. Dide fut capturé et envoyé dans les camps. Joseph parvient à s’enfuir en Assam). Sachant cela, mon cœur devient triste à en mourir. C’est comme si je plongeais dans d’épaisses ténèbres. Je n’ai plus d’appétit. De plus, dans le camp, je ne jouis d’aucune liberté ; c’est comme si je vivais en enfer.
Je me dis : « En de telles circonstances, jamais je ne parviendrai à rencontrer le Père. » Dans la nuit du vingt-six – vingt-sept du premier mois lunaire de l’année l959 (C’est-à-dire, dans la nuit du six au sept mars l959), après que tous les soldats se soient endormis, en douce je m’évade du camp et m’enfuis vers le sud-ouest.

Je passe trois jours et trois nuits dans la forêt sans rien manger, pas même un grain de riz. Je n’ai pas l’impression d’avoir faim, mais je commence à avoir des vertiges, mon corps n’a plus de force et ma vue se trouble. Je pense que cela m’arrive parce que je n’ai pas mangé depuis longtemps. Dans la forêt, je ne trouve rien de comestible. Je prie le Seigneur ; je lui demande de m’envoyer quelqu’un avec de la nourriture.
Après la tombée de la nuit, je m’approche du village afin d’essayer de contacter quelqu’un. Comme c’est un village peuplé de Loutze birmans, quelques habitants me sont familiers. Quand j’arrive à l’orée du village, j’aperçois quelqu’un qui avance sur le sentier. Comme il fait nuit, je n’arrive pas à distinguer qui arrive. Je me cache près du chemin et je l’observe. Il passe près de moi en fredonnant une chanson. Je le reconnais à sa voix et, immédiatement, je l’appelle.

Il entend mon cri. Il vient auprès de moi et me dit : « Quand es-tu venu ici ? » Je lui répond : « Je suis dans les parages depuis trois jours et trois nuits. Dans cette forêt, je ne trouve aucune nourriture et j’ai très faim. Je viens te demander de me donner quelque chose à manger. » Il me répond : « Ce soir, j’ai de nombreux hôtes chez-moi. Je ne peux pas t’apporter à manger, car, s’ils venaient à savoir où tu te caches, ils pourraient le révéler. Alors, nous deux aurions de grands ennuis. Retourne à l’endroit où tu t’es réfugié ! Demain de très bon matin, avant que les gens ne sortent, je reviendrai t’apporter de quoi manger.
Le lendemain, de très bon matin, il vient m’apporter de la nourriture, du riz, de l’huile et du sel. Il me dit : « Désormais, à peu près chaque dix jours, je t’apporterai de la nourriture. De plus, regarde bien, je t’explique les racines, les feuilles et les plantes qui sont comestibles. » Ensuite, il s’en retourna.